Dans 2 jours je serais en face de lui

Témoignage Publié le 14.09.2016

Dans 2 jours

je serais en face de lui

Je ne sais pas vraiment comment commencer, il y a tellement de choses en vrac ...
Ca y est j'y suis ! Dans 2 jours je serais en face de lui. La dernière fois que je l'ai vu j'avais 8 ans et c'était il y a 20 ans.

Ca s'est passé "qu'une fois" : dans notre maison lors du passage annuel de mes grands-parents maternels (ils venaient chez nous en Haute Savoie tous les étés), la veille de leur retour à Paris.

Mon petit frère et moi étions couchés, mes parents et ma grand-mère regardaient la télé dans le salon. Et lui, il est allé se coucher bien avant eux. Puis il m'a appelée.

Il m'a appelée plusieurs fois avant que je le rejoigne dans son lit. Dans leur lit ...
"Je suis triste que Papy parte ma petite princesse"
"Il ne faut pas en parler sinon mamie ne sera pas contente"
Entre temps il a glissé sa main dans mon bas de pyjama et m'a caressée à un endroit qui m'a donné envie de hurler, de pleurer, de disparaître ... sans pour autant réussir à faire quoi que ce soit.
Puis je suis retournée me coucher.

Ca ne s'est passé qu'une fois et pourtant ça a suffit à faire de ma vie un enfer !

Grâce à une amie

Très peu de temps après, j'en ai parlé à une psychologue venue à l'école pour la prévention des abus sexuels. "Mon corps c'est mon corps ce n'est pas le tien."

Je me demande encore comment j'ai fait, comment j'ai trouvé la force et le courage dans mon tout petit corps brisé, à 8 ans, de comprendre ce qu'il s'était passé, que c'était grave, que non ce n'était pas de ma faute et surtout d'en parler. Une copine de classe m'a entendue, en a parlé à ses parents qui l'ont répété aux miens.

Je crois que je ne la remercierai jamais assez pour ça (nous avons toujours contact aujourd'hui il faudrait que je pense à le faire). Sans elle mes parents ne l'auraient peut-être jamais sû, ou peut-être pas aussi vite, et lui aurait pû continuer ses horreurs autant qu'il l'aurait voulu.

Mes parents ont coupé les ponts tout de suite et m'ont emmenée voir une psy (ce qui ne m'a servi à rien). Ils n'ont pas fait appel à la justice après mûre réflexion et je ne leur en voudrais jamais pour ça, au contraire. Ma mère est passé pour une fille indigne aux yeux de toute sa famille, parce que vous comprenez, elle abandonnait son père malade et alcoolique... seulement personne ne savait rien de ce qu'il s'était passé, j'ai vidé mon sac il y a 4 ans lors du repas d'un enterrement dans la famille et j'y ai appris que 2 des cousines de ma mère y avait eu droit aussi... Ma mère m'a toujours soutenue que elle non, mais je vois bien qu'il y a un problème chez elle, moi je n'en suis pas si certaine.

Ma grand-mère a toujours vécu avec lui, même encore aujourd'hui. Cela fait seulement une petite année que j'ai compris pourquoi mon corps devenait malade avant chacune de ses arrivées chez nous. Je me suis enfin rendue compte que je lui en voulais d'avoir été sa complice, de ne jamais rien avoir fait et en plus, de faire comme si rien ne s'était passé, que c'était avant et qu'il fallait passer au-dessus. Ca va faire un an que j'ai bloqué tous contacts avec elle, je n'y arrive plus alors que paradoxalement je l'aime tellement.

Comme si ce qu'il avait fait ne suffisait pas, même après avoir sû, ma mère ne m'a jamais soutenue et mon père est resté un peu violent. Jusqu'à mon adolescence où là, il a enfin travaillé sur les boulets qu'il traînait depuis son enfance et fait face à ses propres démons. Aujourd'hui il n'est plus le même, nous sommes très proches mais c'est plus fort que moi, ses coups au lieu de son attention sont toujours là..

J’ai commencé à comprendre à la fin de l’adolescence

C'est au début de l'adolescence que j'ai commencé à dégringoler, et seulement à la fin de cette adolescence que j'ai compris que je n'étais pas folle, mais que c'était bien à cause de lui tout ce "bordel" dans ma tête et dans ma vie.

Au collège, j'ai commencé à fumer des cigarettes puis des pétards. J'ai commencé à boire un peu, à faire la fête, à avoir un tas de petits copains (sans pour autant coucher), voire plusieurs en même temps. A 13 ans je sortais de chez moi la nuit par la fenêtre de la cuisine pendant que mes parents dormaient pour rejoindre mes "potes" qui étaient tous bien sûr plus vieux que moi d'au moins 3 ou 4 ans.

J'ai commencé à décrocher l'école, j'ai redoublé ma 3ème, puis ma 2nde. Au lycée j'ai commencé à ne plus aller en cours, j'ai arrêté la danse et le karaté que je pratiquais depuis le plus jeune âge, que j'adorais et pour lesquel j'avais un très bon niveau. J'en suis très frustrée aujourd'hui.

J'ai de plus en plus "fait la fête", j'ai pris des drogues ; l'ivresse et le sexe faisaient parti en quelque sorte de mon quotidien... J'ai commencé à être très violente. Envers moi-même mais aussi envers les autres... Puis surtout avec les autres. Verbalement et physiquement !

Je me suis brouillée avec mon père quelques temps : il ne voulait pas voir la vérité en face ! Non, je n'étais pas une gamine indisciplinée et irrécupérable qui ne méritait que des claques ! J'étais juste une gamine perdue, seule et en grande souffrance. Et ma mère était trop préoccupée par sa crise de la quarantaine, à s'amouracher du mec pour qui elle a quitté mon père.

Mes parents ont divorcé ; mon petit frère bégayait de plus en plus et se vengeait sur moi quand il était contrarié de quoi que ce soit.
J'ai fait une tentative de suicide à 20 ans, devant des amis et mon copain. Beaucoup de "potes" ont disparu... Et oui, les gens qui ne vont pas bien, ou ils sont fous ou ça fait peur, alors on s'en écarte, c'est tellement plus simple.

J'ai arrêté l'école… Puis j'ai rencontré A. Ca fera 10 ans au mois de janvier qu'il partage ma vie (pas mariés, pas de bébé), qu'il survit lui aussi tant bien que mal à travers moi, à travers ça. Il est d'une patience, d'une force d'esprit et d'une compassion extraordinaire !

Aujourd'hui je suis toujours aussi malheureuse et pourtant je suis pleine d'idées, de projets et de ressources. Mais je n'ai plus d'envie d’entreprendre quoi que ce soit et je n'ai plus aucune confiance en moi.

Je me suis mise à mon compte il y a peu car je vivais et gérais très mal mes relations "patron/employé" et même ça, je n'y arrive pas, et pourtant j'aime tellement mon métier.

Je me bats depuis des années pour prendre ne serait-ce que 2 kilos. Je ne dors quasiment plus depuis plus de 5 ans, tout à un goût amer et toutes mes journées sont les mêmes, peu importe ce que j'y fais.

Je me renferme chaque jour un peu plus en me demandant comment c'est possible de me renfermer encore plus qu'hier... Je ne sors plus, je ne supporte plus les discothèques, bars ou endroits où trop de gens sont réunis, je suffoque.

Je grince des dents souvent (pour ne pas dire toutes les nuits, du peu que j'arrive à fermer les yeux), je me ronge les ongles, je suis très impulsive et j'ai l'insulte facile. Je deviens de plus en plus fermée aux autres et à leurs idées.

Il n'y a pas un jour qui passe sans que je pleure, que j'ai mal au dos, au ventre, à la tête, aux muscles, aux articulations, sans que je tape dans quelque chose... Je vomis à la moindre contrariété, je fais des malaises alors que mes examens sont parfaits. Je mange bien et pourtant je maigris à vu d'œil. J'ai des fourmillements et les muscles qui bougent quotidiennement. Je fais des crises de nerfs, de colère, d'angoisse et de tétanie (depuis peu) très régulièrement, quelques fois plusieurs dans une semaine.

Ma vie de couple et ma vie sexuelle sont un désastre, c'est ou beaucoup trop ou rien du tout. Je ne connais pas la demi-mesure, je ne connais que l'excès, l'extrême !

Et pourtant à côté de ça, je suis modèle photo, maquilleuse, très créative et bricoleuse. Un bien joli masque ...

Si je n'avais pas A., mon super héro et la photo comme exhutoire, je n'en serais pas là aujourd'hui. A témoigner ici et à prendre des décisions radicales comme celle que j'ai prise il y a une semaine (mais à laquelle je pense depuis des années)...

Confrontation avec lui

Dans 2 jours je serais en face de lui !!!

J'ai demandé à A. de m'accompagner car je vais avoir besoin de son soutien et sans doute, qu'il me rattrape à l'atterrissage comme on dit.

Mon père m'accompagne volontiers, je sais qu'intérieurement il n'attend que ça, frustré de ne rien avoir sû faire correctement vis à vis de ça.

Et ma mère me parle déjà de la tonne d'anxiolytiques qu'elle prendra avec elle alors qu'elle sait que je n'aime pas ça. Elle est complètement à l'ouest et ne se rend pas bien compte de ce qu'il va réellement se passer.. Elle aussi, elle va se "prendre toute sa vie dans la poire" mais au moins elle sera également à mes côtés. J’avais peur qu'elle n'assume pas son rôle de mère, ce qu'elle a tant l'habitude de faire...

Ma grand-mère ne sait pas que l'on vient et elle devra sortir de la maison, car ce sera seulement entre lui et moi ! Et personne ne viendra me prendre ce moment, MON moment. Pour une fois dans ma vie j'apprends à être égoïste, difficile quand on a toujours vécu pour les autres ou à travers eux... Cependant je n'arrive pas m'enlever de la tête que je vais la voir retourner dans la gueule du loup !

Depuis une semaine que la date est fixée, mon corps fait vraiment des siennes, je crois que ça déborde tout simplement... Et pourtant je me sens tellement sereine à l'idée de le voir... J'angoisse de la situation : que mon père, ma mère ou ma grand-mère éclatent et me "volent" ce moment que j'attends depuis si longtemps. Mais je n’angoisse pas de le voir, bizarrement.

Je n'ai rien préparé, je ne sais pas ni ce que je vais faire ni ce que je vais lui dire... Et puis je ne le connais même pas ce mec ! Je ne sais pas quelle personne il est... a part un taré macho et égocentrique, tripoteur d'enfant, capable de mettre son propre fils dehors, en le menaçant d'un couteau de cuisine.

Je ne m'attends pas à ce que cette rencontre me change la vie du tout au tout, mais il est malade et s’il part avant que je n'ai eu le temps de faire quoi que ce soit, je m'en voudrais toute ma vie. Et je ne pense pas que j'ai besoin de m'encombrer de ce poids en plus.

Je ne m'attends même à rien, si ce n'est que de faire face à un mur arrogant, méprisant et fier.

Je suis impatiente, pressée de lui rendre la monnaie de sa pièce. De me libérer de cette idée de face-à-face qui me bouffe toute la place ! Qu'il ait mes yeux en face des siens : mes yeux de femme et non de petite-fille et qu'il sache qu'à partir de maintenant c'est terminé, qu'il ne me fera plus de mal, que je ne toucherais plus jamais le fond !

Je tenais à dire que je fais ça pour moi bien sûr en premier point, pour essayer de laisser un peu de place à autre chose qu'à ce poison, à peut-être un peu de bonheur et d'envie qui sait ?
Mais je le fais aussi pour tous mes proches, famille, amoureux et amis qui en souffrent aussi à travers mes comportements envers eux, pour toutes celles et ceux de mon entourage à qui c'est arrivé et qui comme moi, tentent de trouver une raison à leur vie. Pour toutes et tous les autres que je ne connais pas, à qui c'est arrivé également, qui se sentent seuls et faibles face à ça et qui n'auront peut-être jamais réussi à trouver ni la force ni l'occasion de s'y frotter.

Pour nous tous, parce que c'est hors de question que ces pourritures continuent à gagner nos vies toutes entières !

Merci à celles et ceux qui auront pris le temps de me lire et à Face à l'inceste de se battre pour nous et avec nous !

Nous en parlons
C
Cr_inho
Publié le 30.05.2018
Inscrit il y a 10 ans / Nouveau / Membre

Merci de ton témoignage. J'ai l'impression que l'on a vécu les mêmes choses, à des âges différents mais je me retrouve tellement en toi. J'ai également le même âge que toi, 28ans. Mon grand-père a abusé de moi de la même façon que toi à l'âge de 16 ans. Plus âgée, mais impossible pour moi de réagir. Je suis restée paralysée, sous le choc, en me disant que ce n'était pas possible. Je suis aussi tombée dans la drogue, le manque de confiance, la fête, le sexe à outrance. Bien que deux ans après l'abus, je n'ai plus eu aucun plaisir sexuel lors de rapports. Je suis quelqu'un de très renfermée, qui ne parle pas. Je suis une thérapie depuis presque 8ans, mais la parole est difficile, toujours trop difficile. Pour la situation familiale, je n'ai réussi à évoquer ce qu'il s'est passé 8 ans après, à ma soeur, deux ans plus tard à ma mère.
J'ai donc de mes 16 à 26 ans, supporté seule les repas en famille, noël, les vacances. Puis on garde le secret, je ne veux pas que ma grand mère soit au courant mais cette situation devient pesante. Elle est constamment avec lui alors je me prive d'aller la voir. Ma famille aussi bloque tout, et ne fait rien pour trouver une solution. On le laisse dans la famille. Je sais qu'il faudrait comme toi que j'ai une confrontation avec lui, mais je m'en sens toujours incapable. Je crois que ça me fait trop peur. Je serai ravi de pouvoir échanger avec toi. Si cela te dit. Bonne continuation et courage pour cette confrontation.

M
Manon34
Publié le 21.10.2016
Inscrit il y a 9 ans / Nouveau / Membre

Merci pour ton témoignage, très bien écrit et clair. Tu expliques bien qu'il suffit d'une fois pour totalement détruire la force d'un enfant, c'est tout a fait vrai, terrifiant, douloureux a lire :sad: je me reconnais dans beaucoup de ressentis que tu décris, douleurs dans le corps, vie sexuelle affreusement compliquée, problèmes patron/employé. Je lis que tu as une grande créativité, c'est super, continue a la laisser s'exprimer :-) je te souhaite bonne chance, bon courage pour cette confrontation avec cet effroyable personnage.. J'espère que tu auras , que tu as tout le soutien qu'il faut..