L'étouffement

Témoignage Publié le 02.04.2023
Mère et enfant bébé

On était une famille fusionnelle. Il y avait beaucoup d'amour exprimé en permanence. Nous sommes deux enfants.

Mon grand frère est revenu vivre chez mes parents : à 34 ans, il travaille avec eux, partage les mêmes loisirs, part en week-end et en vacances avec eux, et ce depuis 10 ans. Il n'a pas eu de relation amoureuse depuis ses 19 ans.

Jusqu'à mes 30 ans, je n'en avais eu aucune, mais j'avais subi une série de relations abusives, comprenant viols, harcèlements sexuels, et "services" sexuels rendus à des gens qui se plaignaient d'être en manque ... Impossible de dire non, de fixer des limites, et de déplaire même à ceux qui abusaient de moi. Je les avais raconté à ma famille, qui me répondait d'aller de l'avant, trouvait des excuses à certains agresseurs ("il est orphelin", etc.), et rejetait la faute sur moi, voire m'accusait d'avoir eu le mauvais goût de fréquenter ces personnes ("pourquoi fréquentes-tu des hommes maigres ?"). Lors des repas de famille, des agresseurs sexuels notoires étaient défendus. Quand je faisais remarquer que cela m'affectait, on m'accusait de me "poser en victime", de vouloir les "censurer" (alors que je ne peux jamais en placer une), de ramener tout à moi, d'être trop sensible. Aucune empathie, aucune prise en compte de mes limites. La scène s'est reproduite plusieurs fois. La dernière, mon frère a tapé du poing sur la table : "on s'en fout de tes viols". Ma mère m'a reproché de l'avoir fait pleurer, parce que je leur aurais demandé de ne pas me heurter par leurs propos. Je passais l'éponge et revenais un week-end sur deux, laissant ma mère gérer mes comptes en banque.

Il y a un an, je me suis mise en couple avec quelqu'un que je connaissais depuis quatre ans. Mon premier amoureux. Je suis très vite tombée enceinte d'une petite fille. À l'annonce de ma grossesse, ma mère m'a dit qu'elle, mon père et mon frère "accusaient le coup". Mon frère a enchaîné les "blagues" sur les bébés maltraités qui deviennent handicapés. Mon père a voulu m'offrir une alliance à la place de mon compagnon pour notre PACS et a insisté par l'intermédiaire de ma mère. Tout cela me choquait, mais je n'arrivais pas à le comprendre. Puis j'ai mis bout à bout des éléments jusqu'alors éparpillés.

Sous prétexte de jeu, mon père baissait ma culotte de force pour me chatouiller les fesses quand j'étais petite fille. Dès ma toute petite enfance, j'étais habituée à le masser et le caresser dans le lit des parents. Il sautait aussi dans mon lit sans demander l'autorisation. Il était toujours à demi-nu, en slip et tee-shirt, et il se serrait contre moi. Il me massait aussi. Seul le sexe était épargné, mais pas les cuisses. Il a continué ainsi jusqu'à ce que je sois adulte. Il exprimait son plaisir en poussant des grognements. A l'égard de ma mère, il n'avait aucun geste tendre. Il me comparait à elle en me mettant en garde : comme elle, je risquais de déchoir. Je n'avais pas d'intimité : mon frère passait en pleine nuit dans ma chambre pour y utiliser les toilettes, derrière une porte vitrée. La pièce faisait moins de 4 mètres carrés, c'était un cagibi avec un évier et un WC. Mes parents se moquaient de moi, voire s'énervaient si j'étais pudique. Mon père prenait des douches avec moi en vacances jusqu'à l'adolescence. En famille, lui et mon frère étalaient en permanence leurs goûts sexuels, commentant le physique des femmes qu'ils croisaient, qu'ils voyaient à la télé. Ils commentaient aussi mon physique : j'avais de belles fesses, j'allais plaire aux hommes, ils s'y connaissaient. À 13, 14 ans, des photos de moi en maillot de bain étaient commentées. D'ailleurs, mon père me demandait de poser jambes écartées quand j'avais 7-8 ans, explicitement pour qu'on voie ma culotte. À 10 ans, on trouve une photo de moi prise en contre-plongée : chaussures à talons, robe léopard, perruque blonde. Je passe sur les photos d'enfance où mon frère et moi étions nus. Jusqu'à récemment, les remarques sur mon physique étaient monnaie courante. J'avais de trop petits seins, on s'en moquait beaucoup, j'étais trop maigre ou trop grassouillette. Heureusement, ma mère prenait le soin de préciser que mon père aimait les poitrines menues. Je suis devenue anorexique de 14 à 18 ans. Rien n'a été fait pour m'aider, et quand j'ai repris du poids, mon père et mon frère s'en sont inquiétés, alors que je ne faisais que guérir après des années à mettre ma vie en danger.

Les remarques sur mon intimité étaient aussi fréquentes, de la part de mon frère : sur la masturbation quand j'avais 11 ans, sur les lingettes que je devais avoir dans mon sac pour me nettoyer le sexe en cas de rapport impromptu avec un homme, etc. Adulte, il a imaginé quel regard mon compagnon pouvait porter sur moi quand je portais tel ou tel vêtement : selon lui, il était évident qu'il me trouvait très désirable. L'été de nos 26 et 23 ans, en vacances, mon frère, qui dormait dans le même lit que moi, m'avait d'ailleurs demandé si je serais capable de coucher avec lui. Il avait ensuite prétendu que sa question était une blague. Il disait qu'il était fier qu'on me prenne pour son amoureuse dans la rue. Souvent, j'ai été comparée à une prostituée : une "gueuse" quand j'avais 9 ans, la "danseuse" de mes parents à l'âge adulte. Une plaisanterie insistante était une demande : épouser un milliardaire pour payer des villas à mes parents. Mon frère et mon père m'habillaient, ils faisaient essayer des habits à des vendeuses de mon âge qu'ils jugeaient explicitement attirantes, et me les offraient. Ils commentaient du reste le physique de mes copines dès l'adolescence, en les réduisant, dans le cas de mon frère, à leurs caractères sexuels secondaires ("ta copine aux gros seins", etc.). Mon père, lui, se contentait d'estimer telle amie "ravissante", et à pousser mon frère à sortir avec telle autre. Ma mère disait que j'étais censée lui "trouver une petite copine". Ma mère m'achetait de la lingerie sexy, mon père insistait depuis l'adolescence sur le fait que je ne devais pas porter de soutien-gorge. J'ai parfois fait des cauchemars où mon père et mon frère m'agressaient sexuellement, voire me violaient.

Aujourd'hui, je souffre beaucoup de ces souvenirs. Je refuse que mes parents et mon frère s'occupent de ma fille, et même qu'ils la voient (d'autant qu'ils ont déjà tenu des propos racistes sur elle). Je me sens déchirée entre une longue loyauté, du chagrin, de la colère, et l'urgence de tenir mon enfant hors de tout ça, de la protéger. J'aimerais qu'elle grandisse sereinement à l'abri des maltraitances, qui n'en sont pas restées à l'incestuel (coups, humiliations, prises de risque, négligence ...). Cela implique de tourner la page et de refaire ma vie. C'est difficile, mais sa naissance me donne beaucoup d'espoir. Elle est mon miracle.