Nous sommes tous des cas sociaux

Témoignage Publié le 26.05.2006

Ma petite fille a été agressée à 3 ans par mon neveu âgé de 14 ans. Elle a gardé le secret pendant un an. Durant cette année, elle refusait de manger avec nous et se masturbait devant nous. Nous ne comprenions pas ce qui se passait. Une de mes sœurs se masturbait ainsi quand nous étions enfants. On trouvait ça bizarre, mais on était des gosses et cette famille n’était pas à une bizarrerie près… Il a fallu que mon neveu tente d’agresser un autre enfant de la famille par alliance…

Nous avions toujours trouvé mon neveu bizarre (le type très bon à l’école mais qui ne fait que fonctionner, pas d’émotion, très intelligent mais complètement à côté de ses pompes), mais je pensais qu’il fallait maintenir le lien afin que nos enfants ne connaissent pas ce que nous avons connu enfants (l’ostracisme et le rejet de notre famille, mes parents étant considérés à juste titre comme des fous furieux par leurs deux familles respectives) aussi nous le recevions tous les étés pour une semaine ou 15 jours. C’était aussi devenu une sorte d’habitude qu’on nous imposait, que nous soyons d’accord ou pas.

Je ne voyais plus ma sœur, A. (la mère de l’agresseur) depuis la naissance de ma fille. Nous avons partagé des moments très difficiles durant notre enfance (maltraitance très dure de notre mère, attouchements et, je pense, abus sexuels de mon beau-père sur certaines de mes sœurs, abandon, humiliations, irrespect). A. a réagi en soufflant d’agacement lorsque mon mari lui a dit, alors que j’étais encore à la maternité, que je n’allais pas super bien.

C’est vrai que la naissance de ma fille avait réactivé des tas de souvenirs douloureux. A. préférait faire comme si tout cela n’était pas arrivé. Si la conversation venait sur le sujet de notre enfance, il fallait y aller vraiment avec d’infinies précautions, A. pouvait devenir très violente si on touchait un point sensible. Elle m’a plusieurs fois menacée physiquement et j’avais fini par la prendre pour une conne dangereuse.

Après la naissance de ma fille, j’ai écrit à mon père et à ma mère (mon beau-père étant mort, il n’a pas eu droit à sa petite mise au point) pour leur dire tout ce que j’avais sur le cœur. Ça m’a fait du bien, mais je ne pensais pas qu’une famille malade reste une famille malade et je n’ai pas pu protéger ma fille, faute d’informations suffisantes sur le fonctionnement des familles tarées. Il a donc fallu l’agression sur ma fille pour que je réalise qu’il fallait absolument que je coupe les ponts avec toute cette famille.

Quand ma petite fille s’est décidée à parler, nous avons contacté notre médecin de famille, qui nous a conseillé de porter plainte, ce que nous avons fait. Notre fille a été entendue par un brigadier de police très bien qui nous a confirmé qu’il s’agissait bien d’une agression et qu’une enquête serait menée. Auparavant, avant de savoir que notre fille était victime, alors que nous avions surpris mon neveu en train d’agresser un autre enfant, j’avais contacté la belle-mère de mon neveu (je ne voulais pas entrer en contact avec ma sœur, je me doutais trop de sa réaction…) pour lui expliquer ce qui s’était passé et lui demander de faire le relais et le nécessaire pour soigner mon neveu.

Nous n’avons pas eu de nouvelle. Nous sommes restés dans le silence jusqu’à que mon neveu essaie de nous appeler (chose qu’il ne faisait jamais. D’ordinaire, sa mère nous appelait en juin ou début de juillet pour nous indiquer les dates auxquelles elle comptait nous l’envoyer en vacances, et basta, et pas intérêt à dire que les dates ne convenaient pas ou quoi que ce soit). Mon mari a dit à T., mon neveu, de ne pas rappeler. Ma sœur m’a alors appelée pour me demander ce qui se passait.

En effet, le fait que ce soit mon mari qui demande à T. de ne pas rappeler l’avait alertée (sous-entendu « toi, tes conneries, on ne les prend pas au sérieux »). Je lui ai donc expliqué que nous avions porté plainte contre mon neveu qui avait agressé notre fille.

- Tu vas foutre sa vie en l’air », m’a-t-elle répondu.

- Moi, je te parle de ma fille, qui avait 3 ans au moment des faits.

- Oui, mais le psychologue m’a dit que lorsqu’ils tombent chez les gens, ils foutent tout en l’air, ça va traumatiser mon fils.

- Hé bien, maintenant que tu sais qu’une démarche est en cours, prends les devants, va voir le juge des enfants et accompagne ton fils. Il a besoin de toi.

- J’avais appelé la nouvelle femme de ton ex mari pour lui expliquer qu’il y avait un problème avec T. Ça ne vous a pas alertés ? A l’époque, ma fille n’avait rien dit. On se disait qu’il n’y avait pas eu passage à l’acte, que le petit gosse agressé s’était défendu, qu’il fallait vous prévenir et que vous feriez le nécessaire… C’est drôle, quand j’avais eu la femme de ton ex mari au téléphone, elle était d’accord avec moi pour trouver que T. n’allait pas très bien.

- Ce n’est pas ce qu’elle m’a dit.

- Tu te rends compte que ce n’est pas très facile de parler avec toi ?

- Je ne vois pas pourquoi tu dis ça ! Mon ex mari en a parlé à T. et T. a nié. Mon ex mari en a conclu qu’il s’agissait encore d’une de tes conneries. Tu te rends compte ? Tu vas foutre sa vie en l’air. En plus, ça me fait réfléchir, peut-être qu’il a été agressé… Tu nous accuses de ne pas l’avoir bien élevé !!!

- Ce n’est pas moi qui l’ai élevé. Je te répète que je te parle d’une petite fille de 3 ans. »

Elle a ensuite évoqué le fait qu’elle avait été agressée dans sa jeunesse, et ça faisait des années qu’elle disait qu’il ne fallait pas parler de ces « conneries ». Lorsque ma sœur et son ex mari ont été entendus dans le cadre de l’enquête, ils ont prétendu que je me droguais. T. a nié en balançant des trucs et des machins pour semer la zizanie entre ma sœur et moi (ce qui était déjà fait depuis belle lurette).

Une autre de mes sœurs m’a téléphoné l’année dernière pour mon anniversaire et après le « happy birthday » d’usage :

- Tu as des nouvelles de A. ?

- Non pas trop. On a eu des problèmes avec T., tu es au courant, je suppose ?

- Oui, oui, M. m’a expliqué ce qui s’était passé. Il pense que vous n’auriez pas dû porter plainte. Les enfants racontent des mensonges, parfois. Tu vois, mes filles elles disent des trucs bizarres, des trucs qu’elles ramènent de l’école…

M., c’est notre père. Il sait tout, mais il ne s’est jamais occupé de ses enfants, vu qu’il a passé la plus grande partie de sa vie en prison pour différents braquages, bien qu’il soit innocent…

- Hé bien, tu diras à M. que ce qu’il pense, je m’en fous. Et aussi que lorsque je suis allée voir le spécialiste des agressions sur mineurs au commissariat, il m’a bien expliqué que les enfants qui disent certaines choses, c’est qu’ils ont été en contact avec des adultes pervers. Et qu’il a cru ma fille. Au revoir.

Je n’avais plus trop de rapport avec ma famille (marre de fermer ma gueule et de passer pour la tarée du coin, alors que bon, franchement, quand je les regarde, j’ai un peu de la peine), mais là, ça m’a donné le coup de fouet : qu’ils me fassent tout et rien et le reste, qu’ils se ligotent les uns les autres dans leurs mensonges et leurs arrangements avec le passé, j’avais fini par m’y habituer, mais qu’ils s’en prennent à ma fille !

Aujourd’hui, je ne sais pas ce qu’ils peuvent mijoter comme explications rances à la situation. Parfois, j’espère qu’ils ont eu un sursaut d’intelligence et que mon neveu est pris en charge. Qu’il peut regarder tout ça dans les yeux. La première réaction de ma fille quand elle a réussi à parler : « Un jour, j’irai voir T. et je lui pardonnerai. » Je lui ai répondu que l’heure n’était pas encore au pardon, qu’il fallait d’abord qu’il soit rappelé à l’ordre, puni et soigné, qu’elle verrait ensuite. Que pour le moment, il fallait que des adultes s’occupent de faire leur boulot d’adultes.

T. a été entendu par un juge. Je ne connais pas la décision de ce juge. Je n’ai pas voulu me rendre à l’audience et je n’ai pas voulu que ma fille s’y rende, je ne voulais pas les revoir. J’ai peut-être eu tort, mais je ne pouvais pas le faire.

Voilà, c’est un beau gâchis. Je n’ai pas su protéger ma fille, et c’est lourd à porter.

Ma fille va bien aujourd’hui. Je pense que le fait qu’on l’ait crue et entendue y est pour beaucoup mais je m’en veux de n’avoir pas su l’informer mieux, je m’en veux de n’avoir pas su la protéger, je m’en veux de n’avoir pas mesuré la gravité et l’étendue des dégâts au sein de ma famille.

Ce sont des monstres et des fous, des dévoreurs et des ogres à la petite semaine, des nuisibles et des malfaisants. Ils ont une grande bouche et leur voix fausse menace, cajole, et leurs mots rentrent dans votre tête. Leurs yeux ne regardent pas droit. Ils menacent et vous assassinent tous les jours en douce tandis qu’alentour les regards compatissants perdent leur temps sans vous atteindre, sans vous toucher. Vous poussez de travers un peu. Vous êtes très seul, vous avez peur et vous ne savez pas pourquoi parfois. Ils ont déposé dans votre œil ce morceau de glace. Mais ils sont faibles et vous ne l’êtes pas. Vous grandirez, et vous les vaincrez par votre obstinée volonté d’être heureux et de vivre. Vous prendrez le petit marteau et vous cognerez doucement (n’allez pas vous faire de mal, je vous en prie) sur le morceau de glace jusqu’à le rompre.

Nous en parlons
M
Mapuce
Publié le 05.07.2016
Inscrit il y a 7 ans / Nouveau / Membre

Ton histoire me touche beaucoup, mon fils aussi accuse son cousin de l'avoir agressé...
Je culpabilise autant que toi de ne pas avoir su le protéger et de ne l'avoir jamais mis en garde contre les détraqués qui auraient pu toucher son corps. Mais voila ca c'est passé, il en a parlé le lendemain je me dis au moins qu'il n'a pas attendu pour en parler et que ça n'a eu lieu qu'une seule fois