Extrait de ma plainte contre un mort

Témoignage Publié le 13.02.2007

Monsieur le Procureur de la République,

Par la présente, je porte plainte contre Monsieur X, domicilié....et décédé le ...

J’ai été victime d’inceste par ce grand-père maternel de 11 à 14 ans. Je porte plainte post mortem contre cet homme.

.... récit des faits....

Si je vous ai décrit tous les détails, c’est parce que je veux que vous vous rendiez compte à quel point le silence peut tuer une victime.

Je vous écris et pourtant, je sais très bien que ma plainte va être classée sans suite.

Je souhaite maintenant vous expliquer pourquoi je porte plainte contre un mort.


Je le sais, qu’il est mort et qu’il repose en paix auprès de sa tendre et bien aimée épouse. Tout le monde le sait, qu’il est mort. Il est mort. Mais moi je suis toujours vivante et ne repose pas en paix. Cette paix intérieure que je me tue à chercher, je ne l’ai toujours pas trouvée !! Mon mal est toujours là et peut-être jusqu’à ma mort ?

Lui, il a eu la vie qu’il voulait. Moi, je n’ai que 31 ans et je dois survivre malgré mes souffrances ! Vouloir que l’histoire s’achève parce qu’il est mort, c’est nier mon existence à moi. Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse qu’il soit mort ? Mes souffrances se sont décuplées depuis qu’il est mort et n’ont pas de fin…

Vous, la société, vous croyez que je vais oublier ce qu’il m’a fait et que je vais faire le deuil de mes douleurs ? C’est trop facile ! Il a brisé mon enfance et violé mon adolescence à tout jamais ! Je tente de me reconstruire, de survivre, de dépasser ces maux, mais rien n’enlève ce crime odieux, qui est marqué comme une empreinte indélébile qui ne s’effacera jamais.

Alors, non, je n’ai pas envie de me taire. Je crie, trépigne, hurle, exprime ma révolte contre une société qui ne veut pas reconnaître que l’inceste est un sujet tabou.

Oui, je sors de mon isoloir qui n’est autre que ce silence pesant et braille à tue-tête en vous écrivant. Car même si je sais que ma plainte sera classée sans suite, ça me soulage de m’exprimer.

Oui, je porte plainte pour crier. Je porte plainte pour dire que j’ai mal. Je porte aussi plainte pour me dire à moi-même que j’ai fait le choix de vivre. J’aurais pu choisir de mourir, mais j’ai choisi de vivre tant bien que mal. Je porte plainte pour que le nom de X soit fiché quelque part dans les archives poussiéreuses, pour laisser une trace.

Vous savez, si ma mère m’avait crue à l’époque, j’aurais probablement eu le courage de porter plainte contre mon bourreau.

Je sais au moins que vous prendrez cinq minutes précieuses de votre temps pour lire ma plainte. Peu m’importe qui lira ma lettre. L’essentiel, c’est qu’elle soit lue. C’est que quelqu’un, quelque part, prendra cinq minutes sur son temps pour ouvrir mon courrier, le lire, et me répondre. Ces cinq minutes, ce sont mes cinq minutes à moi. Mes cinq minutes pendant lesquelles ma souffrance existera aux yeux de la société puisque, symboliquement, la société a pris cinq minutes sur son temps pour s’occuper de mon dossier.

Certains diront que je salis la mémoire du mort, que j’encombre les tribunaux avec de la paperasse futile. Mais vous demandez-vous où se trouvaient tous ces gens pour me défendre moi, moi bien vivante et abusée par un vieux pervers ?

J’ai au moins le courage de mettre des mots sur les maux… et ose porter plainte contre un mort. Cela m’est complètement égal ce que vous pensez !

Je vous également écris pour vous demander que le mot « inceste » soit qualifié de crime spécifique dans le Code Pénal. Je soutiens le combat de toutes les associations de victimes d’inceste pour que ce crime, tabou fondateur de notre société, fasse l'objet d'un article spécifique dans le Code Pénal car ce qui est interdit doit être nommé. Je milite également pour que ce crime sur enfants mineurs soit imprescriptible, afin que les victimes puissent porter plainte même des années plus tard, afin de protéger d'autres enfants des agresseurs qui on le sait peuvent faire des dizaines de victimes au cours de leur « carrière » d'agresseur sexuel.

Je dénonce cette endémie qui ravage des milliers d’enfants dans le monde entier, sous le sceau du secret, avec la complicité active ou passive de leur entourage. Des témoignages anonymes sont publiés chaque jour sur les sites des associations de victimes.

A l’heure où je vous écris, une victime subit et n’ose pas parler….

Si vous avez des enfants, vous comprendrez certainement ma démarche.

Au nom des victimes, je vous conjure de faire avancer la loi.

Je vous remercie par avance de me lire, et vous prie d’agréer, Monsieur le Procureur de la République, l’assurance de ma considération respectueuse.