Pourquoi tant de dossiers classés sans suites

Témoignage Publié le 04.11.2007

Je suis un ancien Officier de Police Judiciaire de la Gendarmerie Nationale. J'ai traité de 1988 à 1994 des dizaines de dossiers d'incestes et de viols sur mineurs. Très peu de dossiers ont été classés sans suite. C'était avant cette loi obligeant de fixer sur film vidéo l'audition de la victime.
C'est vrai qu'une affaire d'inceste ou de viol de mineurs de quinze ans n'est pas une affaire simple. Le mineur (fille ou garçon) ne peut pas se confier à un inconnu comme ça, il lui faut le connaître, lui faire confiance. Il faut aussi à l'enquêteur la volonté d'aider cette vistime, lui donner le statut de victime.

Je me souviens que des auditions de victimes demandaient plusieurs heures, souvent une à deux heures pour faire connaissance, puis encore plusieurs heures pour coucher sur le papier les dires de l'enfant. Cette audition souvent entre-coupée de périodes de pause pour boire un jus de fruit, manger un gateau ou se promener.

J'y est passé des heures, des jours et des nuits pour écouter les enfants qui avaient été abusés. Il n'est pas besoin d'être psychologue pour procéder à l'audition d'un enfant victime de viol. Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. (article 222.23 du Code Pénal) La contrainte n'est pas nécessairement physique, elle est le plus souvent morale. Combien d'enfant ont laissé leur père ou mère perpétré sur un des agressions sexuelles, des viols parce qu'il ne savait pas que c'était mal, parce que leur agresseur leur disait que c'était normal, qu'il ne fallait surtout en parler, que c'était un secret. Combien de jeunes filles sont venues me voir convaincues que leur tortionnaire ne serait jamais condamné et pourtant ils l'ont été.

Aujourd'hui l'enquêteur se trouve devant une caméra, une audition ne doit pas prendre plus d'une heure. Ne connaissez-vous pas d'enfant qui, se trouvant devant une caméra perdent leur courage ou alors veulent en dire plus. J'ai vu les statistiques chuter lorsque la vidéo a été mise en place, lorsque les enquêtes ont été confiées à des OPJ qui refusaient de prendre le temps d'écouter la victime sans pour autant lui donner de l'importance. Pourtant lorsque je débutais une enquête de ce genre, je partais toujours avec l'idée de l'enfant me mentait, qu'il était manipulé. Pourtant plus de 90% des enquêtes que j'ai menées dans le département du Cher ont abouties à de lourdes condamnations.
Redonnont à l'enquêteur le temps de faire son enquête, il s'agit pas d'un crime de sang, d'un vol ou d'un autre délit, mais il s'agit de l'agression la plus abjecte que l'enfant puisse subir. Lui donner son statut de victime, c'est lui re"donner un peu de son honneur perdu.

Je ne sais pas si vous publirez ce texte. Je ne suis pas membre de votre association. Je suis résident au Maroc où aussi malheureusement l'inceste est courant, mais où les autorités ne veulent pas voir ou ne veulent pas savoir.

Alain DROVAL