Lettre à mon père

Témoignage Publié le 20.10.2014

Lettre à mon père

Je sais très peu de choses de toi et ce que je sais, ma mère me l’a dit et la petite fille que j’étais se  souvient de peu d’autres choses que les moments où elle était clouée sur le lit parental. J’ai très peu de souvenirs de toi autres que ceux-là.

Le plus vieux souvenir de toi remonte à un jour où tu avais mon petit frère, bébé encore, dans les bras et que tu as eu une crise d’épilepsie et qu’il est tombé avec toi sur le sol. On était sur le point de sortir, je me souviens qu’on portait nos manteaux. Je devais avoir 4 ans tout au plus.

Un autre souvenir d’une fois où tu m’as emmenée à la piscine et que tu ne t’occupais pas de moi. Tu avais bien mieux à faire : faire le beau devant des jeunes filles. Je me suis sentie si insignifiante puisque tu ne me regardais pas, je n’existais pas. J’ai du bien te déranger ce jour là, tu aurais peut-être pu conclure si je n’avais pas été là.

Un autre souvenir : en voiture, toi au volant avec un ami et moi derrière, tu as dragué deux jeunes filles, il me semble que tu les as sifflées, tu les appelais « les jolies pépées ». Moi,  j’avais l’impression de n’être rien à tes yeux. Je me sentais laide.

Un autre souvenir : une fessée injuste que tu m’as infligée, le ventre plaqué sur tes genoux, pour avoir coupé les cheveux d’une de mes poupées, cheveux que je n’ai jamais coupés, je peux le jurer. Aujourd’hui encore je ne sais pas si c’était un défaut de fabrication de la poupée ou le petit frère ou une  des petites sœurs passé par là ou encore, plus probablement, un défaut de ton imagination... 

Un autre souvenir, dans ton camion, à me montrer une revue pornographique. Tu m’as dit que faire une fellation (photos à l’appui) pouvait entraîner une grossesse. Con comme tu es, tu le croyais peut-être vraiment… et peut-être le crois-tu encore ? Pourtant cela ne t’as pas gêné avec moi. Tu pensais être à l’abri d’une grossesse avec une petite fille ?

Un autre souvenir, le seul positif et « normal » que peut garder une petite fille d’un vrai père : tu m’as appris à ne pas dépasser en coloriant, en plaçant stratégiquement mon index gauche sur les rebords du motif à colorier.

Et mon tout dernier souvenir de toi : un jour où tu étais avec ta nouvelle femme, sous les fenêtres de la maison, à côté du banc sur lequel j’ai si souvent joué. Elle était enceinte. Je ne sais pas ce que tu faisais là puisque tu avais perdu ton droit de garde. Tu venais certainement narguer ma mère en exhibant ainsi ta nouvelle vie. Je me suis approchée de toi, de moi-même ou alors tu m’as appelée, je ne sais pas. Et tu m’as dit cette phrase : « tu es une saloperie ».  C’est la dernière fois que je te voyais. Et tous les soirs je priais pour que ce futur enfant ne soit pas une petite fille. J’avais 12 ans. Tu sais, elle a bien germé cette dernière petite graine que tu as plantée ce jour-là dans ma tête.  Cela te plaira sans doute de savoir que cette petite phrase assassine a terminé ce que tu avais entrepris : ma destruction.  

Les seuls autres souvenirs de toi sont ceux passés clouée sur ton lit et celui de ma mère. Est-ce parce-que tu étais amateur de prostituées que tu as pensé me dédommager avec quelques pièces : « chut, ne dis rien à maman, ce sera notre secret » ? Peut-être m’as-tu menacée ? Je ne sais pas.

Sous prétexte de cours d’anatomie tu m’as salie. Tu me dégoutes. Je n’aimais pas ce que tu faisais avec moi. Je ne sais pas ce qui a pu te laisser penser que j’ai pu aimer ça. Peut -être même ne t’es-tu pas posé la question ! Peut-être même t’en moquais-tu éperdument ! Seul ton plaisir comptait ! Pourquoi ???????????????????? Pourquoi m’as-tu fait ça ???????????????????????????????

Tu as quoi dans le cœur, dans la tête ????? Il n’y a que ce que tu as dans le slip qui compte ??????????????

Tu me dégoutes.

Clouée sur ce lit, tu n’as pas eu besoin de me ligoter, je suis restée sage, étendue, raide, inerte, morte. Je ne pouvais pas m’opposer, je n’y pensais même pas. Je ne pensais plus à rien, seul mon corps était là, tel une coquille vide. Tu m’as fait tellement mal. Mal dans mon corps, dans ma tête, dans mon cœur, mal dans ma vie d’aujourd’hui encore. Comment te faire comprendre ? Je voudrais que tu ressentes cette douleur, cette souffrance. Elles prennent tant de place. Il y a des jours où je me dis que le seul moyen de les faire taire serait d’arrêter ma vie.

Ce que tu as fais à mon corps, à mon âme est indélébile. Tu m’as volé mon enfance, ma vie de femme, ma vie toute entière.

Aujourd’hui j’ai 45 ans et j’ai peur de tout. Tu m’as volé la liberté. Quand on aime un enfant, on lui donne des racines et des ailes. Toi, tu as coupé et brulé mes ailes, tu as arraché et piétiné mes racines. J’ai honte de tout ce que je suis, honte même de mon nom, de mes origines. Seulement, ce nom, c’est aussi celui de mon grand-père, ton père. Je l’ai à peine connu, ainsi que toute ma famille. J’aurais tellement voulu pouvoir t’admirer. J’aurais tellement voulu être fière de cette grande famille dont tu m’as privée. J’aurais voulu en faire partie et qu’elle soit fière de moi.

Aujourd’hui, je regarde en arrière et je vois à quel point tu as pesé dans chacun de mes actes.

Il est impossible de réparer. Rien ne pourra calmer ma colère. Rien ne pourra m’apaiser. On me dit que je dois pardonner mais ne pas excuser l’inexcusable. Et que je ne dois pas le faire pour toi. Que je dois le faire pour moi, pour sortir de ce cercle vicieux, infernal, invivable, insoutenable. J’aimerais dire que, oui, je te pardonne. Malheureusement, pour moi, j’en suis encore très loin. Tu le sais d’ailleurs, quand je suis seule, en voiture et que je te balance, comme on le fait à la décharge, toute cette haine que je ressens pour toi. Seulement, cette haine, même en te la criant, en te la crachant, en la pleurant, je repars avec. Elle me colle à la peau.

J’ai essayé de penser à toi différemment. Ma mère m’a dit que tu aimais le modélisme et que tu avais la « bougeotte ». J’ai même essayé d’être fière d’avoir ce dernier point en commun avec toi, car longtemps, j’ai déménagé souvent. Gamine, j’ai même pensé passer mon permis poids lourds et faire le même métier que toi : routier. Beurk ! Tu me dégoutes tellement. J’ai essayé de t’aimer, de t’admirer. Je pensais ainsi que je finirais par m’aimer, par être fière de celle que je ne suis pas devenue. Je pensais aussi que tu finirais bien par la voir, cette petite fille que tu n’as su regarder que comme un objet sexuel. Que tu finirais bien par l’aimer aussi.

Quand mon beau-père m’a annoncé ta mort, j’avais 12 ans, je ne savais pas ce qu’on attendait de moi : devais-je sauter au plafond ? Devais-je pleurer ? On m’annonçait la mort de mon père et encore une fois, déjà, coupée de mes sentiments, rien n’avait plus d’importance que de réagir conformément à ce qu’on attendait de moi !!

Au point qu’aujourd’hui je ne sais toujours pas si j’ai été heureuse, malheureuse ou indifférente à la nouvelle de ta mort. Il m’est souvent arrivé, dans les années qui ont suivi, de voir dans mes cauchemars, que je te tuais, que je cachais mon crime et ton corps à mon entourage. Il est vrai que mon beau-père et maman ne l’ont dit qu’à moi, « la grande » (d’un an seulement !) et m’ont demandé de taire la nouvelle aux plus jeunes. J’ai porté seule cette nouvelle pendant un certain temps.

J’ai aussi souvent pensé que si tu étais mort, au volant de ton camion, c’était à cause de moi. Peut-être pensais-tu à tous les soucis que je t’ai donnés en te dénonçant à maman.

Parlons-en d’ailleurs, de ce qui a suivi après cette dénonciation : tu as su écarter la seule personne qui pouvait me protéger en faisant interner maman. Tu faisais d’une pierre, cinq coups : la mère internée, les enfants placés ! Casés comme des petits chats : deux dans une « famille » d’accueil, deux dans une autre. Arrachés à la famille, arrachés à notre environnement, largués dans une école inconnue, sans un mot, sans la moindre explication. Bravo ! Tu as fait très fort. Débarrassé de la bonne femme et des quatre gosses. Tu n’es vraiment qu’une grosse merde.

Des années après, seulement, j’ai souvent et longtemps pleuré le père que tu aurais du être. A cause de toi, j’ai toujours eu et j’ai encore toujours peur des autres, en particulier des hommes. Te rends-tu compte qu’adolescente, je changeais de côté si un homme se trouvait sur le même trottoir que moi !! Je ne voulais pas le croiser ! Il y a des jours où je ne supporte pas la lumière, j’ai honte de mon visage, honte de mon corps.

Adolescente, je me considérais comme étant le  monstre de la famille. Je me sentais désespérément seule et laide. Différente des autres « normaux » et tellement incomprise. Je suis partie de la maison, j’ai fugué plusieurs fois.  Je suis retournée sur les pas de ma toute petite enfance, là où je suis née, là où tu es né aussi. Je suis aussi repartie vers les pas de mon enfance. J’ai revu l’immeuble, le balcon abritant la chambre du lit sur lequel tu m’as clouée. Je crois que j’y suis morte, sur ce lit. Que j’y suis restée clouée. Je ne sais pas ce que je suis allée chercher en retournant sur mes pas.

A cause de toi, j’ai eu terriblement peur d’avoir des enfants, de choisir le bon père, de devenir maman. Mes filles, tes petites filles, ont 10 et 8 ans. A cause de toi je ne sais pas comment les aider à affronter ce monde. Je me souviens, cela a duré bien après la première année de la plus grande, je me souviens comme il m’était difficile de faire sa toilette, au moment du change. J’avais l’impression d’avoir des gestes déplacés, intrusifs. Et je ressentais la douleur dans mon propre sexe alors que j’avais des gestes extrêmement doux vis-à-vis d’elle. Même ça, tu me l’as pris.

Je ne comprenais pas, quand on me disait que les « secrets de famille » se reportent sur les générations suivantes. Tu m’as salie jusque dans mes relations de maman avec mes enfants.

Maintenant, j’aimerais que tu répondes à ces questions :

Pourquoi ???????????????????? Pourquoi m’as-tu fait ça ???????????????????????????????

Reconnais-tu les faits et regrettes-tu les gestes que tu as eus envers moi ?

Pour me mettre à ton niveau : auras-tu les couilles de répondre à ces questions ?

V. (= ta fille ainée, parce-que même là-dessus, je ne suis pas certaine que tu saches qui est qui de tes enfants.  Je précise : tu as dis à maman que tu souhaitais avoir la garde des deux plus jeunes et tu n’as pas su citer les prénoms correspondants ! Très drôle, je suis morte de rire…).