Témoignage femme : J'ai perdu mon père il y a 8 ans

Témoignage Publié le 28.10.2007
J’apprends toute seule à faire mes armes. J’ai perdu mon père il y a 8 ans. J’ai su que je l’avais perdu le jour où j’ai appris qu’il s’était taillé les veines, le jour où j’ai appris que la procédure judiciaire était lancée contre lui. Ce jour où j’ai su qu’il avait tenté de se saigner, je me suis dit qu’il nous avais abandonnées – pour de bon. Il avait fini de détruire ce qu’il maltraitait depuis si longtemps. Cet homme est toujours vivant biensûr mais quelquechose s’est passé en moi. Le jour de son procès, lorsqu’on m’a donné la parole, j’ai dit devant témoins, du haut de mes 19 ans, que j’en avais fini avec lui, que je ne voulais plus rien savoir de lui. Il était là, dans mon dos et moi je parlais en regardant la juge.
Quand il a été arrêté, cela faisait des mois que je savais qu’il avait commis l’inconcevable sur ma sœur et que cela ressemblait à l’inconcevable ce qu’il m’avait fait. Cela faisait des mois que je lui avais déclaré la guerre. Etre en sa proximité m’était insupportable. Pendant des mois je l’ai côtoyé en sachant que ce n’était qu’une question de temps avant qu’on ne le dénonce. J’avais dit à ma sœur d’attendre le moment propice. J’étais prête à aller avec elle voir les flics et l’appuyer pour balancer ce qu’il avait fait, ce qu’il lui avait fait, ce qu’il nous avait fait. Seulement, quand j’ai demandé raconter notre histoire à des spécialistes de la misère humaine, dans un IMP improbable, celle de ma sœur plutôt que la mienne, lorsque j’ai demandé conseil ils m’ont recommandé de solliciter notre mère et l’impliquer pour que notre démarche ne soit pas inutile. Ça j’ai jugé que c’était impossible parce j’étais en guerre contre ma mère aussi ou plutôt elle était en guerre contre moi et j’ai jugé qu’en ce moment là elle ne nous serait pas l’appui qui nous était nécessaire.
J’étais en guerre contre mon père – j’étais prise dans une rage destructrice qui ne pouvait s’apaiser et qui n’avait pas d’issue. Ma sœur m’a dit qu’un jour on aurait mis un peu de javel dans le café qu’on devait lui apporter le matin et peut-être que j’ai été capable de le faire. Je me rappelle m’être griffée le visage de douleur en pleurant du plus profond de moi de lourds sanglots après des prises de tête avec lui et ma mère. Il me semblait que je parlais dans le vide, qu’il ne m’entendait pas, qu’il ne m’écoutais pas. Qu’avais-je de si important encore à lui dire ? Je me suis permise tout ce que je n’aurais jamais osé – lui répondre, le traiter de pauvre type et partir en claquant la porte. Il pouvait bien m’attraper et casser la figure. Je m’en fichais maintenant. J’avais décidé de ne plus me laisser faire. Un soir où ça a bardé pour une raison que j’ai oublié, j’ai hurlé, il a hurlé – j’ai crié du fond de mes tripes comme je n’avais jamais crié. Il a violemment claqué la porte je crois à en faire craquer le bois et puis un peu après il est allé dans la chambre de ma mère. Il a pris son grand de sac de voyage. Il a accepté de parler avec ma sœur et il m’a repoussé brutalement quand j’ai voulu savoir ce qu’il faisait. Il a annoncé qu’il partait, qu’il quittait le foyer – pour toujours et par ma faute. Le lendemain matin il était là, dans la cuisine quand je me suis levée pour aller au travail et je l’ai méprisé de pas être vraiment parti.
Je sais qu’un jour où je rentrais de ma semaine d’internat j’ai eu cette angoisse, cette pensée terrible, atroce, inconcevable, qu’il avait tué toute ma famille et que moi j’arrivais dans le silence morbide de cette maudite baraque de pierre. D’une voix angoissée je lui ai demandé où elles étaient et il a répondu qu’elles étaient en haut biensûr.
Oui j’ai perdu mon père. On dit qu’un père c’est toujours un père mais moi c’est comme si je l’avais tué. Que serait-il arrivé s’il n’avait pas été arrêté ? Ca se serait fini dans le sang ou bien je serais devenu folle pour de bon.
Quand il s’est taillé les veines je n’étais pas là. J’ai vu juste la tâche sombre sur le sol quand je revenu à la maison après mes quinze jours de travail et puis ce mot « rien n’est sérieux pas même la mort ». Je l’ai détesté et je l’ai méprisé même dans sa façon théâtrale de se saigner. Je l’ai détesté et j’en aurais vomis quand j’ai retrouvé le livre porno caché dans ses outils – ce livre dont il a utilisé une photo pour faire un montage avec la photo de ma sœur. Je crois que je l’ai détesté parce qu’il m’a mise en compétition avec ma propre mère et a fait de moi sa confidente, sa béquille pour mieux supporter son existence tout en me volant la mienne, ce qui me restait de l’enfance et puis mon adolescence. Mais si je l’ai détesté c’est certainement plus encore lorsqu’il m’a reléguée quand je suis partie à l’internat et que ma sœur cadette a remporté la place. J’ai ce souvenir de leurs voix au-dessus de ma tête – elle qui passait de si long moments seule avec lui, plutôt que de s’atteler aux corvées avec ses sœurs. Elle était encore avec lui – ça durait si longtemps ces moments là. Moi j’avais décidé que plus jamais je n’entrerais dans son lit ni que j’accepterais qu’il me demande de m’y déshabiller pour qu’on soit mieux. Mais elle, elle y allait encore et encore – j’entendais leurs voix et moi j’étais en dessous – je débarrassais ce putain de lave-vaisselle en sachant que je devais faire attention de ne pas faire trop de bruit. Elle qu’il avait rabaissé et tabassé encore et encore, elle était devenu la fille prodigue. Moi il m’avait attribué la corvée de chiotte de façon arbitraire. Je devais astiquer ces putains de chiotte que je n’utilisais puisque j’étais pensionnaire et si le résultat ne lui convenait pas, il me menaçait de ne pas me conduire au bus à la fin du week-end pour retourner au lycée.
J’ai perdu mon père. On m’a dit un truc du genre que je trouverais la paix le jour où je lui pardonnerais, le voir pour lui dire je te pardonne. Je veux bien lui « pardonner », lui souhaiter de continuer sa vie et peut-être avoir une autre chance, ôter de ma tête cette idée qu’il aurait bien de crever quand il a tenté de mettre fin à ses jours. Mais le voir, je ne peux pas le concevoir.
Je préfère son absence à l'idée d'être sa fille. C'est si étrange cette situation. Il m'a fallu du temps pour m'habituer à mon histoire. Si peu de gens autour de moi savent mon histoire. Je fais la fille normale. J'évite le sujet. Je veux pas de pitié, je veux pas qu'on me regarde autrement mais parfois j'ai si mal. Parfois c'est si dur de mettre un pied devant l'autre. Parfois je voudrais jetter ça à la figure des gens et leur dire tout ce que j'ai traversé, pour voir la stupeur sur leur visage et me sentir un peu libérée.