Témoignage homme: Essayer de dire...

Témoignage Publié le 11.12.2006
Essayer, encore une fois, de parler, de raconter, d'écrire, de dire.....

Encore une fois, après déjà tant de fois, mais à chaque fois, ce que j'écris, ce que je cherche à dire, me paraît vide de sens, incohérent, inintéressant et nombriliste. Alors j'enterre ce que j'ai écrit et j'en reste au même point.

Je lis, je dévore même, les témoignages innombrables sur le site inceste.org, et ça me donne envie d'écrire le mien, ça m'encourage à croire un peu en moi, en ce que je ressens, en ce que je constate dans ma vie. Ce que j'ai vécu étant enfant, ce que j'ai subi, je sais bien que c'est là, que ce n'est pas une imagination, que c'était réel. C'était mon père. Inceste père-fils. Faut-il rentrer dans les détails ? est-ce important ? Je ne crois pas. Les détails de ce qu'il me faisait, l'époque où ça se passait, combien de temps ça a duré, tout ça j'ai pu le raconter une fois à quelqu'un, à l'occasion d'un stage de développement personnel, et ça m'a aidé à désactiver ces souvenirs douloureux et à alléger ma culpabilité.

Et pourtant, je continue à aller mal, à vivre mal, à souffrir, à être seul, et à ne pas comprendre. Malgré la thérapie, je n'arrive pas à mettre tout ça derrière moi et à vivre, tout simplement. Chacune de mes tentatives d'être en vie, de faire des choses, de rencontrer des gens, voire d'avoir des relations amoureuses, chacun de ces essais me coûte beaucoup, il faut que je me force, et il faut que je domine ma peur et ma douleur. J'y arrive parfois, j'échoue aussi souvent et je rentre chez moi pour me terrer dans mon trou le temps que la douleur s'apaise, parfois pendant des mois sans presque voir personne.

En lisant les témoignages, je tombe constamment sur des remarques qui me rappellent ce que je vis, qui font écho. Le dégoût de soi, les pulsions autodestructrices, les difficultés relationnelles, les tentatives de suicide, etc. Je voudrais mettre tout cela derrière moi, mais c'est toujours là.

Je suis un "garçon" de 40 ans. J'ai une sexualité bizarre, autocentrée et totalement dominée par un fantasme d'infirmité qui me fait souffrir. Et je suis obsédé par l'envie de m'absenter de moi même, d'ignorer ce qui se passe en moi, d'ignorer ce que je ressens. J'ai un désir de fuite, de repli sur moi même, d'isolement. Je cherche constamment à me cacher, à passer inaperçu, à ne pas être là, à ne pas exister. Ca me fait d'autant plus souffrir que je suis très grand (1m97) et je ne passe jamais inaperçu. Je me vois prendre de l'âge, et je me demande souvent comment je vais finir ma vie. Je me sens bloqué dans une image de moi comme garçon, petit garçon même, vulnérable. Il me semble que c'est ce que je devrais être, un petit garçon vulnérable. Au fond de moi, je suis toujours ce garçon qui a entre 8 et 12 ans et que son père vient "honorer" dans son lit. Un petit garçon qui ne se sent pas à la hauteur de cet "honneur" que lui fait son papa. Qui voudrait satisfaire ce papa. Mais qui ne comprend pas ce que le papa en question fait, ces jeux sexuels, et qui a peur, sans comprendre. Je voudrais que le sexe n'existe pas. J'ai même déjà essayé de me mutiler. Pour me libérer de cette chose répugnante. Je déteste me voir nu dans une glace. Ce truc me fait l'impression d'une excroissance malsaine. Et pourtant, ce truc me domine. Ca se manifeste, ça veut jouir et ça me dégoûte.

Je ne peux envisager d'avoir des relations amoureuses qu'avec d'autres garçons. Avec une femme, ça me paraît impossible, plus qu'impossible même. Avec les garçons, je peux, même si je dois me forcer à dominer mon appréhension. Mais je n'ai jamais réussi à développer de relations durables. Très vite, ça me répugne. J'ai envie d'être seul. Et pourtant, j'ai tellement soif d'amour, de ne plus être seul, de partage. Dernièrement, j'ai rencontré quelqu'un. Il a plus ou moins mon âge, il est doux et respectueux et cela pourrait devenir une belle relation pour nous deux, mais voilà. Après 3 rencontres, je suis dans un état épouvantable. Je suis torturé par mes peurs et ma répugnance et je suis au bord du désespoir. Je voudrais aller de l'avant, mais je me sens de plus en plus figé et incapable, comme atteint d'une paralysie des sentiments et totalement dégoûté par ce que nous faisons avec nos corps.

Pourtant, je veux y croire. J'ai trop peur de finir ma vie seul, isolé, en n'ayant jamais réussi à être aimé et à aimer ne serait-ce qu'un peu. Au moins, j'essaie, même si j'ai peur.

Ben voilà. J'ai quand même réussi à écrire ce que je ressens. Merci de m'avoir lu, et merci à vous tous et toutes, survivant(e)s, proches, parents, ..., d'avoir le courage de dire les choses et de les partager sur ce site. Et merci au site d'exister !