Suis-je victime ?
Je découvre ce site aujourd'hui, et je pleure. Je pleure parce que je lis vos témoignages, des histoires qui ressemblent à la mienne, sur lesquelles on pose les mots "victime" et "inceste". Je n'avais jamais utilisé ces mots pour décrire ce qu'il s'est passé dans mon enfance. Je n'avais jamais utilisé de mots tout courts.
Il y a deux ans, environ, mon frère m'a envoyé un message. Je m'en souviens comme si c'était hier. Je faisais les magasins avec une copine, je me souviens du malaise qui s'est installé en moi quand j'ai lu son sms. Je me souviens de tous mes membres qui se sont mis à trembler, je me souviens que je n'avais plus du tout envie d'acheter quoique ce soit. "Je suis désolé de ce qu'il s'est passé quand on était petits".
Que s'est-il passé quand "on était petits" ? Je suis incapable de m'en souvenir correctement. Tout est flou, enfoui. A vrai dire je ne crois pas que j'ai envie de déterrer ces souvenirs. Je ne peux même pas dire quel âge j'avais, 9 ans je crois. Je me souviens que l'on dormait ensemble. Ma mère avait un petit revenu et nous partagions la même chambre, elle dormait dans le salon, bien qu'il y avait une autre chambre, qui nous servait de "débarras", qui est devenue sa chambre à lui par la suite. Je crois que mon frère était au collège à l'époque, et moi en primaire puisque j'ai 5 ans de moins que lui. Je me souviens qu'il a initié la chose, et que je n'ai pas dit non. Je ne suis même pas capable de dire s'il y a eu pénétration, je crois que oui. C'était comme un jeu pour moi je crois, je n'ai jamais eu l'impression d'être violée, je crois même que je participais à ce jeu de mon plein gré, n'ayant pas vraiment conscience de ce qu'il se passait. Je sais que je ressentais déjà un malaise à l'époque car mon intuition me disait que c'était "mal", mais jamais je ne me suis sentie victime. Au bout d'un moment, un évènement s'est produit avec l'un de ses amis, il a voulu lui faire "essayer de jouer avec sa soeur", je lui ai fait une fellation derrière un arbre, dans un parc, et je crois qu'il m'a touchée dans notre chambre (je crois, car je me rappelle surtout du générique de Fort Boyard qui passait à la télé à ce moment). Je ne sais même pas pourquoi j'ai fait ça. Je pense que ma mère a été au courant de cet évènement, mais je n'en suis pas sûre puisque personne n'en n'a jamais reparlé, j'ai juste le vague souvenir d'une dispute. Après ça, mon frère a eu sa propre chambre et il ne s'est jamais rien passé. Aujourd'hui, je suis incapable de dire combien de temps ça a duré. Quelques semaines ? Quelques mois ? Un an ?
C'était il y a plus de 10 ans. J'ai 23 ans dans un mois. 23 ans, et quand j'ai reçu ce message, j'ai eu besoin de bousculer toute ma vie. J'ai quitté mon copain, à qui je n'avais jamais parlé de tout ça, car je n'avais plus aucun désir sexuel et que l'on ne s'entendait plus. Et j'ai commencé à voir une psychologue, pour au moins le dire à une personne. Au final je n'ai jamais utilisé de mots pour en parler, je lui ai juste fait comprendre, en disant "il s'est passé quelque chose, avec mon frère". Nous en avons parlé 2 fois, du "tabou", c'est le nom que je donne à mon inceste. Lire les témoignages de ce site m'amène à m'interroger ? Ai-je vraiment été victime ? Je ne me suis jamais considérée comme telle jusqu'à aujourd'hui, même si j'en ai souffert. Comment puis-je aimer mon frère alors qu'il m'a fait ça ? Comment est-ce qu'il a pu me faire ça ? Est-ce qu'il n'est pas victime lui aussi quelque part ?
Je ne peux pas me résigner à le désigner comme coupable. Pourtant, plus les souvenirs me reviennent, plus je pense qu'il l'est. Je n'y comprends rien et ça me fait mal. Je me pose tellement de questions...
Est-ce à cause de ça que je n'ai jamais eu d'orgasme ?
Est-ce à cause de ça que je suis sujette à des dépressions chroniques ?
Est-ce à cause de ça que j'ai vécu des relations de dépendances affectives ?
Est-ce à cause de ça que mon corps me fait tant souffrir ? Ou est-ce à cause du silence ?
Est-ce à cause de ça que mon frère est tellement malheureux dans sa vie aujourd'hui ? Dois-je le plaindre ? Dois-je en parler à notre mère, à notre père, pour que lui puisse aller mieux ?
En écrivant ces mots, j'ai l'impression que je pourrais écrire des tonnes et des tonnes de pages, tellement les questions se bousculent. Je cherche à analyser les effets que cet inceste a pu avoir su ma vie, à savoir s'il est la cause de mon mal être et dans quelle mesure. La vérité c'est que la plupart des réponses à mes questions s'imposent d'elles-mêmes mais que je n'arrive pas encore à y faire face. Mon cerveau n'arrive pas à se dire que c'est réel, que c'était bien moi dans cette situation. Je commence tout juste à comprendre que je suis une victime d'inceste. J'avais 9 ans, j'étais une enfant. Il était en pleine puberté, mon grand frère, censé me protéger. Il m'a utilisé, sûrement involontairement, pour découvrir la sexualité, me forçant à avoir un regard tout tracé sur celle-ci. Il m'a prêté à son ami, comme si j'étais une prostituée. Il m'a dit qu'il voudrait toucher mes seins quand j'en aurais (cette phrase me revient à l'instant). Je ne pourrais jamais regarder Fort Boyard sans y penser. Je ne pourrais jamais aller dans ce parc, où il y a cet arbre sans y penser.
Peut-être qu'il me faudra un deuxième témoignage pour arriver à exprimer ma colère, arriver à mettre des mots dessus. Je remercie toutes les personnes qui ont le courage de témoigner, qui m'ont fait comprendre, qui ont ouvert, via leurs mots, la porte de mon subconscient. Merci.
Votre témoignage m’a beaucoup touchée. Récemment, j’ai lu un livre qui m’a beaucoup aidé et que je trouve très clair et réconfortant « Quand toucher n’est plus jouer, inceste entre frères et sœurs ». Il y a plein de réponses à vos questions. Votre frère a au moins eu la décence de se dire « désolé ». En revanche, il aurait pu, et devra à l’avenir, je vous le souhaite, ajouter « pour ce que je t’ai fait quand tu étais petite » et pas « pour ce qui est arrivé quand nous étions petits ». Lui, était moins jeune que vous, lui était dans la sexualité, lui était dans l’initiative, lui était dans la jouissance de vous comme une chose que l’on peut même prêter. Pas vous.
Je vous souhaite plein de courage dans cet « atterrissage » forcément un peu douloureux mais aussi salvateur dans la réalité, la vôtre. Et puis vous pouvez vous souvenir qu’ici les victimes sont avant tout des survivant(e)s. Victimes oui, mais avec la vie chevillée au corps.
Bravo pour votre courage ! Oui "ça " arrive, les souvenirs vont revenir et ce sera difficile provisoirement. Ensuite avec la conscience de votre vécu traumatique vous serez une nouvelle personne protectrice n'acceptant plus les abus. Courage.