Ils ont préféré étouffer l'affaire

Témoignage Publié le 20.10.2016

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J'ai été victime d'inceste entre mes 9 et 11 ans. Agressée par mon frère ainé, mes parents l'ont appris à mes 11 ans et demi. Ils ont décidé de ne pas faire la moindre démarche juridique ou de soin, car trop embarrassés et choqués que ce soit leur propre fils qui commette de tels actes, ils ont préféré étouffer l'affaire, et n'ont donc pas su faire le nécessaire pour moi enfant en tant que victime.

À l'époque étant enfant, je n'avais pas la moindre idée de mes droits, je ne savais pas que j'étais en droit de porter plainte pour ce dont j'avais été victime. Mes troubles et symptômes liés aux conséquences de l'inceste se sont donc aggravés, je suis devenue une jeune adulte paumée, grandement perturbée, en dépression chronique, mais toujours à rester discrète sur mes souffrances, sans oser faire quoi que ce soit qui pourrait déranger ma famille. Pendant toutes ces années, étant en mal être constant, j'étais trop dépendante émotionnellement de mes parents pour faire la moindre démarche qui puisse leur déplaire. J'avais été éduquée à me soumettre à la volonté de la famille, à protéger l'unité familiale donc à me taire pour ne pas en perturber ses membres, et j'étais bien trop affaiblie par l'inceste dont j'avais été victime, pour me sentir la force de me rebeller contre toute ma famille, au risque de me retrouver rejetée et isolée.

C'est seulement à 33 ans, après un séjour en hôpital psychiatrique, que j'ai réalisé qu'il fallait absolument que je sorte de ce silence et que j'agisse pour mon propre bien être, si je ne voulais pas en mourir, et si je voulais pouvoir reprendre ma vie en main. J'ai donc décidé de porter plainte après 9 mois de réflexion, sans savoir s'il y a pour mon cas prescription ou pas. Même lorsque l'on a souffert, l'idée d'envoyer son propre frère en prison reste difficile à avaler, surtout des années après les faits. Je pense que pas mal de victimes ne font pas la démarche, par peur de trop bouleverser leur famille, parce-que les victimes sont souvent des personnes excessivement empathiques. Je l'aurais fait sans hésiter à l'époque, si mes parents m'en avaient donné le choix, car j'aurais voulu qu'ils éloignent de moi mon agresseur.

Des années après, la question est plus délicate, mais je pense qu'il est important pour nous les victimes d'en avoir toujours la possibilité, surtout que certains agresseurs sont toujours un danger pour d'autres enfants. Je ne voulais tout de même pas prendre cette décision à la légère. J'avais besoin d'en mesurer toutes les conséquences possibles, pour être sûre d'être prête à affronter tout ce qui peut découler de cette démarche. Aujourd'hui, même si j'ai pris la décision de porter plainte, j'ai encore des scrupules, car mon frère à qui j'ai parlé me promet qu'il regrette ce qu'il m'a fait et qu'il n'agresserait plus jamais d'enfant, et j'ai des doutes sur ce que la prison peut apporter des années après si la personne n'est réellement plus un danger. Mais je voulais tout de même qu'il y ait enquête, pour que des professionnels puissent juger eux même de la dangerosité ou non de mon agresseur pour d'autres enfants. Prison ou pas prison, j'ai tout de même besoin qu'il y ait un procès pour me reconstruire, pour demander une réparation pour le préjudice subi, et pour être officiellement reconnue comme victime. (car les conséquences de l'inceste m'ont freinées dans tous les aspects de ma vie, y compris pour le travail, ce qui fait que j'ai souvent vécu dans la pauvreté).

En tant que victime, on ne peut jamais savoir à quel moment on va se sentir prête à faire le pas pour aller en justice. L'emprise familiale est quelque chose dont il est très difficile de se défaire. C'est pourquoi il ne devrait plus y avoir de prescription pour les crimes ou délits d'inceste, qui sont dans les deux cas totalement destructeurs pour une victime. La famille est souvent un frein au rétablissement d'une victime, elle est trop impliquée pour dénoncer l'inceste, et tend à influencer la victime dans le sens de la non-dénonciation. (Dans mon cas, ma mère étant très religieuse, elle me demandait juste de pardonner et de faire des efforts pour vite guérir). La possibilité de se retrouver seule contre tous si on porte plainte, est une épreuve très difficile pour une victime d'inceste, c'est pourquoi il est si difficile pour nous de faire la démarche. Alors merci d'aider les victimes en retirant toute prescription pour l'inceste, pour leur donner la possibilité de porter plainte et d'avoir droit à un procès contre leur agresseur, lorsqu'elles sont enfin prêtes à le faire.

Catégorie: Prescription