Imprescriptibilité

Témoignage Publié le 10.12.2017

Imprescriptibilité

Dans le contexte actuel il convient sans doute de préciser que je suis un homme.

Enfant j’ai été, comme mes sœurs et frères, la victime d’un père incestueux. Certains ou certaines victimes d’inceste ou de viol trouvent leur salut dans une action en justice et/ou dans une médiatisation via la presse ou les réseaux sociaux. Pour ma part j’ai fait un autre choix et j’ai réglé mon problème ou plutôt je m’en suis libéré, au sens propre comme au sens figuré, par une démarche qui n’avait rien de religieuse - car je me revendique areligieux - celle du pardon.

Ce que je souhaite que faire entendre en premier lieu c’est ceci :

D’abord :
On peut éventuellement pardonner mais, d’après moi, on ne peut jamais oublier
On ne se remet jamais complètement d’avoir été victime d’un viol.
On peut gommer certains souvenirs, mais des images restent indélébiles.

On peut vouloir tout effacer, mais de noirs traumatismes psychiques restent sournoisement incrustés dans les replis de votre matière grise pour toujours.
Seuls ceux et celles qui ont vécu l’inceste ou le viol peuvent le comprendre.

Ensuite : la démarche personnelle évoquée c’est à 47 ans que j’ai concrètement commencé à la formaliser par un brouillon et c’est à 49 que j’ai posté mon courrier.
Enfin : cette démarche était déconnecté bien sûr de tout lien avec une quelconque prescription légale dont j’ignorais alors qu’elle existât.
Mais certaines victimes d’inceste et de viol ne trouvent d’autre issue pour sortir du trou noir dans lequel un criminel les a jetées que dans une action en justice.

Sachant que cette remarque ne hiérarchise rien : l’inceste est un viol très particulier et ce n’est pas tout à fait la même chose que d’avoir à s’en prendre à un père incestueux que de s’en prendre à un « étranger » qu’il soit prêtre, enseignant, supérieur hiérarchique, producteur de films ou autres.

Ceci précisé, si le recours à la Justice avait été mon choix, il aurait fallu - au regard de la législation actuelle - que je me lance dans une telle procédure judiciaire avant l’âge 38 ans… Alors quand bien même la prescription serait portée à 30 ans après l’âge de la majorité légale, à 49 ans ou plus ? Les faits auraient été prescrits ! La prescription : c’est la « double peine à vie » pour beaucoup, beaucoup trop. Si la prescription n’empêche pas de pardonner, la prescription elle empêche bien d’ester en justice si tel est le souhait ou le besoin de la victime, c’est donc une nouvelle humiliation qu’elle subit puisque la Société via la Justice ne peut ni ne veut plus reconnaître l’ignoble subi.

Bien sûr il reste la médiatisation et les réseaux sociaux : Quelle bien triste compensation !

Récemment la question de la prescription et de l’imprescriptibilité est revenue sur le tapis. Il est urgent et important que les législateurs comprennent que l’imprescriptibilité des faits d’inceste et plus largement de viol est impérative sans pour autant qu’on les assimile aux crimes contre l’Humanité qui sont d’un tout autre ordre.  Et si la Constitution ne permet pas de promulguer l’imprescriptibilité changez-là ! Et si l’imprescriptibilité des crimes pour inceste ou viol de mineurs - et pourquoi pas  de majeurs - s’avère impossible, que le législateur fasse que la prescription ne soit effective qu’au terme d’un délai tellement long que toute action en justice serait non pas impossible mais inutile puisque le criminel aurait toutes les « chances » (pour lui) d’être mort… Entre temps la victime aurait toute sa vie pour entreprendre toute action où elle aurait pu…

Pour être précis je propose que le délai de prescription – au moins pour les faits d’inceste - soit le double de celui qui semble être en voie d’être adopté à savoir 60 ans. Pourquoi pas ?
Ce serait à l'honneur de la France d'innover "vraiment".