Témoignage femme : 15 ans après

Témoignage Publié le 10.03.2006
Il est tard. La lumière est allumée. Mon livre encore ouvert, je ferme les yeux.
Soudain je les ouvre et vois, à côté de moi, une peluche qui me regarde.
Un flash.
Ce sont des yeux qui me scrutent dans l’obscurité.
Je me mets à pleurer sans trop savoir pourquoi, mais de toutes mes forces.
Cet homme, je le comprends plus tard, n’est autre que mon grand-père, qui me faisait des visites nocturnes et me violait.
Ça s’est passé il y a 15 ans. J’étais une jolie petite fille de 7 ans aux cheveux très longs.
Plusieurs signes auraient du faire remarquer à ma mère et ma grand-mère que ça n’allait pas.
Je me suis fait couper les cheveux à la garçonne, je me suis rongé les ongles, mes notes ont baissé. Mais descendre de 19 à 17, ça ne se voit pas.
J’ai dit un jour que j’avais mal au zizi.
Personne n’a rien compris, et ma mère continuait de m’emmener là-bas.
Le jour où je lui ai dit que je voulais passer par la fenêtre, elle a décidé de me faire consulter un pédopsychiatre qui lui a dit que j’avais un problème.
Voyant les choses du haut de mes 7 ans, rester enfermée avec un homme que je ne connaissais pas et qui me posait un tas de questions n’était pas agréable. J’ai donc voulu arrêter de le voir, elle n’a pas insisté.
Il a commencé par seulement me regarder, sous la douche la première fois.
Puis je me souviens de ses mains posées sur moi, sous les couvertures.
Il m’a dit que je devrais dormir toute nue, que c’était « mieux ».
Puis est arrivé ce qui devait arriver, il est allé plus loin, il m’a violée.
Le jour où j’ai vu une tache rouge sur mes draps, je n’ai pas compris.
D’où cela pouvait-il venir ? Pourvu que personne ne le voie.
Quand mon grand-père montait dans ma chambre, je faisais semblant de dormir, espérant qu’il partirait au plus vite et me laisserait tranquille.
Quand il me violait, je me dédoublais, j’étais ailleurs, attendant que cela cesse.
Je me rappelle avoir poussé une exclamation. Sa réponse, un souffle, « chut ».
Je me souviens avoir pleuré, une fois, seule, tapie dans un coin.
Il me disait que si j’en parlais, personne ne m’aimerait plus. Souffrant déjà de l’absence d’un père, cette hypothèse était pour moi inconcevable.
Sachant que je continuerais de le voir souvent, il m’a fallu me protéger moi-même, donc tout oublier, faire comme si rien ne se passait.
Et puis c’était une marque d’affection, comme il disait.
Alors j’ai tout refoulé pendant 15 ans.
Les enfants ont cette faculté de ne pas mesurer leur malheur.
Le terme stress post-traumatique me correspond très bien.
Définition : signes manifestes de détresse psychologique montrés par les victimes de violence.
Tensions entre le besoin de trouver un sens au passé et la volonté de fuir la réalité.
Voici quelques exemples : troubles alimentaires : succession de boulimies et d’anorexies mentales ; dépression ; sursauter exagérément aux bruits, hypervigilence ; avoir tout à coup du mal à rassembler ses idées ; troubles du sommeil ; dissociation ; oubli de certains détails, si le choc à été vécu dans un état de dissociation, il est possible que les souvenirs soient flous, imprécis, mis en doute : « est-ce que j’ai rêvé ? ». agressivité ; irritabilité ; sentiment de culpabilité ; automutilation…
Tout cela fait partie de moi. Aujourd’hui, j’ai du mal à faire face. Je ne me rappelle pas de tout. Comment ça a fini par exemple, peut-être le jour où j’ai dit « non ».
Pour me reconstruire, j’ai besoin qu’il avoue, et qu’on me croie.


LA RENCONTRE



Je suis allée voir mon grand-père un dimanche. J’étais accompagnée de ma tante, mon oncle et ma mère : ses trois enfants.
Je voulais l’avoir en face de moi, seul à seul.
Je ne savais pas vraiment ce que j’attendais de cette rencontre. Qu’il avoue était trop espérer. Je voulais lui dire que je savais, que je me rendais compte de ce qu’il avait fait, et qu’il se rende compte que c’était grave.
J’avais une trouille pas possible, j’ai même failli m’évanouir.
En bas de chez lui, je devais prendre du courage, j’avais besoin d’entendre les gens qui me soutenaient. Et puis d’un seul coup, je l’ai vu, de dos, il sortait ses poubelles.
Je me suis effondrée dans la voiture et nous sommes allés plus loin, il ne nous avait pas vu.
Lorsque j’ai pu me redresser, nous y sommes retournés.
J’avais très peur, je respirais très vite et ne tenais presque pas debout.
Nous sommes montés, ils ont ouvert la porte, et j’ai pu le regarder sans faiblir.
Je lui ai dit : « Il faut qu’on parle. » « Facile. »
Non, pas facile.
On s’est assis et je lui ai fait lire le texte, une partie de cette histoire.
Il l’a lu entièrement, en soulevant les sourcils, il avait l’air surpris.
Il a relevé la tête et m’a dit qu’il ne s’agissait pas de lui.
Il était très calme, c’en était déconcertant.
Je me suis énervée : « Dis moi au moins que tu venais dans ma chambre le soir ! »
Il a joué à l’imbécile : « Quelle chambre ? »
Je me suis énervée de plus belle et il m’a dit que non, il ne venait pas dans ma chambre.
Furieuse, je me suis levée, lui ai arraché le papier des mains, et lui ai donné une claque.
Sa tête a bougé, puis est revenue à sa place. Il me regardait, un peu comme une folle.
J’ai recommencé, je l’ai frappé de toutes mes forces. C’était irréel.
Il a essayé de sortir de la pièce mais je le retenais, et le frappais. De toutes mes forces.
J’essayais de faire sortir toute ma violence et toute ma haine.
Lui, il m’a donné des coups de poings.
Il a finalement réussi à sortir et s’est précipité de l’autre côté : « Dominique, calme ta fille, elle est folle ; elle m’a frappé. »
Ma grand-mère ne comprenant rien, me regarde et me dit que si je si je suis venue ici pour causer des problèmes, je n’avais qu’à sortir de chez elle.
Sous l’emprise de la colère, je l’ai insultée et j’ai failli la frapper, me retenant au dernier moment.
Je lui en voulais de n’avoir rien vu.
Maintenant je sais qu’elle le savait mais ne voulait pas l’admettre ;
« Ton connard de mari m’a violée quand j’étais gamine! »
Ma grand-mère s’est sentie mal, il a fallu l’asseoir.
« C’est pas possible, c’est pas possible… Moi je sais bien que c’est pas possible… »
Et elle pleurait. Ça m’a déchiré le cœur. Je l’aime, ma grand-mère.
Ma tante et mon oncle se sont mis chacun à un bout de la pièce. Je me suis assise en face de ma grand-mère ; ma mère, debout à côté de moi, lui, debout à côté d’elle.
Le face à face qui aurait dû se produire entre lui et moi a eu lieu entre elle et moi.
Elle s’effondrait, puis se reprenait. Après tout ce qu’ils avaient fait pour moi, comment pouvais-je les traîner ainsi dans la boue?
Elle m’a aussi dit que c’était à la mode, ce genre d’histoire.
Alors un beau matin, je n’ai trouvé de mieux à faire que de venir gâcher leur journée…
Lui, il a nié, c’est tout.
Il n’a presque pas parlé. Si, pardon, il a donné sa parole qu’il n’avait rien fait.
Parole d’un pédophile.
C’aurait pu être le titre de ce récit.
Ma grand-mère savait.
C’est terrible. Elle se doutait et elle n’a rien dit, elle a laissé faire.
Elle ne voulait pas voir.
Elle répétait sans arrêt « C’est pas possible ». C’est mon grand-père lui-même qui m’a mis la puce à l’oreille en disant qu’en plus du fait que ce n’est pas possible, ce n’est pas vrai. Ce sont deux choses différentes, et elle le savait.
Elle a également dit qu’ils étaient venus me chercher à l’hôpital après ma tentative de suicide.
Ma mère le savait-elle ? Non.
« Comme ça tout est déballé ». C’est révélateur pour quelqu’un qui ne sait rien…
Une chose est sûre, je n’ai pas flanché, je n’ai pas douté de moi.
Et j’en suis fière.

Mais j’allais là-bas quinze ans après, quinze ans trop tard.
Ce n’est plus qu’un souvenir pour lui.
Moi, ça m’a tuée à l’intérieur.
Je ne suis plus qu’une coquille vide.
Comment peut-on vivre quand une partie de nous est morte?
Je ne parle pas de l’innocence qui évolue.
Quelque chose en moi s’est brisé petit à petit.

Quand ma mère, son frère et sa soeur étaient mômes, il était sur la route toute la semaine et rentrait le week-end.
C’est bien connu, les personnes travaillant comme ça vont voir les prostituées.
Et ne me dites pas qu’on n’en sait rien ou qu’il ne faut pas en faire une généralité.
Ils restaient quelquefois enfermés dans la cave, seuls, dans le noir.
Il giflait ma mère et frottait les oreilles de ma tante.
Un jour, il a voulu photographier ma mère torse nu…
Un autre jour, il a retiré son maillot de bain, se retrouvant tout nu, et lui a dit de retirer le sien, elle serait mieux…
Et une autre fois, il a mis sa main sur son sein…
Attitudes plutôt ambiguës d’un père envers sa fille.
C’est ce qui a fait qu’elle m’a crue tout de suite.

Aujourd’hui, je dois trouver un sens à ma vie.
Mais elle est tellement vide.
J’essaye de m’occuper mais je ne suis pas motivée.
Je suis fatiguée, fatiguée de ma vie.
Aujourd’hui lorsque quelque chose ne me plaît pas, j’attends que cela soit fini, et j’oublie.

J'ai fait de l'anorexie, de la boulimie, de l'auto-mutilation...

J'ai écrit ce texte il y a 2 ans, pour exorciser, aujoud'hui, je me refuse le droit d'être heureuse, le droit d'être amoureuse...