Quand l'abus sexuel mène au crash

Témoignage Publié le 23.01.2007
Victimes de viols et victimes de la route.. une étude établit un lien.

Les jeunes femmes victimes d'abus sexuels dans leur enfance seraient huit fois plus exposées que les autres aux accidents de la circulation, quand elles ont gardé pour elles ce secret. es jeunes femmes victimes d'abus sexuels dans leur enfance seraient particulièrement exposées aux accidents de la circulation. Près de huit fois plus que les autres quand elles ont gardé pour elles ce secret. Deux fois et demie lorsqu'elles ont pu le dévoiler. En revanche, l'agression subie après la puberté ne serait pas un facteur de risque, et pour les garçons aucune corrélation significative n'apparaît, quel que soit l'âge auquel ils ont été confrontés à ce genre de traumatisme. Ces données inédites sont issues d'un travail mené par l'association Aremedia (1) et l'équipe dirigée par le Dr Marc Shelly, de l'hôpital Fernand-Widal (Paris), auprès de 802 femmes âgées de 18 à 22 ans et de 631 jeunes hommes âgés de 19 à 25 ans. Elles ont été validées par Marie Choquet (unité «santé de l'adolescent» de l'Inserm), selon les règles statistiques de l'Inserm.

Automutilation. Le lien entre abus sexuels et conduites à risque chez l'adolescente était connu. Mais jusqu'alors, on les repérait dans les IVG à répétition, une grande instabilité et des prises de risque sexuelles, l'abus d'alcool et de psychotropes, les tentatives de suicide ou d'automutilation. L'accident sur la voie publique, comme piéton, conducteur ou passager, relevant a priori du hasard, de l'«accidentel», il ne sera pas facile au Dr Shelly de convaincre les pouvoirs publics du bien-fondé de son constat. Celui-ci rappelle pourtant une autre étude publiée en 1996. Le Dr Jacqueline Cornet avait établi qu'il existait une très forte corrélation entre le fait d'être victime d'accidents de la circulation à répétition et celui d'avoir été beaucoup battu dans son enfance. «L'accident apparaît comme une maladie sociosomatique» : ses conclusions sont aujourd'hui prises en compte par les équipes des services de rééducation fonctionnelle.

L'enquête de Marc Shelly est née de son expérience de clinicien à l'hôpital Fernand-Widal, et notamment au centre de dépistage. Depuis des années, il y rencontre des jeunes femmes multipliant les tests de dépistage VIH, fréquemment victimes d'abus sexuels, mais aussi sujettes à des accidents de la voie publique. Avec un statisticien de l'Inserm, il a alors étudié plus précisément la base de données que l'association Aremedia avait mise en place auprès des CIDJ (Centre d'information et de documentation jeunesse) d'Ile-de-France.

Blessures indicibles. Sur leur échantillon de 1 500 jeunes, la fréquence des abus sexuels survenus avant l'âge de 12 ans s'établit à près de 8 % pour les filles et la moitié chez les hommes. Ces chiffres sont comparables aux études épidémiologiques conduites aux Etats-Unis et conforme à la seule enquête d'envergure menée en Europe par la Finlande, auprès d'un échantillon représentatif de 7 000 jeunes. «On ignore les logiques sous-jacentes de cette suraccidentalité. Les jeunes femmes que nous avons interrogées parlent d'une volonté inconsciente de s'exposer à des souffrances socialement acceptables, du désir d'être plaintes et de mettre en évidence des blessures indicibles.» Reste une question : pourquoi les garçons abusés réagissent-ils autrement ? «On sait que les maltraitances de l'enfance débouchent sur des comportements différents selon le sexe. Les garçons répercutent ça en devenant délinquants, en extériorisant la violence contre les autres. Les filles s'inscrivent plutôt dans la violence orientée vers soi.» L'identification de ce nouveau risque, potentiellement mortel ­ les accidents de la circulation sont la première cause de traumatisme, de handicap et de mortalité dans les pays développés entre 15 et 24 ans ­, appelle à ses yeux un vaste travail de dépistage. Celles qui ont pu révéler leur traumatisme ­ le plus souvent à une amie ­ apparaissent relativement protégées. Ce qui devrait conduire, selon lui, à multiplier les prises en charge. «Seul un soutien psychosocial le plus précoce possible ­ avant la puberté ­ semble susceptible de favoriser l'amorce d'un processus de résilience permettant aux victimes d'espérer mener une vie acceptable.».

(1) Association de prévention des conduites à risque. Les résultats de cette étude sont présentés aujourd'hui dans le cadre de la 4e Conférence européenne sur la promotion de la sécurité et le contrôle des traumatismes.