Lettre à un mort

Témoignage Publié le 20.04.2015

Lettre à un mort

"1° Novembre 2004 - Lettre à un mort:

Tous les ans à la même date, aux mêmes lieux, certains vont fleurir les tombes de leurs défunts, hommage aux souvenirs des temps heureux partagés avec ceux-ci, hommage qui durera le temps que ces fleurs se fanent et pourrissent, jusqu'à la prochaine fois.

Moi j'aimerais pouvoir dire de mon passé que certains actes ne sont plus que souvenirs. Mais les conséquences de ceux-ci sont toujours là, elles ne veulent pas se faner, pourrir, et disparaître à jamais.

Elles font partie de moi, elles sont en partie moi.

Avant de sembler n'être que souvenirs, elles ont forgé mon enfance en la désaxant du juste chemin, depuis elles m'empêchent de grandir, elles m'empêchent de rayonner, elles m'empêchent d'avoir confiance en moi, elles m'empêchent d'être pleinement heureux et moi.

Elles me pourrissent l'existence.

Elles viennent de toi, tu en es le créateur, tu me les as inoculées.

Toi l'homme intelligent, chercheur, cultivé, tu avais le pouvoir de m'aimer et me protéger de toi.

Toi le père admiré, écouté et suivi par tes enfants, tu avais le pouvoir d'imposer tes désirs à ceux que tu dis aimer, et sans résistance de leur part.

En pesant entièrement les risques et en pleine possession de tes moyens, tu as choisi, tu n'as pas tenu compte de tes enfants, tu n'as écouté que tes désirs.

Tu as abusé de tes pouvoirs, je ne l'ai ni refusé, ni accepté, tu m'as imposé tes actes pédophiles, à moi, ton propre fils, tu m'as choisi comme proie, j'en paie encore les conséquences.

Elles me pourrissent l'existence, tu en es le responsable.

De plus tu as royalement, fièrement, froidement ignoré en d'autres circonstances tes enfants, trop préoccupé par la reconnaissance sociale, politique, intellectuelle et autre de ta propre personne.

Tu n'es plus là pour l'entendre, mais moi, "l'adulte" de 44 ans, moi l'époux, moi le père de la seule petite fille que tu aurais pu connaître si tu étais encore en vie, j'écris (j'aimerais un jour pouvoir le crier) et je pense que tu ne mérites pas d'être père, je ne te reconnais pas les qualités essentielles associées à ce titre, tu n'en as pas tenu le rôle comme il se doit.

Je ne te pardonne pas d'avoir désiré des enfants dans le but essentiel d'acquérir le titre de père, indispensable selon toi pour t'asseoir confortablement dans la société.

Je ne te regrette pas, je regrette l'enfance heureuse et normale que je n'ai pas eue car tu ma l'as prise.

Cette lettre, je suis parti la "poster" le jour de la fête des morts au cimetière ou reposent les cendres de mon père.

Depuis 1991, année du décès de mon père, je n'étais jamais retourné en ce lieu, je ne savais plus où exactement reposait ces cendres.

Pour passer inaperçu parmi la foule de visiteurs, j'avais acheté au côté du cimetière un petit pot de fleurs.

J'avais l'intention, initialement, de poser la lettre bien en vue à l'endroit ou se trouvent les cendres de mon père. Au vu et su de tous.

Entre temps, en traversant tout le cimetière, j'ai glissé la lettre dans le petit pot de fleurs que je transportais, me disant qu'elle serait bien un jour découverte.

Finalement, face au lieu du repos des cendres, j'ai glissé la lettre dans un interstices entre deux dalles de béton.

La pluie, les vers, le temps, le pourrissement réduiront à néant cette lettre.

Coup loupé.

Nous en parlons
L
Louane
Publié le 12.05.2015
Inscrit il y a 9 ans / Nouveau / Membre

Merci beaucoup pour ton témoignage, pour ce partage. C'est un bon début en tout cas ou une étape importante. Je t'encourage à poursuivre ton travail sur toi. Il n'y a pas d'âge pour commencer ou poursuivre une thérapie et apprendre à vivre autrement, en paix avec soi-même. C'est un long parcours, mais ressentir la sécurité intérieure et l'amour de soi quand on a été victime de l'inceste, c'est un trésor qui se cultive. Tu as en toi les ressources pour découvrir ces trésors en toi et te réconcilier avec ton être profond. Pour ma part, c'est grâce à l'accompagnement d'une psychothérapeute certifiée et à un travail basé sur la parole mais aussi sur le corps (massage ayurvédique), les rêves et la création artistique (art-thérapie) que je me réconcilie avec moi-même et avec la vie. Bon courage à toi

T
takatitapakite
Publié le 05.05.2015
Inscrit il y a 10 ans / Actif / Membre

Symboliquement coup réussi et courageux ...

A
aurélo31
Publié le 05.05.2015
Inscrit il y a 9 ans / Nouveau / Membre

Je comprends et partage entièrement moi aussi ta douleur! Ecrire est une très bonne chose, pour ma part c'est ce qui a fait accélérer ma thérapie. De là-haut au moins ton père ne pourra plus faire de mal à personne.