Il n'y a pas eu viol, mais...

Témoignage Publié le 17.04.2024

Le frère de ma mère, alcoolique et vivant chez mes grands-parents chez qui je passais toutes mes vacances et certains weekends, s'est masturbé sur moi en pleine nuit,

je devais avoir 9 ou 10 ans, ou un peu moins, ou un peu plus, je ne sais plus... Mes grands-parents nous faisait dormir dans le même lit, lui et moi. Normal... Petite, je n'ai pas compris ce qu'il m'arrivait, je pensais qu'il me donnait de petits coups de poing dans le bas du dos. Mais je ne comprenais pas quelle partie de sa main me touchait. C'était trop petit pour être ses poings entiers, trop mou pour être une phalange. Je tournais ce moment terrifiant au possible en boucle sans comprendre. Puis un matin, vers la trentaine, comme dans une mauvaise série télé, je me réveille en pleurant et en chuchotant "c'était sa queue !". Comment aurais-je pu le savoir lorsque j'étais enfant ? Je ne savais pas ce qu'était un sexe d'homme en érection, ni quelle sensation cela provoquait. Cet homme, c'était Dr Jekyll et Mr Hyde. Je l'adorais lorsqu'il était sobre, et le haïssais dans ses heures d'ivresse. Là, il devenait prédateur, mon prédateur. Venait me chatouiller dans mon lit malgré mes supplications pour qu'il arrête, je le repoussais à coups de pied. Des caresses déplacées en passant derrière moi.

Ma mère l'avait hébergé chez nous un temps, je dormais avec elle côté fenêtre, pas côté porte. Les nuits, il venait dans la chambre et m'appelait pour que je le rejoigne "Sandy ! Sandy ! Viens pupuce !". Il m'avait embrassé la joue avec la langue pour me dire bonjour. M'avait appelée un mercredi après-midi, sachant que j'étais seule à la maison, pour me dire que c'était mon oncle, que j'étais sa nièce, mais qu'il voulait une relation plus intime avec moi. Ce jour-là, je n'étais pas seule, j'avais ma meilleure amie du collège avec moi et j'ai fait comme si je n'avais rien compris, j'ai ri bêtement et j'ai fini par raccrocher en disant à mon amie que c'était encore mon oncle qui était bourré tout le temps.

J'évitais son contact en grandissant, et plus je grandissais plus ma haine grandissait en même temps. Et moi, je déperissais. Dépressive, suicidaire, anorexique, puis boulimique. Il n'y avait que l'idée de mourir qui soulageait mes souffrances intérieures. Passer à l'acte, une réelle libération, aussi éphémère fut-elle. Le tout enrobé bien sûr d'un climat de violence avec une mère maltraitante, moralement et physiquement, elle-même dépressive chronique et ancienne alcoolique.

Fin du lycée, une réunion de famille, tout le monde devant la télé, grosse ambiance, l'oncle dégueu présent, me fait une remarque raciste sur mes origines orientales du côté paternel. Une autoroute au déversement de rage qui m'envahissait. Rien sur l'inceste, mais sur le dégoût qu'il provoquait ; que ivre, il serait mieux seul chez lui, qu'on n'a pas envie de le voir comme ça, qu'il a pas vu sa gueule, mais "casse-toi". Il monte chez lui en pleurant, je jubile.

Je ne l'ai plus jamais revu. Il est mort seul d'un cancer, comme un lâche, comme il l'avait cherché. Plus tard, j'ai parlé de cette nuit à ma mère, qui pour soulager je ne sais quoi ou qui, m'a rassurée en me disant :"ouf, il ne t'a pas pénétrée !". Pourquoi ? Il aurait fallu qu'il le fasse pour qu'il soit coupable ? Se masturber sur le corps d'une gamine et la harceler des années durant ça ne fait pas de lui un agresseur ? Un gros dégueulasse ? Gluant, suintant, pustuleux, monstrueux. Voilà ce qu'il a été pour moi. Et il m'a collé son sexe dans le bas du dos. Au creux de mes reins. A cause de lui, j'ai toujours détesté susciter le désir chez les garçons et plus tard, les hommes. Je ne supportais pas mes formes naissantes, je pensais qu'elles provoquaient, qu'elles me mettaient en danger. Je n'étais plus qu'une proie. Je haïssais ma poitrine plus que tout, je la frappais devant le miroir, ce symbole féminin, ultra sexualisé. Je me haïssais tout entière.

A 40 ans, c'est une blessure qui n'a pas totalement cicatrisé, que je porte en moi depuis ce jour. Malgré des années de thérapie. Alors non, il ne m'a pas pénétrée, il n'y a pas eu viol, mais comme l'a dit si justement Corinne Masiero dans le documentaire Inceste de France 3 : "il n'a pas pénétré mon corps, mais il a profondément pénétré mon âme".