Partagé en 2, perdu

Témoignage Publié le 22.01.2007
Lorsque je suis monté sur scène l'autre soir avec mon groupe de musiciens j'ai réalisé que je vivais 2 niveaux de conscience simultanément. Sous la pression du stress j'ai retrouvé ce sentiment si familier d'être à 2 endroits à la fois : sur scène bien sûr, c'est la réalité objective mais à peine présent, mû par des automatismes, priant que tout se passe bien, qu'un ange gardien prenne la relève de ma conscience exilée tout au fond de moi, loin, très loin de ce qui se passe dans le monde, une conscience sous l'emprise de la peur, et un sentiment de grande solitude. Combien de fois dans ma vie me suis-je retrouvé dans cet état d'absence au monde ? A chaque fois que j'ai eu peur, mal, lorsqu'on m'attaque physiquement ou verbalement, dans les épreuves, dans la violence. Où est-il le réel lorsque je suis soudainement adossé au fond de mon esprit, traqué, retranché, perdu ? Je réfléchis à cette capacité étonnante de me dédoubler dans certaines situations. Oui, très souvent je réalise que je vis sur 2 plans : dans le monde où, semble-t-il j'assume mes responsabilités où j'ai des compétences mais aussi dans une grande solitude au fond de moi, avec un doute douloureux sur tout ce que je peux réaliser, car je n'y suis pas, je fais des choses mais je n'y suis pas. Je m'étonne de vivre encore quand tout est si bizarrement mort en moi.
Bien sûr je repense à ce père qui m'a plongé dans de telles violences. Je ne ressentais plus rien sous ses coups. Ce n'est que lorsque je revenais habiter ce corps que je me mettais à ressentir toutes ses douleurs et à désespérer de vivre. Et puis il y a cette trahison profonde tout au fond...
Isolé, perdu, ces expériences répétitives me troublent. Je vois les autres qui ont vraiment vécu l'instant présent et à qui je n'ose avouer que moi, j'étais ailleurs, un petit garçon exilé en lui même, replié sur une douleur étonnante, tant d'années après. Et je me dis que je ne vis pas cela par hasard. Il y a quelque chose à décoder sans doute. Mais les années s'écoulent et parfois je désespère parce que j'ai l'impression que ma vie se vit sans moi, que ma vie m'a été volée et je ne sais plus habiter ce corps qui s'affaisse inéxorablement.