Témoignage femme : grand-père/petite fille

Témoignage Publié le 07.09.2008
J'avais 7 ans et c'était mon grand-père maternel.
C'est long à raconter.
Alors je ne raconterai que le début.
J'avais quel âge ? J'avais 7 ans ? Combien de fois cela s'est-il produit ?
Je ne sais pas. Plusieurs fois.
Il faut dire qu'une fois morte on a plus la notion du temps. Je suis morte à la première seconde.
Je vais vous raconter comment ça a fait quand je suis morte.
Je ne prétends pas raconter la mort de tout le monde. Chaque mort est unique.
Je vais vous raconter la mienne, seulement la mienne.

Un éclair. Un éclair dans le noir, dans la tête. Vous savez, ces éclairs l'été qui ne font pas de bruit. Une décharge électrique. Même dans les yeux.
Puis un bruit dans ma tête comme un avion qui décolle. Comme un vrombissement qui vous envahit l'intérieur de la tête et couvre avec son bruit toutes vos pensées.
Il n'y a plus de pensée. Il n'y a plus qu'une lutte silencieuse pour que ça s'arrête. Dans la tête. Que tout s'apaise à nouveau comme tout à l'heure. Quand tout était normal.

Je ne pouvais rien faire. J'étais tétanisée. Paralysée. C'est à peine si j'avais
conscience de ce qui se passait en réalité. Dans cette chambre. Cette pénombre d'une après-midi d'été.

Tétanisée par la peur. Déjà qu'un rien me faisait peur, à l'époque... enfin, c'est ce que je crois. Ou peut-être étais-je comme ça après l'évènement ? Ca s'embrouille un peu. J'étais si petite.
Et pourant... je me souviens du moindre détail. Sauf de mon âge. Décidemment.
J'étais une petite fille timide. Sage. Obéissante. Discrète. Sérieuse. Souriante. Patiente. Travailleuse. Bonne élève. Douée. Pour les études. Pour la lecture. Pour le violon.

Violon ! Violon ! Violons-la !

J'étais le "portrait de mon père !". Mais mon père n'était jamais là. toujours en voyage pour son travail. A l'autre bout de la terre.
Mon père méprisait mes grands-parents.
Je n'ai pas précisé : c'était mes grands-parents maternels.

Je ne comprenais pas pourquoi papy s'est retourné vers moi dans le lit.
Il était allongé à côté de moi dans la pénombre. Il était 14h00. Je le sais parce-que il y avait une pendule chez eux qui faisait "toc ... ... toc ... ... toc ... ... "
J'ai horreur des pendules qui font un bruit grave.
Et puis elle a sonné 14h00.

Il a roulé un peu sur lui-même pour se tourner vers moi et a commencé à me chuchoter dans l'oreille :
"Tu es douce, tu es très douce. Je suis sûr que ta maman ne t'a jamais caressée comme ça, hein ? Comme tu es douce."
Il a commencé à me caresser la joue. Longtemps. Seulement la joue. En me chuchotant sans cesse "Je te caresse comme jamais ta maman ne t'a caressée". "Ta maman ne te dit jamais que tu es douce, hein ?"
La joue. La joue. Puis le bras. J'étais gênée. J'étais gênée pour lui. Je le trouvais bien gauche avec cette douceur des mots et des gestes qu'il n'avait jamais avec moi ni personne. Il semblait tellement gauche.

Je sentais bien qu'il n'était pas comme d'habitude. Je sentais bien que ça clochait.
Ca clochait et en même temps il était si "gentil". Je ne comprenais rien. Rien. Rien.
Fallait-il que je bouge ? Que je parle ? Y'a quelque chose qui cloche, mais quoi ? Mais QUOI ? QUOI ?
Il est pas méchant. Mais il a l'air de quelqu'un qui ne veut pas que ça s'entende ce qu'il me fait.
POURQUOI ?
Je pensais à maman et à ce qu'elle me répétait sans cesse : "Faut toujours obéir aux grands".
Ils disent tous "Faut toujours obéir aux grands". "Ce sont les grands qui ont raison".

Enfin... bref... la petite fille est morte. Pas moi. La petite fille qui était à ma place à l'époque.
A ce moment-là j'ai pris sa place. Parce-que la nature a horreur du vide.
Et oui : quand une petite fille meurt, il se passe quelque chose d'étrange : une autre petite fille différente vient tout de suite prendre sa place et fait semblant que l'autre petite fille est toujours vivante.
Mais c'est pas la même. Et personne ne le sait. Sauf celui qui l'a tuée, bien sûr. Mais il ne veut pas que ça se sache.

Je vous jure, croyez-moi : il m'a tuée. M'a étouffée. Par asphyxie. C'est dur de mourir comme ça. Noyée dans une eau invisible.

C'était toujours pendant les vacances. Papy faisait toujours la sieste après le déjeuner. Moi aussi, j'était petite.
Fallait faire la sieste avec papy.

"C'est si beau une petite fille qui fait la sieste avec
son grand-père", disait ma mère, attendrie.

Je ne comprendais pas pourquoi il était comme ça. Pourquoi il m'aimait tant ? On ne se voyait pas souvent.
Je le connaissais à peine. Je ne le trouvais pas beau. Toujours dans son bleu de travail. Il était vieux.
Il avait des poils dans le nez qui dépassaient. Un gros nez. Des ongles noirs !! Ces ongles !! Peut-être parce-qu'il travaillait la terre de son jardin à main nue. Il ne se lavait pas ? Si. Même qu'il sentait l'eau de cologne. Je déteste
l'odeur de l'eau de cologne.
Avec ses poules toutes crottées des ongles, elles aussi. Dans ce poulailler. En cage. Qui râclaient le sol avec leurs pattes. Ses lapins qu'il tuait et qu'il laissait pendre, dégoulinant de sang avec une bassine posée par terre, tout écorchés,
devant, à côté de la porte d'entrée. Pour le civet.

"Le meilleur civet au monde !" disait ma mère.

Il aimait me faire visiter son jardin. Son jardin : sa grande fierté ! On parcourait les allées, parallèles, rectilignes, comme des rangées de tombes, avec une rose différente tous les 1 mètre. Et il me donnait leur nom, me les faisait sentir.
Et ça sentait bon.

Quand il ne mettait pas d'eau de cologne, il sentait le vin.
Il faisait "chabrot" à chaque fin de repas. Il mettait du vin rouge au fond de son assiette à soupe pour finir sa soupe.
Il mettait du vin dans son verre avec les fraises pour les manger.
Il mettait du vin dans le civet de lapin de ma grand-mère qu'elle réussissait si bien.

C'était un chasseur. Il adorait son chien.
Ca sentait le chien dans sa chambre.
J'ai la phobie des chiens. J'ai horreur de la chasse.

Il n'a jamais crû que l'homme avait marché sur la lune. Il croyait que c'était "un coup monté par les Américains".

Il voulait pas que ma mère lise quand elle était petite.
Il voulait pas qu'elle fasse d'études.

Elle n'a jamais rien vu. Elle est devenue prof. Prof de bio. Elle donnait des cours d'éducation sexuelle à l'époque. Comme j'ai commencé à me masturber très jeune, j'avais un peu honte et je n'osais pas lui en parler.
Un jour, je lui ai demandé : "maman, tu m'a dis qu'à un certain âge il est normal que les garçons aient des "sensations" dans l'eau du bain et qu'ils se masturbent. Mais les filles, elles ?
- Les filles qui se touchent ? Non, il n'y en a pas. Ou alors ce sont des malades."

Je les entendais parler, ma grand-mère et elle, dans la pièce à côté, pendant qu'il se frottait sur moi et qu'il mettait
son doigt au bord de mon sexe, dans mon sexe. Il me faisait MAL. MAL. MAL. Il m'étouffait par son poids. Il était lourd, lourd.
Un homme de la soixantaine sur une petite fille de 7 ans, ça fait lourd.
Je ne comprenais pas pourquoi il s'allongeait sur moi. Pourquoi il frottait avec son doigt et son ongle qui me faisait mal entre mes cuisses, là, et pas ailleurs.
Pourquoi là et pas ailleurs ? POURQUOI ?