C'est une torture de l'âme, chaque matin je me lève avec la même routine solitaire.
Me taire. J'ai vécu de l'inceste toute ma vie, de maintes manières, des objets sexuels laissés à portés, des mots maladroits ou sexuels sous mes yeux, des mains aux fesses sur maman, des portes de toilettes ouvertes ou de seins nus, des regards lubriques et chargés de sens. Des "je t'aime" qui n'en sont pas, un désir de m'annihiler constamment. Personne n'a vu, tout le monde est dans le déni, ce même jusqu'à maman. Maman je l'aime beaucoup, brave femme qui soutient son époux et dieu sait qu'il est infect. Il regarde sa télé toute la journée pour cacher la honte qu'il ressent. Un vide amer de dégoût de lui-même face à ma propre auto-destruction.
Voilà, j'approche de la trentaine, je suis médicalisée depuis tant d'années sans arriver à mettre les mots, sans porter le chapeau de la honte. J'essaye mais mes mots tombent dans le vide, face à un homme je me sens encore plus gamine, cette même gamine qui séduit et qui teste, qui cherche et qui découvre les premières fois solitaires, bien rangée dans l'ombre d'une cave (ce souvenir, c'est celui de la permission d'être choisie et possédée mais il n'est pas intact, une impression de saleté, quelque chose de l'ordre du toi à moi qui ne va pas). Je sais que je ne sais pas, cependant c'est cher de sens. Si bien que parfois je m'oublie, des morceaux explosent en plein vol et je suis seule face à mon désarmement. Ces mots me font penser au "réarmement démographique". J'aurais voulu être de celles-là, je ne porterai jamais d'enfant. Je n'en ai pas l'envie, ce serait un poids de perpétuer mon espèce, celle qui invasive sur bien des générations a tant fait de dégâts. Tout ça on le devine dans les silences muselés, les mots qui frappent tel un lâche, la colère assenée et les mots engrainés de rage et de dégoût de soi.
Ce père semble si... peu empathique, et pour cause, s'il sombrait dans ma folie il se perdrait, et je crois qu'il a bien perdu déjà. Je voulais le détruire, me venger, je l'ai fait. Je n'ai pas de honte, simplement des regrets, je n'ai jamais supporter ses sous-entendus, ses gestes lorsque lors d'un câlin il effleure ma poitrine et que je me dégage avec empressement. Son odeur et sa respiration me ramènent toujours dans un lieu inconnu à ma conscience, transi de peine et de rage. J'ai été une jeune adolescente prostituée, qui ne voyait qu'en elle le reflet d'un monstre, d'une délicate fleur qui méritait qu'on la bouffe. La violence m'arrache à cette phrase. J'espérais qu'on avale le monstre en moi, celui que je ne suis pas. Moi aussi j'ai franchi les limites car je ne savais pas ce qu'était le respect des limites, du quant à soi et du respect à soi et à autrui, aujourd'hui je me sens humiliée car je n'ai et ne me suis pas respecté(e).
Je suis vouée et vaincue. Je pèse en moi le secret de la honte et du regret, d'avoir blessé, d'avoir trahi, d'avoir semé autour le chaos et la rage d'un secret familial qui m'a bouffé jusqu'à l'extinction. J'ai toujours voulu pardonner, toujours voulu être gentille. Tout le monde a un truc avec moi, ce truc qui fout mal à l'aise, où on sent quelque chose qui dérange dans une identité branlante et pas de niveau. Le pas de niveau, c'est ce mètre que j'observe fière d'aider et aimer mon papa. Papa cède tout, donne tout, sans concessions, juste pour une intimité caustique mais rien n'y fait, sans relâche j'ai l'impression que je suis une princesse, qu'on me valorise et que je vaux mieux que qui que ce soit. Je ne respecte personne, je n'aime que moi et lui, lui qui me veut, moi qui le hais. Je ne veux pas de ça, ça me dégoûte. Je veux d'un père, de bras protecteur et d'une présence rassurante et tranquille. Je veux, moi au fond, un peu de force dans un cœur pour mes prières au ciel, celle d'être aimée sans tâche de sang sur l'oreiller. Ces tâches ce sont les souvenirs, d'un père qui entre, qui regarde le soir dans ma chambre. Un père que je ne trouve pas, ou nu parfois sur des photos encore jusqu'à récemment. Un père qui se trimbale torse nu et dont le corps me répugne. Un père qui conflictuel aime la bataille et l'acharnement dans le dénigrement et dans la peine qu'il me cause. Papa tu es incestueux. Je suis certes dans le déni total mais aussi un peu lucide.
J'ai voulu d'un amour qui déconstruit tout, qui construit une maison et des enfants. Non, ça ne sera pas lui mon enfant. Mon corps ne m'appartient plus, entre mes années de prostitution et le sexe sale, j'trouve rien dans mon corps qui m'étonne encore. Je connais plus mes sensations. Mes règles ne viennent plus. Je n'aime pas le contact physique ni la douleur. J'ai peur de tout mais surtout du grand méchant loup : l'homme au regard hagard qui fauche d'un regard. Qui sait voir tes plaies, appuyer et se faire bander d'avoir réussi. Je déteste. Je sais les regards, je sais les cris dans le couple lorsqu'il va trop loin avec moi. Maman sanctionne mais rien n'y fait, il continue. Elle fait une TS dont elle ne me dira jamais l'objet, pourtant au fond de moi je sais son cri, et ma peur lancinante de la perdre rend désormais la tâche plus difficile. Tu sais mais tu te tais, tu me nies et tu m'oublies. Tu te tais et tu m'abandonnes, pourquoi ? Qu'a-t-il de plus que moi ? Et puis parfois je me surprend "le pardonner serait bien", pourquoi ? Et si cela aidait ? A moi, à me reconstruire. Je crois que le pardon n'efface pas chacun des comportements malsains. Et ceux-là même que j'ai mis en place sans savoir pourquoi. La honte, voyez-vous, de provoquer alors que je n'ai pas envie de ça, moi je rêve d'aimer, d'être aimée et à demi-mot de saisir la main de ce bébé symbolique et d'en faire ma destinée.
Cependant je sais que ce corps n'accueille pas et j'en ai la peur tant de fois. J'ai des pensées toc, des pensées de peur de faire souffrir alors que là seul mon corps me prévient, je m'identifie et je sais aussi que "je ne suis pas ça", mais être c'est déjà trop. Je laisse des mots au tableau blanc, je laisse des mails, des lettres, je dis "je t'aime" avec dévotion mais rien, du vide affectif et du néant. Rien, pas même un bras pour me rassurer, même maman, mère, a su faire son chemin sans moi pour s'épargner de la douleur. Elle a choisi son camp, le camp de l'horreur. Moi aussi je sens et j'éprouve l'horreur. Des sous-entendus, des gestes défendus, des photos qui disparaissent, des photos de mon sexe brûlé enfant... Je remonte le temps, est-ce là bien nécessaire ? Ça gratte encore à cet endroit, aller savoir pourquoi. Je me confonds de honte quand je dis la vérité, alors j'apprends à me taire, "mais maman c'est ce que tu m'as dit", de là nait la dépendance. Je deviens folle de mes parents et je fais tout pour m'en séparer symboliquement, impossible, c'est une danse qui ne cesse que si j'y mets un terme.
J'ai peur de l'avenir et la seule issue que je cherche, c'est le suicide ou un centre d'accueil. Oui, mais j'ai mon bébé chat. Et puis quoi ? Si les soins j'ai remarqué sont long, on propose un logement pour une semaine quand moi j'ai besoin de stabilité. Mes humeurs changent vite. Le sommeil s'empiffre. Je dors peu ou pas assez, toujours sur le qui-vive. Un jour à l'hôpital on me dit comme d'un sursaut "votre père... il vous fait peur ? Il vous a fait quelque chose". Je ne réponds pas mais je sais inconsciemment que je porte son viol symbolique, celui d'avoir franchi mes barrières de toute les manières, et moi dans ma honte, d'avoir cherché un père. La drogue devient un refuge, et la scarification. Le vide en moi est béant. Je ne trouve pas de réconfort, de chaleur et de douceur. Je cherche un homme un vrai, qui saura m'annihiler. Un homme qui saurait détruire chaque étincelle en moi. Je fréquente les hommes pour les dominer et je les hais. Dans le silence y'en a un qui me chagrine, qui me montre qu'on peut être respecté. Je l'aime comme un père, une femme ou une épouse, mais au fond il est juste en acte de me "sauver" et encore, sauver, c'est trop demandé. A qui alors ? Je comprends que je dois me construire seule, sur des ruines, de viols, de pénétrations consenties ou non, sur l'inceste et la prostitution.
Du symbolique au réel je ne sais pas, ma mémoire a effacé ou soulevé les couvercles de l'oubli, mes premiers souvenirs, du moins le premier est un souvenir de sexe. D'autres aussi, souvent le sexe revient tout le temps si bien que pour moi à l'âge adulte il devient tabou. Me toucher pas question, m'aimer encore moins. Je ne le mérite pas, moi (?). Et puis finalement je laisse ça là, pas pour être sauvée ou sauver, mais pour dire qu'un jour je partirai, non pas dans la mort mais de cette maison qui tient encore car je suis là. Un jour ils s'uniront de leur regret, du moins je l'espère, et moi je serai en paix, dans mon espace, avec mon chat, mes chats, ma copine (imaginée que j'espère tant) et mes confections créatives. J'espère avoir pour assurance mon allocation pour vivre, pour ainsi dignement retrouver le chemin de la dignité et du respect que je n'ai pas eu. Je manque cruellement d'amis et de soutiens et je rêve d'une main amicale qui me secoue et me fasse voir ma vrai valeur.
J'écris bien et tout est parti de lui, je voulais l'impressionner et je l'ai toujours fait. C'est le seul lien sain un tant peu soit-il que j'ai conservé. J'espère écrire, à vous, à eux, à ceux qui n'ont que le cœur brisé et l'espoir en berne. Raviver des flammes, écrire des poèmes pour que des cœurs se soulèvent et respirent à deux voix. Aujourd'hui qu'en est-il ? J'apprends lentement à comprendre, me connaître et m'aimer est encore loin mais j'essaye. Je crois que le vice c'est d'avoir été moi au monde, ce que je suis de plus horrible, une erreur de sang dans l'arbre généalogique. Je me regrette vivante, de vivre encore pour ce corps que j'aimerais laisser là. Marqué par tant de passage et de rayures. Toute ma vie lorsque j'entendais pédophilie ou inceste, je me crispais sans comprendre pourquoi. Les vices et l'identification à l'agresseur, l'idée d'être un monstre en moi, de tout mes tocs les plus inavouables. Ils sont là, ils me protègent du monstre, des monstres, mais ils me rappellent à mon humanité.
Je ne suis ni coupable ni victime, juste debout pour parler et écrire ce que ça fait, de ne pas être respectée, aimée comme il se doit. J'ai tant voulu et espéré des liens, mais partout ce fut l'abandon. Je suis de celle qui sont trop. Trop pour être quelqu'un d'assez bien, trop pour être quelqu'un d'assez pur. Quand on a connu si bas, on ne peut que se sentir coupable d'être soi-même descendu aussi bas. J'ai toujours voulu qu'un homme sain me prenne dans ses bras, alors je crois en quelque chose de plus grand et protecteur pour me rassurer, me cajoler d'un amour qui n'existe pas. Je suis moi, sans eux, perdue à moi : j'ai l'impression de n'avoir aucun repère, que faire ? En inventer de nouveaux, ceux qui sont moi. C'est dur de se construire sur des fondations aussi instables, entre les cris de réprimande et l'introjection du parent, du poids laissé sur l'enfant-coupable-monstre de tous les désirs.
Aujourd'hui je suis sauve, d'avoir choisi de rester en vie. Encore il y a quelque minutes je doutais, ce que c'était que de devoir affronter la vie : un combat. C'est aussi une forme de rédemption que ne pas mettre au monde pour ne pas perpétuer les cercles de violence symbolique, psychique, les intrusions et les malaises en fond. Les hontes à demi-ton et les gênes à grand coups de colère. J'ai peur de l'intimité mais à vous, je vous offre mon secret. J'ai perdu le combat de la grâce et de l'esthétique, du bien léché et du propre : je me sens sale et abîmée, mais ma force c'est de résister et même sous leur toit encore, je peux soulever des mains dans l'invisible et trouver un toit à moi. Un peu de temps et de patience, le temps d'affronter le monde du dedans qui me fait peur au dehors. Bon courage à tous, à vous, à ceux qui dans un silence respirent l'essence et le ciel noir sur le crachat de leur mots.