50 000 nounours : Criminalisation de l'inceste en France

Événement Publié le 20.11.2004

Le 27 juillet à 12 heures, Monsieur Christian Estrosi, ex député des Alpes Maritimes aujourd'hui ministre délégué à l’Aménagement du territoire, remettra son rapport concernant l'insertion de l'inceste dans le code pénal à Pascal Clément Garde des Sceaux.

Ce rapport contient les conclusions de la mission d'information confiée à M. Estrosi en janvier 2005 par M. Raffarin, alors premier ministre.

Historique :
Face à l'inceste  a sollicité M. Estrosi en septembre 2004 sur ce sujet. Une proposition de loi visant définir l'inceste dans le code pénal a rapidement été proposée par lui aux députés qui l'ont largement suivi (140 signatures).  Le 20 novembre 2004, Face à l'inceste a mené une grande campagne de sensibilisation à travers l'opération "50 000 nounous face à l'inceste". La mobilisation a été importante. Le 26 novembre suivant, D. Perben, alors ministre de la Justice, a annoncé officiellement qu'il s'engageait à ce que le crime d'inceste soit inscrit dans notre code pénal.  Face à l'inceste a été auditionnée dans le cadre de cette mission d'information. Ces observations ont été les suivantes : 
 
Pourquoi un crime d'inceste spécifique ?
 1) De la qualification du viol  Le viol se qualifie par la pénétration avec menace, contrainte, violence et surprise. Le fait qu’il soit commis par ascendant est une circonstance aggravante. Or, en cas d’inceste, il n’est pas nécessaire pour un agresseur de la famille d’user de menace, contrainte, violence ou surprise du fait même de la relation intrafamiliale.   Qu’il soit commis par un frère, un père, un oncle, une grand-mère… l’enfant éduqué dans un milieu incestueux n’est pas apte jusqu’à un âge avancé à détecter le bien ou le mal de ce qu’il subit. Pour lui, c'est normal. Ces qualificatifs ne sont donc pas appropriés à l’inceste.

 2) De la hiérarchisation des actes  Selon notre expérience et notre vécu de victimes, nous avons longuement analysé au travers des centaines de témoignages déposés sur http://inceste.org ce que provoque l’inceste sur l’enfant victime, ce qui bloque son développement normal, ce qui constitue un véritable meurtre psychique comme de nombreux scientifiques l’ont également révélé : il s’agit non moins de l’acte en lui-même que de le rôle insupportable dans lequel la victime est plongée : le rôle d’objet sexuel, nié en tant qu’être humain, le renversement des rôles, l’anéantissement de tous les repères permettant à l’enfant de se construire.   Ceci est d’autant plus grave que le passage à l’acte est commis par ceux qui ont le même sang et qui par définition, sont censé défendre l’enfant. La cellule familiale étant généralement considérée comme une union de personnes proches qui ont des droits et des devoirs envers les enfants appartenant à cette cellule. De plus en matière d’inceste, nous constatons une prévalence réactionnelle à l’union des adultes contre l’enfant victime qui se trouve par là même exclu et considéré comme responsable de l’éclatement familial.   Beaucoup de victimes se taisent pour protéger la cohésion familiale au prix parfois de leur propre vie. Si l’agresseur est extérieur à la famille, l’enfant pourra espérer être défendu et non rejeté par sa famille. De coupable en cas d’inceste, il est reconnu victime et soutenu en cas de viol par une personne extérieure.  Nous avons nettement pu étudier que les conséquences et symptômes à long terme des victimes d’attouchements (atteintes ou agressions sexuelles) ou de viol peuvent être aussi importants. En conséquence, la hiérarchisation des délits et crimes en fonction des actes perpétrés ne correspond pas la dangerosité réelle et au préjudice subit. Ceci devrait nous amener à penser autrement notre système pénal pour le crime d’inceste à l’instar des Canadiens.  

3) Du consentement de l’enfant  Notre système juridique actuel impose des investigations concernant le consentement de l’enfant ne serait-ce que par les qualifications du viol : menace, violence, contrainte et surprise. Si ces conditions ne sont pas réunies, et il est bien rare de trouver des éléments pour les prouver, les viols sont correctionnalisés, les peines moindres.   De plus ce système est en lui-même pervers, car il sous-entend qu’un enfant pourrait être consentant à un acte sexuel avec un adulte alors qu’il n’a pas la notion de ce qu’il subit. Parfois même lorsqu’il finit par en avoir conscience, il est pris au piège familial jusqu’à sa majorité. Il est sous emprise. Cette emprise peut durer jusqu’à un âge avancé. Notre avis est qu’il ne faut pas se limiter à la majorité sexuelle de la victime pour sanctionner plus gravement l’inceste, mais l’allonger jusqu’à la majorité effective.  Nous considérons également qu’il est temps que notre loi inscrive en positif et fermement sans condition le non-consentement de l’enfant à tout acte sexuel avec un adulte.

 4) Du délai de prescription  Le délai de prescription des crimes d’inceste en France est trop court. Les victimes, cela est maintenant reconnu scientifiquement, se clivent psychiquement pour se protéger de l’insupportable qu’elles ont subi. C’est le déni. Il faut parfois 10, 20, 30 ou 40 ans pour sortir du déni. L’imprescriptibilité de ce crime permettrait aux victimes de parler ce qui pourrait sauver d’autres enfants. C’est le cas au Canada depuis 1985.

 5) De la peine encourue  Les conséquences et symptômes de l’inceste sont très graves mais peu étudiés en France. Cependant, outre atlantique, de nombreuses études ont démontré l’impact indélébile de ce crime sur les enfants. Rappelons qu’il s’agit d’un meurtre psychique aussi grave qu’un meurtre physique. Le handicap est à vie quand il ne s’agit que d’un handicap. Bien des victimes se donnent la mort ou s’autodétruisent par la drogue, l’alcool, les conduites à risques addictives ou sexuelles. Pour certaines, c’est l’impossibilité de travailler d’où l’invalidité, de construire une vie sociale ou affective.   Enfin, bon nombre de victimes somatisent gravement. On sait que 90% des malades fibromyalgiques ont subi une agression sexuelle dans l’enfance. Le crime d’inceste est aussi dangereux que le meurtre et devrait être puni en conséquence pour protéger la société et reconnaître le préjudice subit par la victime. En conséquence, nous demandons un renforcement des peines concernant ce crime.   Proposition de loi Face à l'inceste   Tout acte de nature sexuelle commis sur un mineur par une personne ayant un lien de sang avec lui (ascendant (es), frère, sœur, oncle, tante, cousin, cousine) est un inceste. Le mineur ne peut donner son consentement à l’inceste.   L’inceste est puni de trente ans d’emprisonnement. L’inceste est imprescriptible."
 

Christian Estrosi