Conséquences de la pédophilie

Témoignage Publié le 22.01.2007

Mon histoire ressemble à tant d’autres. A 7 ans, j’ai été victime à plusieurs reprises d’abus sexuels. Je ne raconterai pas ici les faits mais plutôt les conséquences sur ma vie. Tout ce qui nécessaire de savoir est que mon bourreau était un garçon de 14 ans que je considérais comme mon grand frère. Il est arrivé à ses fins sans jamais utiliser de violence physique – démagogie et persuasion étaient ses armes – et je dois même avouer que j’ai ressenti du plaisir lors de ces abus.

Cela s’est arrêté quand il l’a décidé. J’ai alors pensé qu’il était fâché contre moi parce que je n’avais pas bien fait ce qu’il m’avait demandé. Je ne savais pas très bien si j’avais bien agi. Dans le doute, je n’en ai jamais parlé ni à mes parents, ni à mes amis. Le reste de mon enfance fut heureux et je ne me rappelle pas d’avoir eu un quelconque sentiment négatif. L’enfance est ainsi faite, on joue au ballon ou on fait du vélo et on oublie tout. Jusqu’à la puberté…

Quand j’ai découvert la sexualité, tous les gestes, toutes les caresses ont pris une autre connotation. Mon « ami » avait pris du plaisir sexuel et moi aussi j’avais pris du plaisir. De plus, à cet âge, on apprend tous les mots qui vont avec la sexualité : érection, fellation, éjaculation, pénétration, … et je comprenais avec horreur que je les avais tous vécus. J’étais submergé par des sentiments sur lesquels je ne pouvais pas mettre de mots. Aujourd’hui, je le peux :
Trahison : Mon bourreau, je l’ai déjà dit, était pour moi comme un grand frère et j’avais une confiance aveugle en lui. De plus, pour moi, c’était un adulte – il avait le double de mon âge – et donc digne de confiance. Le fait que je comprenne qu’il m’avait manipulé, qu’il avait joué avec ma confiance a engendré un sentiment de tromperie, de trahison profond. M’a-t-il aimé vraiment un jour ou cela n’était que machination pour arriver à ses fins ? Et si lui m’avait trompé, tout le monde pouvait le faire, surtout mes amis. Plus personne n’est digne de confiance et il faut se méfier de tout le monde. De ce sentiment me venait mon incapacité à faire confiance, à montrer mes sentiments ou à éprouver de l’amour. De plus, et c’est toujours le cas, je prends toute rupture – amicale ou sentimentale – comme un drame.


Faiblesse : Je me sentais comme un moins que rien et j’ai toujours très peu d’estime pour moi. Cela vient du fait d’avoir accepté que mon « ami » me touche, de ne pas avoir eu le contrôle. De plus, je me rendais bien compte de mon état et j’avais l’impression d’en faire beaucoup pour le peu que j’avais vécu : j’étais décidément bien faible ! Aujourd’hui, j’ai toujours un besoin maladif de tout contrôler.


Honte : Bien entendu que j’avais honte d’avoir vécu ça. Comment ne pas se sentir honteux dans une société où l’on ne doit rien dire quand est victime d’abus sexuels ? On commence à en parler mais cela reste tabou, ça gêne. On nous dit aujourd’hui qu’on est victime, qu’on a pas à se sentir honteux mais il ne faut surtout pas en parler. N’est-ce pas à cause de la honte que cela engendre ?


Culpabilité : Sentiment qui découle du plaisir ressenti pendant les attouchements. Pourquoi ai-je pris du plaisir lors de cet acte ignoble ? Je sais que certains plaisirs sont mécaniques mais je continue à me haïr et à me sentir coupable d’avoir ressenti du plaisir. Je pense que le pire abus sexuel est celui où la victime prend du plaisir car cela chamboule tous les repères. On n’a pas voulu cet acte et pourtant on y prend du plaisir. C’est ce qui laisse les cicatrices les plus profondes. Une autre raison de ma culpabilité est le fait de ne pas avoir dit non, de m’être laissé faire et d’avoir fait. S’il n’était pas parti ou qu’il avait voulu recommencer, je n’aurais jamais mis de limites. Je me serais laissé faire et j’aurais fait tout ce qu’il m’aurait demandé.
Souillure : C’est certainement le premier sentiment que j’ai ressenti quand pubert, j’ai compris ce qui s’était passé et en même temps c’est le plus difficile à expliquer. A certains moments, tous mes sens se rappellent de cet acte ignoble : la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat, le goût. Les sens ont une mémoire d’une violence inouïe et ils font partager cette mémoire en faisant revivre ce qu’ils ont vécu. Le fait d’avoir été sali expliquait mon incapacité à avoir un contact physique et un certain dégoût de mon corps.

Bref alors qu’enfant, j’aimais la vie et je la vivais à fond, je change radicalement à la puberté. Je deviens taciturne, associable et je ne supporte plus le contact physique. A 12 ans, je fais ma première dépression et mes parents s’inquiètent. Ils essaient de comprendre, me soignent, me questionnent et je comprends que mon état éveille des soupçons. Je me promets de tout cacher et je joue tellement bien mon rôle que mes parents n’y voient que du feu. En y repensant, je me fais la même impression qu’un anorexique qui fait semblant de s’alimenter en public. J’avais certes quelques remarques sur mes carnets scolaires – « ne participe pas » – mais mes résultats sont excellents et mes sauts d’humeur passent sur le compte de la crise d’adolescence.
A 13 ans, je vis mon premier amour et ce jusqu’à mes 16 ans. C’est uniquement grâce à elle que je tiens mais le jour où elle part, je le prends comme un véritable drame. La vie était déjà un combat de chaque jour et ce déchirement me donne encore plus envi d’en finir. Mais le suicide, même s’il est constamment présent, n’est pas une solution car si je me considère comme un faible, j’ai suffisamment d’orgueil pour ne pas finir ainsi alors je me bats jour après jour, heure après heure. Encore une journée de passé. Et encore une. Et encore une… Vers mes 21 ans je passe un cap et je commence à revivre. J’essaie d’oublier et j’ai presque l’impression que cela n’a jamais eu lieu. Je pense que le bonheur est à portée de main et à 26 ans, je souhaite en parler pour la première fois à mes parents pour qu’il comprenne qui je suis et pourquoi je le suis. Ils m’écoutent, ils souffrent mais ils comprennent. En même temps, cela les gêne et ils essaient de minimiser ce que j’ai vécu. Je ne leur en veux pas, je sais que c’est difficile à entendre. Le plus important, c’est qu’ils m’aiment encore et qu’ils me comprennent mieux.


Mais en parler refait tout surgir et de manière encore plus violente. Je déprime et je ne comprends pas pourquoi. Je cherche et je comprends que ce n’est pas ce que j’ai vécu que je dois combattre, mais moi-même. Tous les mécanismes que j’ai mis en place pour me protéger et qui aujourd’hui me bousillent la vie. Dans la foulée, je vais pour la première fois voir un médecin psychiatre. Cela durera 3 séances où il s’est contenté de me raconter des banalités. Pire, il s’est permis de minimiser ce que j’avais vécu et il a considéré que j’avais vécu cela violemment, que d’autres l’auraient mieux accepté. Quel enfoiré quand j’y repense ! Cela aurait pu me détruire encore plus mais mon orgueil m’a sauvé. Me faire juger comme cela m’a mis dans une colère folle, une colère comme je n’avais jamais ressentie. Une colère contre ce psy, contre mon agresseur, contre moi-même et culpabilité et honte ont disparus, faiblesse s’est transformée en force. Seuls me restent encore aujourd’hui les sentiments de trahison et de souillure.


Voilà, aujourd’hui, j’ai 26 ans et il m’a fallu presque 20 ans pour parler de ce que j’ai vécu. J’ai fait un long parcours mais la route semble être encore longue. Pourtant, je suis optimiste car aujourd’hui, je me bats pour changer et non pas pour survivre. Dorénavant, chaque jour est un nouveau pas vers le bonheur et non pas un jour gagné sur la mort.


Je vous souhaite à tous courage et persévérance.