Témoignage femme: Tout le monde le sait, mais tout le monde le tait

Témoignage Publié le 18.10.2006
Je ne sais pas si on peut parler d'inceste. J'avais un peu moins de douze ans, quand la première fois, le père de mon frère (je me refuse à l'appeler mon P...) a forcé la porte de la salle de bain, et est rentré dans mon bain. Rien d'extraordinaire, juste des jeux d'eau, mais j'étais gênée par l'apparition de mes premiers signes de jeune fille. Il aimait se montrer nu devant moi, en érection, en me demandant parfois de le toucher, ce que je n'ai fais qu'une fois, juste l'éfleurer.
Il me faisait du chantage du genre "si tu me montres que tu as de vrais poils, je t'offrirais une grosse glace au chocolat !". Il me caressait la poitrine, en disant "c'est doux ?", un mot que j'ai du mal à écrire, que je ne dis que très rarement, et lorsqu'il m'échappe, je ne peux m'empêché de penser à toutes ces scènes. Quand il regardait des films X, et qu'il me demandait de venir sur ses genoux, juste regarder avec lui... Ce n'étaient que des attouchements, rien d'autre... Mes parents ont divorcé, je devais avoir 6 ans, je voyais le père de mon frère une fois tous les quinze jours. Jusqu'au jour de mes treize ans où j'ai supplié ma mère de ne pas m'y envoyer. Elle ne comprenait pas pourquoi, lorsque le père de mon frère venait nous chercher, mon frère et moi, je me mettais à pleurer. Plus le temps passait, et plus je pleurais, je faisais des cauchemars, des crises de nerfs... Je ne lui ai pas dit tout de suite. Quand elle l'a appris, elle n'a rien pu faire, elle était en instance de séparation avec son deuxième mec, sans sous, sans rien... Plusieurs fois j'ai pensé à mourir. Pourquoi je ne l'ai pas fait ? Non pas parce que j'avais peur de la Mort, au contraire, je l'aime, je l'adore, même encore maintenant. Je suis vivante parce qu'elle était tout pour moi à l'époque. Ma mère a eu tellement de souffrances, de peurs, de manques, elle me disait "tu es mon moi, mon complémantaire, sans toi je ne suis rien". Je ne pouvais pas la laisser. Je suis vivante à cause d'elle, et pas grâce à elle. J'ai coupé les ponts avec ma famille paternelle (grands-parents adorés compris...), pendant presque dix ans. Quand j'ai connu l'homme de ma vie (mon premier et unique amour à tous points de vues), j'ai recontacté mes grands-parents chéris. Je ne regrette pas, je les adore, eux aussi, je suis leur première petite fille. Ils ont un peu forcé la main pour que je revoie le "paternel", ce que j'ai fait, pour eux. Cette histoire d'inceste, si l'on peut appeler ça comme ça, ils la connaissent, puisque j'ai intenté un procès contre le "paternel", que j'ai laissé tombé par la suite, pour ne pas perdre mes grands-parents. Tout le monde le sait, mais tout le monde le tait, et je suis sûre que tout le monde pense que j'ai menti parce que je détestais le père de mon frère, et il y a de quoi. Je le revoie, cet homme incestueux. Pourquoi ? Parce que de son côté, j'ai un petit frère et une petite soeur (à laquelle il n'a rien fait apparemment, ou peut être s'est-il calmé en voyant que j'avais porté plainte contre lui). Je les adore ces petits, j'adore mes grands-parents. J'en ai discuté plus d'une fois avec mon mari. Il me dit que le passé est le passé, que j'avais fait le choix de revoir mes grands-parents, et que je savais que je n'aurais pas le choix de le revoir, Lui. Quand nous allons chez mes grands-parents, qu'il est là, qu'il est content de me voir, qu'il me serre contre lui, je le hais, j'ai envie de le repousser. Je n'attends qu'une chose : sa mort, ma délivrance. Qu'il crève, en bonne et due forme, et si possible, qu'il puisse souffrir autant que j'ai souffert toutes ces années. Mais je ne dis rien... Nous nous marions en mai prochain, et il viendra. Ce n'est pas lui qui m'emmènera à l'église, ce sera mon meilleur ami. Rien que la présence de cette ordure gâchera à moitié mon mariage. Mais je ne peux rien dire, décider de ne plus le revoir, s'est faire une croix sur toute ma famille paternelle, je le sais, et je ne veux pas. Mes grands-parents sont malades, je ne veux pas leur infliger un tel choc. J'ai écris un recueil de poèmes, des poèmes de souffrances, quinze ans maintenant de souffrances. Quand je les relis, je me souviens de chacun des moments où j'écrivais ces poèmes. La haine, l'envie de Mort, de meurtre, de le planter et de le laisser crever comme un vulgaire corbeau atteint de cirrhose... Qu'il en crève de son alcoolisme. Toute cette haine est retranscrite dans mes écris, j'aimerais le publier pour qu'on sache, pour que tout le monde sache qui il est, ce qu'il m'a fait, et qu'enfin je me sente plus libre de l'avoir dit, et quoi qu'en pense la famille, les amis... Je suis dans une prison où seule la Mort détient la clé pour ouvrir la porte à mes souffrances. Je désire un enfant, malgré mes 25 ans, je me sens prête depuis longtemps à être mère. J'ai totale confiance en mon futur mari, mais mes souvenirs ne risque t-il pas de ressurgir ? Saurais-je être une bonne mère ? Saurais-je contenir mes accès de nervosité ? Cela fait longtemps que je n'ai pas frappé à mains nues dans un mur en crépi jusqu'au sang (j'adore la vue de mon sang, son odeur et sa fluidité), pour faire échapper ma douleur. Est-ce que cela ne ressortira pas quand mon bébé pleurera, et que j'aurais les nerfs à bout ? Je suis une psychothérapie depuis six mois, mais j'ai l'impression que de toute façon, je ne pourrais jamais m'en sortir qu'en me donnant la mort. Je suis en train d'écrire un livre sur ma vie. Mais comme le premier, je ne pourrais pas le publier. Je me sens seule dans mon malheur, et quand les pubs sur l'inceste passe à la télé, je fais des cauchemars toute la nuit... Se taire s'est accepter. Mais comment faire quand on ne peut que se taire ?