Besoin d'exutoire !

Témoignage Publié le 30.07.2010

Fotolia_1978926_XS"Parce que j'ai tout simplement besoin de formuler les choses à ma façon" et que je ne sais pas faire... court. et que les écrire même sans lecteur, ça fait du bien. Merci Isabelle, encore et encore. Afin d’être peut-être un peu plus claire (pas sûr !) par rapport à mon coup de gueule précédent, il est nécessaire que je trace l’historique de notre passé, bien qu’à la lecture de tous les différents témoignages, je vois bien que nous avons tous la même horrible chose à raconter.

 


Un couple hétéro et trois filles suivies de deux garçons, le premier garçon étant une exigence paternelle pour la postérité du nom, le second présenté comme une erreur de parcours – sorry mon p’tit frère, moi, je suis la deuxième de la fratrie. Mes frères n’ont pas été directement victimes de gestes maudits ou n’ont pas représentés de tentation ou ne s’en souviennent pas. Les trois filles, les aînées, elles, ont été victimes, à tout le moins, d’avoir vécu dans la terreur de se retrouver isolée avec leur père, à défaut d’avoir de véritables et tangibles souvenirs.

 

Ma vie s’est déroulée, plutôt difficilement, mais tout, dorénavant, trouve sa place.

 

En 2008 (j’avais 47 ans), « profitant » de ce que j’étais la seule au chevet de ma sœur aînée, opérée d’un cancer, je nous ai amenées pour la première fois en quarante ans, à parler du comportement malsain de notre père – que nous ne nommons jamais - pour nous c’est « lui », « il », pas autre chose. J’ai lancé une perche à ma sœur pour qu’enfin je sache si les quelques parcelles d’images qui me hantent, sont du domaine du fantasme ou de la réalité, des souvenirs donc.

 

Et en avant pour la grande plongée dans le sordide – on nage en pleine fosse d’aisance.

 

 

 

Oui, il lui a fait des « choses », non elle n’en a jamais parlé à personne sauf au psy qui la suit sporadiquement depuis sa chimio.

Non elle n’a jamais pensé qu’il s’en soit pris aux autres, et puis (à force de déni) nous semblions tellement attachés à la cohésion de notre famille qu’elle ne voulait pas être celle qui mettrait en péril notre bonheur, pensant que nous n’avions rien vu, su, vécu…

Non, elle n’a pas eu de vie de femme.

Non elle n’a pas eu d’enfant.

Oui, elle vit dans un dénuement total et subit et s’accroche à une forme de survie tournée vers la spiritualité afin de ne pas lâcher prise. Elle qui depuis qu’elle a fuit la maison familiale en fuguant dès sa majorité (18 ans – merci VGE), a toujours vécu seule, se débattant pour atteindre ce qui reste de ses rêves de jeune fille, empêtrée dans ce merdier où l’a plongé, depuis l’âge de huit ans 1/2 et jusqu’à son départ, celui qui était sensé nous protéger.

 

Et moi du coup je lui raconte alors, je me souviens du haut de mes 6/7 ans, posée dans un coin de bois avec la consigne impérative d’attendre là et de n’en pas bouger. Et la voiture l’emmène lui, et ma grande sœur aussi. Et le temps qui passe et la voiture ne revient pas. Il est parti avec ma sœur aînée et je m’ennuie sans doute, j’ai peur aussi d’avoir été oubliée. Alors je vais à leur recherche et les trouve pas très loin. Ma sœur me tourne le dos, elle est assise sur ses genoux et il lui parle très près du visage et la tient serrée - fort. Je ne me sens pas bien du tout à ce moment là puis il me voit et me crie dessus, m’ordonne de monter dans la voiture, il m’avait dit de ne pas bouger…! Je crois bien qu’après ça je n’ai plus désobéi – enfant.

Depuis je reste celle qui est terrifiée par les conflits, la colère et les cris qui l’accompagnent ou qui au contraire se comporte en tête brûlée – bagarreuse, teigneuse, violente.

 

 

Ma sœur alors me confirme qu’il s’agit véritablement d’un souvenir. Et me confirme par la même occasion qu’effectivement il se satisfaisait sexuellement de son contact.

 

C’est presque mon unique souvenir d’enfance, en tout cas à ce moment-là.

 

Anéantissement, soulagement de savoir, désespoir de m’être imposée cette vie d’adulte déboussolée ainsi qu’à mes enfants – merveilles d’enfants.

 

Toute ma vie d’adulte je me suis battue contre moi-même, contre ma répulsion instinctive à son égard, parce que je ne comprenais pas pour qu’elle raison il m’était odieux et dégoûtant. Je me suis contrainte à être à la fois une fille digne du respect de ses parents et en même temps le digne fils de mon père puisque le respect et l’admiration parentale me semblaient être à l’usage exclusif des garçons. Bref, une vie de caméléon, multiple et cloisonnée, déchirante, usante, frustrante, dangereuse aussi, insatisfaisante, bref mauvaise et néfaste.

 

Enfin ! Enfin la colère s’explique. Cette rage en moi, contre tout, contre tous, contre moi surtout. Cette envie de tout casser et moi d’abord.

 

Et les images ne remontent pas, mais mes maux, mes cris, oui : l’énurésie, l’anorexie, l’échec scolaire, les comportements inappropriés par rapport à la gente masculine, la fuite à 17 ans, sans aucun « outil » et prête à tout pour ne plus jamais avoir à dépendre financièrement de qui que ce soit, la boulimie, les vomissements, les TS, les maux de gorge, le mal de dos, les nausées, l’impossibilité morale d’allaiter mes enfants (j’avais peur d’éprouver un plaisir physique à la tétée, je n’ai jamais osé en parler à personne !), la distance que je me suis imposée par rapport à mes petits : ne pas trop les toucher et surtout ne pas laisser d’hommes les approcher !

Puis plus tard, un ulcère. Et certainement j’en oublie. Il faut bien faire de la place…

 

Tant de symptômes évidents et personne pour établir un diagnostic !!!

 

Plus jamais de retour en arrière. J’avais 17 ans. Je ne connaissais rien à la vie – mais je ne reviendrai jamais. La petite proie de province était en route pour la Capitale.

 

Rencontre quelques jours après mon départ avec le père de mes enfants à venir, immature, délinquant, colérique, mais pas proxénète, c’est déjà ça. Vers mes 18 ans : trois TS médicamenteuses mais absolument muettes, sans explication de ma part, je suis donc la seule à savoir que quand je me suis endormie ces trois fois-là, c’est parce que j’étais au bout. J’aurai voulu me réveiller mais pas dans ce monde de sourds !

 

Mais comme personne n’a entendu mon hurlement à zéro décibel, et mes TS à deux balles, j’ai donc abandonné la méthode et ai consacré, noyé, mon existence plutôt, dans le secours aux autres. Et parmi les connaissances de mon conjoint, tous plus ou moins en marge, il y avait de quoi faire et assez pour s’oublier. Je fume, je bois.

 

Je m’affame le plus souvent possible.

 

Rien ne me met plus en joie que d’avoir perdu 4 kilos, lorsque je sors des gardes à vue où m’entraînent les délits de mon compagnon, surtout si j’ai bien tenu ma langue ! Au moins un truc que je maîtrise, du moins c’est ce que je crois : mon poids (c’est presque de l’humour aujourd’hui ; ça ne l’était pas à l’époque).

 

Je suis bien évidemment sur-occupée – car de toute cette faune, j’étais la seule à occuper en plus du reste une activité salariée. Alors épuisée certes, mais admirable. Je dépatouillais toutes situations embrouillées avec les administrations, rédigeais des courriers, payais les avocats – qui notamment proposent des rabais sur honoraires contre des avantages en nature, allais aux parloirs, le linge, les courses, et le reste, Alouette… et j’en passe.

 

Sauf que personne n’admirait rien du tout, et mon comportement de mère-pélican qui jettait ses tripes au vent – même pas pour ses enfants d’ailleurs, ils n’étaient pas nés - repaissait tout le monde, me distrayait de mon mal-être, mais ne me procurait pas d’amour en contrepartie.

 

J’étais jeune, jolie, pas mature comme il aurait fallu, mais pas bête pourtant, aujourd’hui je veux le croire. Pas scolaire pour deux sous certes.

 

Il y a encore peu de temps, je me croyais indigne d’un autre intérêt que sexuel, dénuée de neurones, sans compétences professionnelles, avec donc un comportement de serpillière quémandeuse d’affection et de tendresse – ce à quoi j’aspirais mais sans être à même de recevoir. Encore aujourd’hui j’ai du mal à recevoir sans être gênée – sans imaginer qu’il n’y a pas d’attente derrière le cadeau ou l’affection.

Souvent j’essaie de compenser en fric les gestes d’amour ( ?) (j’aillais écrire intérêt ! – comme quoi !) que l’on a à mon égard. Il faut toujours que j’en donne plus que ce que je reçois. Sans doute toujours une question de ne pas perdre la main, le contrôle à tout prix.

 

Qui aurait envie d’aimer et de chérir quelqu’un qui ne dit jamais non, et qui se couperait en quatre pour se rendre disponible, qui accepterait avec un petit sourire triste que malgré tout ça, on l’oublie, on la chahute, on la compte pour quantité négligeable ! Qui voudrait aimer une femme qui ne qui trimballe autant de comportements décalés, opposés – oscillant en permanence entre les extrêmes.

 

Alors effectivement je me néglige aussi. C’est la dépression, non diagnostiquée officiellement. Mais comme on me dit que je suis forte – pour mieux s’appuyer sur moi sans doute, que la dépression c’est quand on s’écoute et qu’on fait preuve de faiblesse, et que ça emmerde les autres, je fais comme si de rien n’était, et tout le monde s’accorde à fermer les yeux sur ma descente aux enfers, seuls mes enfants souffrent avec moi, l’horreur !

Je me suis séparée de mon conjoint en 1994 (17 ans de vie commune ! un « exploit » jamais renouvelé !), comme si il était responsable !

 

Sa rencontre n’était qu’une des multiples conséquences de la violence de mon enfance. La conséquence la plus heureuse étant la présence dans ma vie de mes deux enfants.

 

J’ai « expulsé » mon conjoint de nos vies lorsque ma fille, la cadette de mes deux enfants, a atteint l’âge de 6 ans – en gros l’âge que j’avais lorsque mon père a commencé à s’intéresser à ses propres filles. Après la naissance de ma petite, à qui j’ai fait vivre une grossesse pénible, je pesais 45 kilos (pour 172 cm) dès son troisième mois.  

Comme pour m’ « aider » à m’en souvenir toute ma vie, ma fille n’a jamais, depuis son tout premier biberon – et elle a plus de vingt ans aujourd’hui, jamais donc, terminé sa nourriture, ou son verre. Il lui est impossible de ne pas laisser quelque chose dans son assiette ! Un mini- toc, inoffensif jusqu’à présent. Un petit rappel de mes troubles alimentaires encore accentués pendant ma grossesse.

 

Beaucoup d’errance et de chaos, puis une autre tentative d’aimer un seul homme de 1996 à  2000, alcoolique et drogué, pour changer, enfant battu, de 13 ans mon cadet et dont les parents sont d’une grande toxicité, je l’aimais comme une dingue cela va de soi, mais sa famille me sortait par les yeux et il tenait absolument à ce que nous installions à leur proximité, hors de question ! A l’époque, la mienne me semblait tellement plus présentable !

Un gamin macho, pas sûr de lui et donc hyper-jaloux, me surveillant l’air de rien. A tel point que lorsque j’ai recueilli mon petit frère le 14 février 1999, le petit dernier - après le suicide au gaz d’échappement de sa fiancée un jour de St Valentin, une malheureuse qui n’aura pas eu la chance, elle, de survivre aux turpitudes de son père (ma main à couper vu son parcours – 8 TS, la 9ème sera la dernière !). Mon conjoint du moment me soupçonnais alors de coucher avec mon frère et peut-être même avec le sien qui nous rendais visite, voire même avec tous les hommes qui croisaient ma route, et tout a dérapé et s’est terminé aux urgences psychiatrique.  

 

Le psychiatre de garde me prend à part et me dit que mon ami est convaincant, me regarde soupçonneux, solidaire même de ce pauvre garçon auquel je fais porter, croit-il, les pires cornes de cocu qui existent.

 

Notre histoire ne survivra jamais à ces soupçons. Sans doute une fois encore était-ce dans la droite ligne des mésaventures que je devais surmonter compte tenu de mon enfance.

 

Mais moi non plus je n’étais pas sure de moi, même si je fanfaronnais et me donnais des airs, moi non plus je ne comprenais pas ce que ce beau gosse pouvait trouver d’intéressant à une mère de famille, pas belle, pas intelligente, avec deux enfants à charge, un ex menaçant, violent et envahissant. Ma passion reconnaissante pour lui était telle, que je voulais le lui montrer en lui donnant mon corps en « remerciement » de son amour à mon égard Il devait me prendre pour une nymphomane obsédée sexuelle en réalité. Comment un homme même au meilleur de sa forme n’aurait pas eu la trouille de ne pas être à la hauteur ! Forcément dans son esprit compte tenu de mon supposé appétit : j’allais voir ailleurs !!

 

La nuit du 31 décembre 1999 a sonné le glas de notre histoire.  

 

J’ai vendu ma maison, déménagé 3 fois, mes enfants sous le bras, avant d’atterrir dans la campagne profonde. Exsangue, toujours désespérée, désespérément seule, sans boulot puisque intérimaire depuis des années. Toujours transbahutée entre longues périodes de dépression et euphorie malsaine, avec entre les deux un delta de plus en plus important. Ça fout la trouille. J’ai souvent peur de moi, du mal que je fais moralement à mes enfants et du mal que je voudrais me faire d’être ainsi la mauvaise mère que je juge être.

 

Je plains mes enfants pour l’ambiance pesante qui devait régner dans notre petit cercle de trois personnes. Coupée de tout lien social ou d’ordre privé, encore aujourd’hui non suivie médicalement (j’ai été « abusée » par le dernier généraliste que j’ai consulté – et j’en ai honte !), n’aimant plus sortir, n’ayant plus envie d’être sociable, tendant des perches toujours ignorées par ceux que je croyais mes proches. Ceux dont je croyais qu’ils me donneraient un coup de main, m’ouvriraient grand les bras le moment venu, sous la forme d’un peu d’écoute, pas trop souvent, mais sincèrement. Ceux-là m’ont fait défaut.

 

Je ne leur en fais pas le reproche, c’est un constat. Ce n’est pas donné de savoir écouter.

Nous en parlons
A
Anne_
Publié le 01.08.2010
Inscrit il y a 14 ans / Actif / Membre

à défaut d'écouter, j'ai lu, attentivement.
courageuse mise à nu
des épisodes qui ne sont pas sans rappeler des expériences personnelles

je ne réagirai pas sinon à exprimer ma rage contre nos bourreaux et ces autres, autistes, qui refusent d'entendre cette souffrance et de nous en protéger alors que ce serait leur rôle.

le forum d'Aivi est un doux lieu d'échange où déposer sa haine, sa hargne, sa peine, ses douleurs, et se ressourcer, enfin

à bientôt