Témoignage homme : ISSUES

Témoignage Publié le 16.11.2006
Ma mère n'était pas originaire d'ici, elle a épousé un commerçant des environs et j'aillais dans une école de Frères. Enfant, j'ai été heurté par des libertés qu'un adulte avait prise par rapport à mon innocence d'enfant, dès l'âge de quatre ans. J'étais toujours choqué qu'un abus de pouvoir se produise mais, comme enfant, je ne me souviens pas d'avoir médité ou ruminé là-dessus. J'ai continué à vivre normalement ou, en tout cas, je le pensais. C'est comme quand je recevais des coups, en réalité: on juge que ce n'est pas acceptable mais les gens nous font comprendre que c'est chose normale et que, en plus, on le mérite. L'adulte est comme un représentant de la Loi. Jamais il ne m'était venu à l'idée de le remettre en question.
A' l'âge de huit ans, un enseignant particulièrement ouvert dans ses dialogues avec nous s'est intéressé à moi. Avec gentillesse et correction, tout autant qu'à mes camarades: il s'agissait d'une personne qui n'avait pas le comportement autoritaire ou réservé des autres instituteurs. Les enfants voyaient qu'il s'agissait d'une personne plus intelligente car cet homme était capable de parler avec nous sur un même pied et avec un grand naturel. Lorsqu'il s'est permis des gestes déplacés, j'ai été surpris et choqué même s'il n'avait été ni violent ni despotique. Aucune trace d'autocratie comme chez un adulte normal, comme les adultes qui s'étaient occupés de nous jusqu'alors. J'ai compris qu'il m'enseignait quelque chose dans un domaine qui avait une existence vu les apprentissages plus choquants que j'avais vécus auparavant. Je n'ai même plus senti de méfiance, seulement une grande surprise. Mais il s'agissait d'un adulte: je n'ai rien remis en question ni n'en ai parlé chez moi, pas plus qu'avant...
Plus tard, des signes m'ont fait comprendre que tout n'était pas net et l'individu devenait "passionné" ce qui était effrayant et choquant. De plus, il approchait d'autres enfants de cette école, que je connaissais. J'ai pu sentir qu'il faisait en sorte de ne pas être vu par d'autres adultes, qu'il se cachait de ses rapports avec nous. Un autre professeur venait nous voir, toujours gentil lui aussi. Il ne s'était pas impliqué et je ne sais s'il était complice ou s'il se posait des questions. Notre bourreau est arrivé à me faire souffrir malgré mes avertissements. Il ne pouvait se retenir que lorsqu'il pouvait imaginer le danger. Je suppose que j'avais appris que la relation sexuelle pouvait exister entre deux personnes quoique sans savoir ce qu'elle signifait ni où elle menait. Toujours est-il qu'à partir de ce moment, j'ai saisi le caractère anormal et j'ai évité cette personne.
Alors, je m'en suis ouvert à la maison malgré une grande peur car je recevais des coups de mon père pour pas grand-chose. Il a été très étrange dans sa réaction car il m'a dit que je devais haïr ce professeur et je n'ai pas compris pourquoi. Aucune plainte n'a été déposée... Le professeur n'a pas été ennuyé ni interrompu dans ses ...enseignements. J'ai su qu'il a été dénoncé plus tard dans un autre centre. Il a alors été écarté de ce travail mais il n'est jamais passé en justice malgré ses aveux partiels. Pourtant, de par son autorité professionnelle sur nous, il était aussi coupable qu'un parent, sans l'être: cela aurait donc été plus facile de le punir.

Les violences physiques et sexuelles provoquent chez nous des confusions que nous pouvons ne jamais surpasser. Nous ne sommes plus capables de définir correctement nos sentiments et nos émotions. Nous sommes affectivement déséquilibrés et les traumatismes affectifs empêchent très souvent le développement intellectuel normal d'un individu. On entend souvent des parents ou des connaissances s'exprimer avec beaucoup de légèreté à ce sujet : soit que les enfants victimes étaient consentants, vicieux ou menteurs. Et pourtant, plus rien n'a de sens dans nos vies : nous perdons le nord, nous perdons l'auto-estime et nous tombons dans l'auto-destruction. Il en va de même pour les garçons que pour les filles. Et, malheureusement, nous nous refermons sur nos difficultés. Les parents, quand ils sont au courant, n'osent pas en parler ou décident que tout est fini une fois les abus interrompus.

En ce qui me concerne, je me suis éloigné des miens qui manifestaient de la honte ou du désintérêt. Je suis devenu la "tête de turc" de la famille et tout est allé de pis en pis. Avec l'alcoolisme, l'isolement et la perte de capacité pour établir des relations durables avec les gens. Lorsque je me suis marié, mon épouse a éludé le sujet (déni) et l'incompréhension s'est vite installée entre nous car jamais personne ne m'avait fait comprendre qu'il s'agissait d'abus ou de crimes et que ce que j'avais vécu faussait mon épanouissement moral. Comme beaucoup d'autres enfants victimes de ces traitements, je vivais dans la honte de moi-même et de ma famille sans en avoir vraiment conscience, jusqu'à la dépression nerveuse. Adolescent, j'étais souvent déprimé, me sentant inférieur à tous et souvent préoccupé de me comparer avec les réussites des autres, ce qui me poussait au désespoir et aux idées de suicide - que j'ai tenté vers l'âge de 20 ans. Ma femme mettait en doute mon équilibre et m'imposait son autorité, s'appuyant sur l'approbation de mes parents puis des siens. Notre ménage commença à flancher, jusqu'à la séparation et l'éloignement de mes êtres chers. J'ai cherché de la compagnie dans les sorties nocturnes, entre les alcooliques notamment, jusqu'au jour où, à force de dialogues, ce qui m'était réellement arrivé m'a été révélé. Une forte dépression nerveuse s'est installée et j'ai perdu mon travail, allant des médecins aux psychiatres, plongé dans l'angoisse pendant des mois et des années. Parmi les psychologues, finalement, une personne m'a compris et m'a pris en charge avec sérieux et patience. De semaines en semaines pendant de longues années, cette thérapeute m'a fait découvrir les origines et les rouages de mon mal. Elle m'a progressivement rendu ma dignité et ma foi en ma valeur propre. LE RÔLE DES PARENTS, LA CULPABILISATION, L' ABSENCE DE RECONNAISSANCE COMME VICTIME, LA DÉMISSION DES AUTORITÉS RESPONSABLES FACE A' LA JUSTICE ET LA LÂCHE TOLÉRANCE DEVANT LES ACTES DES CRIMINELS AVAIENT FAIT QUE, EN MOI- MÊME, JE ME CONSIDÉRAIS COMME UNIQUE RESPONSABLE DE MES ÉCHECS AUX YEUX DE TOUS.

Ayant décidé de m'ouvrir face à la société en général de ce qui avait causé la ruine de ma vie et de mon foyer, comme je le fais aujourd'hui encore, j'ai pris conscience que, malgré les projets de la psychologie et de l'information, le viol, l'inceste et la pédophilie restent simplement choquants, trop déstabilisants pour les gens. Pourtant, c'est pain quotidien : je le sais par les confessions spontanées que je reçois et par mes recherches dans la littérature spécialisée. Pour cette raison, un nombre incalculable d'individus deviennent des épaves ou des malheureux sans espérance de régénérescence ou de réhabilitation face à la société et à leur famille. Les enfants qui subissent l'inceste, par exemple, vont souvent vers la prostitution !! Car les "attentions" reçues des gens qui leur devaient amour et protection ont fait croire à leur subsonscient que "s'offrir" était le moyen d'être valorisés. En plus, la confusion créée dans leur identité et dans les émotions qu'ils ne savent plus correctement définir chez eux-mêmes ou apprécier chez les autres (!) les emportent vers la spirale de l'échec et la solitude.
C'est pareil pour les victimes de coups. Dans le cas où existent violences physiques en plus des violences sexuelles, il est très important de souligner que l'enfant vit constamment stressé et que ce stress s'installe à vie. Plus tard, il va provoquer des dépressions ou des maladies psychosomatiques comme peuvent l'être, par exemple, l'athéro-sclérose, les douleurs de dos chroniques avec hernies, pincements discaux et autres lumbagos, ou encore, des allergies ou de l'asthme. Et, mentalement, une continue et pénible recherche du "pourquoi?" sans jamais pouvoir satisfaire l'angoisse et la soif de reconnaissance.

Voudriez-vous être l'enfant d'une de ces victimes ? Voudriez-vous vivre toute votre leur désarroi ? J'ai parlé à mes enfants: ce sont pratiquement les seules personnes qui m'ont offert en retour leur confiance et leur dialogue. Nous n'en parlons plus habituellement mais ils sont avertis et ils sont restés sereins face à la vie et à ses dangers. Dans leur famille respective, je sais que règnera l'ouverture et la compréhension pour faire face aux problèmes.
Pour terminer, je veux rendre hommage à un écrivain et poète de ma région qui a souffert de tout ce dont je parle et qui, pareil, a perdu l'estime et l'affection des siens, devenu incapable de s'aimer lui-même ni de savoir aimer dans le quotidien de l'angoisse. Lui aussi a vécu dans l'alcoolisme et la solitude. Cependant, il savait écouter et faire porter la parole des gens comme nous. Il a souvent été outrancier car il désespérait de faire cesser les outrages à l'Enfance devant l'indifférence ou l'incompréhension. Il avait voulu créer "sous le citronnier vert, la résistance" mais il est décédé en chemin. Comme je suis né le même jour que son frère disparu très jeune, Jules Brunin m'appelait "frérot" et j'ai souvent eu recours à son ouverture et au réconfort de son amitié.