— Du coup, votre sœur ment ? — Non, ce n’est pas une menteuse.
Ces six mots ont ouvert une faille dans ta défense. Pourtant, tu n’as jamais nié les faits. Enfin… si, tu les niais, mais d’une manière étrange. Tu niais en t’incriminant. Tu ne l’avais pas fait, mais peut-être que tu l’avais fait en dormant, tu étais somnambule. Si ça ce n’est pas un mensonge… mais tu avais le témoignage de F., qui t’avait retrouvé plusieurs fois devant le frigo en train de dormir, et celui de ton camarade de chambre d’internat, à qui tu avais touché le sexe pendant la nuit. Est-ce que, si la question avait été « Est-ce que vous mentez ? », tu aurais dit oui ? Est-ce que tu aurais même ajouté tout ce que je n’ai pas dit ? Comme les cunnis, comme la fois où tu as posé ton sexe sur mes lèvres mais que tu n’as pas forcé pour que j’ouvre la bouche, comme la fois où tu as essayé de le faire entrer dans mon anus. Tu aurais dit tout ça ?
Finalement, peu importe ce que tu aurais dit. Cela n’aurait rien changé. Ta vie est plutôt réussie, pas vrai ? Tu as un travail, tu as une copine, tu n’es pas le paria qui a brisé la famille. Pourtant, sur ce papier que j’ai lu et relu des dizaines de fois, il est bien écrit : « F. B., coupable des faits qui lui sont reprochés ». Tu as commencé tes actes quand je ne savais pas encore lire, tu as continué quand j’apprenais à lire et encore quand je savais parfaitement lire. Mais c’est moi qui devrais avoir honte. Et c’est moi qui ai honte. Cette honte qui m’a empêché de tout dire. Et ce ne sont pas les gendarmes qui me l’ont imposée. Cette honte, c’est la famille qui me l’a donnée. C’est M., qui me demande si je suis sûre de ce que je dis, parce que Y. a déjà touché A. quand ils étaient enfants mais que C. lui a mis une gifle et qu’il n’a jamais recommencé. C’est D., qui me raconte un tas d’histoires de frères qui ont agressé sexuellement un membre de leur fratrie et qui sont emprisonnés. C’est L., qui me dit que ce sont des affaires qui se règlent en famille. C’est F. et D., qui alimentent tes mensonges dans leurs déclarations. C’est L., qui dit que j’apporte de la merde dans la famille. C’est A., qui accepte de te loger chez elle. C’est toute la famille, qui nous invite tous les deux aux événements et qui me reproche de ne pas venir. Et enfin, c’est toi, qui as fait ça.
Mais toi, non, tu n’as pas détruit la famille. Tu m’as détruit moi. Pendant cinq ans, à avoir peur du lendemain au point de ne pas dormir, en espérant que le temps s’arrête. Cinq ans avec un nœud au ventre, en attendant le procès. Ces cinq années ont été plus douloureuses que ces neuf années de sévices. J’aurais pu vivre en gardant le secret. Mais je ne sais pas si j’arriverai à réellement vivre maintenant qu’il n’y a plus ce secret. Je t’avais écrit une lettre, quand j’avais programmé ma mort. Dans cette lettre je t’accusais. Je me demande, si cette tentative n’avait pas échoué, ce qu’il en serait advenu. On parle souvent de justice à deux vitesses, mais dans mon cas c’est une famille à deux vitesses. Cette famille ne t’en veut pas, ne me croit pas ou alors pense que c’est une erreur de jeunesse (sacrée erreur qui dure dans le temps). Mais si c’est un pédophile, ça mérite la peine de mort. Si c’est un OQTF, « qu’est-ce qu’il faisait encore sur le territoire »… Cette façon de tout remettre en question sans jamais le faire avec soi-même. Le pire, c’est que j’ai un peu hérité de ça.
La dernière question, c’est : pourquoi as-tu arrêté quand j’ai dénoncé des faits de viol sans savoir qui était le violeur ? Est-ce que c’était de l’amour ? Tu as vu que ça me faisait souffrir et tu as pris conscience de la chose ? Est-ce que c’était parce qu’au même moment tu avais une copine ? Tu ne pouvais quand même pas tromper ta copine. Ou est-ce que c’était de la peur ? Tu as compris que c’était de toi que je parlais.