Témoignage femme: Maudit soit l'inceste

Témoignage Publié le 24.03.2006
Je suis retournée dans ma bulle de silence mais elle ne me protège plus. Normal, j'ai fait rentrer des souvenirs là où l'amnésie avait tissée sa toile.
J'ai cru qu'il était temps de libérer la mémoire, de la laisser me raconter mon enfance, d'ouvrir une brèche salvatrice. Alors, les flashs sont arrivés, violents, insoutenables et je n'arrive plus à colmater la brèche. C'est trop tard, le processus s'est amorcé et je ne peux revenir en arrière. Parfois, j'aimerais ne plus me souvenir et lorsque les images sont trop réelles, je lutte pour les faire disparaître. Mais c'est trop tard, je ne contrôle plus. Cauchemar ou réalité? J'hésite à reconnaître le vrai du faux. Et pourtant, j'ai parlé, à 34 ans, je lui ai envoyé une lettre, je l'ai accusé, je lui ai fait savoir que je ne le verrais plus et que je me libérais définitivement de sa présence, que je décidais de sa mort ce jour là, et le deuil a commencé. Aussi étrange que cela puisse paraître, cela ne m'a pas libéré, cela ne m'a pas soulagé.

La culpabilité s'est imposée et je me suis sentie honteuse, mauvaise, menteuse. J'allais payer un jour de telles accusations, je n'avais pas le droit. Il a dit : "je n'ai rien fait, que me reproches-tu?" Il a dit : "Ma vie est un échec, je perds ma fille, la vie est injuste", il a dit "je ne dis pas que ce n'est pas vrai, mais je ne m'en souviens pas!" Il a dit, je dois souffrir de la maladie d'alzeimer, pourrais-tu me trouver un hypnotiseur pour que je retrouve la mémoire?"

Il a beaucoup dit mais n'a rien reconnu. J'ai parlé à ma mère et cet homme parfait et si gentil est incapable de ce dont je l'accuse. J'ai parlé des autres hommes et eux non plus ne peuvent être des pervers. J'ai parlé à ma soeur et elle ne se souvient de rien. Une belle famille d'amnésiques qui alimentent mes doutes et ma culpabilité. Et si tout cela n'était pas vrai...

Alors pourquoi j'ai vomi mon petit déjeuner tous les matins pendant des années? Hernie iatale, répond ma mère. Pourquoi j'ai avalé des rats pendant 25 ans toutes les nuits, pourquoi je m'endormais la main sur la bouche? Nervosité, dit-elle. Pourquoi des tics nerveux défiguraient mon visage, pourquoi j'ai pris 20 kilos si petite.

Je mangeais trop, paraît-il. D'acord mais pourquoi j'étais couchée des semaines entières pour des sciatiques à 10 ans, pourquoi j'allais à l'hopital pour des crises d'appendicite régulièrement, pourquoi j'avais peur de manger, pourquoi j'ai si peur des toilettes et des salles de bain qu'aujourd'hui encore, cela m'empêche de vivre normalement?

Pourquoi j'ai passé ma vie à me faire du mal, comment ai-je pu réussirà me prostituer et à donner une valeur marchande à ce corps qui avait si souvent servi pour rien? Ai-je tout inventé, les fellations vers l'âge de deux ans, la sodomie dans la salle de bains, pour me guérir de la constipation.

Je devais avoir 5 ans et puis les autres, de la famille à qui mon père m'a prêté, mais eux non plus, ce n'est pas possible. Pourtant je me rappelle qu'on me réveille, je sens l'odeur de l'alcool, je vois ma petite soeur qui se cache le visage. Je me souviens des insultes, d'être une salope et une pute, comme ma mère, d'avoir un beau petit cul, d'avoir des mains qui aiment faire l'amour.

Je me rappelle son double visage, j'ai en moi la terreur de sa présence et cela s'alterne avec l'amour que j'ai pour lui. Car j'étais sa préférée, sa fille chérie, son double, sa moitié. Et je l'ai tellement adoré que je n'arrive pas à le détester. Je perds mes repères. Je suis ma propre victime, pas la sienne. Et je me traîne, je pleure à l'intérieur, je me consume tout doucement.

La vie me pèse, je ne sors plus, je ne parle plus, je végète sans plus savoir où je vais. Seule ma fille me fait me lever le matinalors que je voudrais dormir longtemps et que plus personne ne vienne troubler mon sommeil. Je me sens seule, je me sens vide, je me sens vieille, ma tête explose de viols et de violences, mais je reste debout, parce qu'il va falloir que je console la petite fille qui hurle à l'intérieur de moi