Témoignages femmes: ma lettre

Témoignage Publié le 21.03.2006
Mal Être


Pendant quarante ans j'ai vécu dans le sauve-qui-peut et dans l'insécurité. Toute petite, de profondes angoisses m'ont habitées et la souffrance m'a invalidée. J'ai été dévorée par les tics, boulimique, anorexique, dépressive;
j'ai sombré plus d'une fois dans des douleurs insondables. Je n'ai jamais
pensé librement à quoi que ce soit : quelque chose de parasitaire et obsédant aliénait mon esprit. Je me sentais mauvaise, coupable, honteuse, sotte, fausse, méprisable. Mal Être


Pendant quarante ans j'ai vécu dans le sauve-qui-peut et dans l'insécurité. Toute petite, de profondes angoisses m'ont habitées et la souffrance m'a invalidée. J'ai été dévorée par les tics, boulimique, anorexique, dépressive;
j'ai sombré plus d'une fois dans des douleurs insondables. Je n'ai jamais
pensé librement à quoi que ce soit : quelque chose de parasitaire et obsédant aliénait mon esprit. Je me sentais mauvaise, coupable, honteuse, sotte, fausse, méprisable.
De toute mon enfance, dans ma famille, je n'ai pas connu les gestes tendres,
la confiance réciproque, l'écoute bienveillante, le réconfort, les mots doux,
les connivences, les plaisirs partagés, les faiblesses acceptées, les bravoures félicitées... Je n'ai pas vécu les histoires le soir, les bisous, les câlins. Chez nous, on se faisait tout juste deux bises par an, quand les parents nous reprenaient au retour de leurs vacances. On ne se touchait pas, on ne se montait pas sur les genoux, on ne se tapait pas sur l'épaule. On ne parlait
de rien d'intime, surtout pas de nos sentiments, encore moins de nos problèmes. La parole des parents ne servait qu'aux brimades, aux reproches, aux recommandations. Quand nous voyions chez les autres s'exprimer des tendresses familiales, les parents avaient immanquablement des formules
pour conjurer cette réalité : "Quels laxistes, ils sont manipulés par leurs gosses!" ou bien : "Qu'est-ce qu'ils sont prétentieux, ces enfants!" ou "Quelles cucuteries alors!" La richesse affective, c'était une comédie, ceux qui la vivaient se trompaient, inconscients qu'ils étaient de leur propre duperie… De notre côté, on apprenait à vivre en marge, de travers.

Chez nous, où la dureté, la rigidité et l'emprise du père étaient abusives, l'excès et la déviance couvaient. Mon père m'a humiliée, bafouée. J'ai subi l'ignominie de sa perversité. Il a brisé tous mes repères. Il m’a agressée physiquement et moralement, niée, châtiée, brimée, détruite. Mon père m'a infligé la transgression, la maltraitance, la perversion. En modèles, il m'a proposé la loi du plus fort, la manipulation, le mensonge, la duplicité, la trahison, le mépris, la domination coûte que coûte. Il m'a obligée à une complicité abjecte, m'a volé mon enfance, m'a isolée de ma mère, m'a exclue de la fratrie, m'a mise au ban de la famille et de la société. Il m'a empêchée d'être à ma place. Il m'a volé ma vie. Il m'a chosifiée, transformée en un objet pour son plaisir, me supprimant du même coup tout ce que j’avais à attendre d’un père. Il m’a entraînée en lisière, sur le bas-côté, dans l'ornière.

J'étais dans ma septième année quand il a décidé de nous faire faire de la gymnastique à mes frères et à moi, régulièrement. Le soir même, dans ma chambre, nous faisions dix moulinets de bras dans un sens, dix dans l'autre, des étirements et autres fantaisies sportives. Le deuxième soir, il y a eu une partie commune d'exercices, puis des épreuves uniquement pour les garçons, après quoi il les a envoyé se coucher et a commencé avec moi les exercices "spécial-fille". Je devais me déculotter, écarter les jambes et me masturber. Comme je le faisais mal, il me l'a fait lui-même, avec sa main, puis en forçant la mienne. Les séances collectives de gymnastique familiale n'ont pas continuées mais cette scène là, elle, a eu lieu régulièrement pendant sept ans de ma vie, jusqu'à mes quatorze ou quinze ans. Au moins une fois toutes les six ou sept semaines, parfois plus rapprochées.

Chaque fois, mon père se cachait pour me regarder. J'ai compris plus tard qu'il était aussi voyeur. Il quittait la pièce après m'avoir dit "tu fais comme ça" et revenait dès que j'arrêtais, c'est à dire dès qu'il avait quitté les lieux. Alors il me parlait sèchement, me faisait recommencer et me disait "fais comme ça, je reviens tout de suite" autrement dit : je te surveille! À Paris (c'est là que tout a commencé), il m'allongeait sur mon lit, me plaçait au ras du bord, tirait un peu le lit de quelques centimètres vers le milieu de la pièce parfois, laissait la porte entre-ouverte et me regardait par l'entrebâillement. Dans notre maison de Dordogne, j'ai remarqué un jour un trou dans la poutre qui séparait l'atelier de ma chambre. j'ai changé mon lit de place et je me suis fait engueulée : "c'est quoi cette lubie!". Je me souviens de tant de scènes et de lieux, c’est terrible.

J'ai fais tout ce que j'ai pu dans un contexte de peur et de honte, pour qu'il sache que je ne voulais pas faire ça. Je sais qu'il a compris et qu'il n'a pas voulu entendre. La plupart du temps, il disait "tiens on va faire des chatouilles, ça fait longtemps..." J'étais immédiatement paralysée, comme la mouche, piquée par l'araignée sur la toile de laquelle elle a posé le pied. D'autre fois, il avait l'air de poser une question : "on fait des chatouilles?", ou : "tu veux qu'on fasse des chatouilles?" Là, je me précipitais dans la brèche en disant non, avec, malheureusement, l'air penaud de celle qui est mal rien que d'en parler. Immanquablement, il insistait : "tu es sûre?" et me poussait dans le précipice de mes douleurs, où plus aucun son ne sortait de ma bouche, où répéter "non" aurait été une outrecuidance, voire une insolence, dont j'étais incapable face à lui (seuls mes frères peuvent imaginer ça). Et il arrivait au fameux : "et puis tu sais, ça te fera du bien". Chaque fois il a vu que je m'arrêtais dès qu'il avait le dos tourné. Il ne pouvait pas ne pas comprendre mon désarroi. Il voulait que je le fasse quand-même.

Partout et toujours, mon père veillait à détruire tous mes appuis possibles. Placée sur la sellette, à la maison ou en société, pendant quelques minutes
il m'épinglait : j'étais fautive, coupable, mauvaise fille, fabulatrice, perverse. J'étais celle qui faisait la "maline" devant les garçons, celle dont "on" se demandait ce qu'il fallait en faire... Je finissais toujours par pleurer, devant tout le monde. Chaque fois il disait "regarde moi quand je te parle" et " tu sais bien de quoi je parle" et déversait ses réprimandes, avec un aplomb de justicier.
J'ai compris qu'il n'avait de cesse que de m'anéantir, de désamorcer la bombe que je représentais. Si j'avais parlé, j'aurais été la fille trouble qu'il présentait à tous, tout le monde était prévenu! Il aurait pu m'envoyer à l'asile. Il me menaçait souvent d'ailleurs de mise en quarantaine, en maison de correction, en camp de redressement. La mécanique était au point : j'étais en garde à vue, sans cesse guettée, houspillée et rabrouée, culpabilisée, anéantie, mise à disposition. Il se protégeait et me faisait courir tous les risques.

Par ailleurs, je voyais mon père séduire toutes les assemblées, se faire des admirateurs et des alliés partout, roucouler des flatteries et se faire valoir à tout propos avec un égocentrisme crâne. Il se faisait apprécier même pour son humilité! Avide de l'admiration des autres il régentait toutes les conversations. Quelqu'un se dissipait, il marquait un temps d'arrêt pour reprendre, quelqu'un se désintéressait, il le rappelait à son attention, quelqu'un n'écoutait plus, il s'interrompait pour tous. Il prenait des airs de grand moralisateur et mettait en avant son sens des responsabilités, donnait les apparences de la plus grande probité, de la plus grande rigueur... Il roulait tout le monde dans la farine. Connaissant tous les dossiers, il était juge de tout. Au volant, au travail, à la maison, devant la télé, il interpellait les suspects, assénait ses verdicts, ne tolérait rien, voyait partout de la mauvaise foi, de la lâcheté, du laxisme. Il voulait écrire à tous ceux qui méritaient d'être tancés, ne rien laisser passer. Mettre au pli, au carré, à sa botte.

Mon père affichait orgueilleusement en société une ouverture d'esprit qu'il refermait sur nous comme une porte de pénitencier, interdisant la liberté d'expression dans sa propre maison. Il a dressé une frontière en deçà de laquelle nous étions sur nos gardes, au delà de laquelle nous étions sommés de jouer la comédie. Penauds, inhibés et apeurés à l'intérieur, nous devions être enjoués, conviviaux et assurés au dehors. Pour tous, c'était le défilé des troupes : tout à coup, on avait le devoir de dé-courber l'échine, de redresser la tête, d'avoir l'air fier et instruit. De se faire des courbettes même, histoire de vernir notre panoplie de bonne famille. Moi, c'était comme si on me sortait des fers : on consentait à me faire partager un moment de la vie de l'autre monde, largesse dont j'étais le plus souvent à deux doigts d'être privée. J'étais en liberté surveillée.

J'ai vu mon père s'épanouir dans un contentement de soi monstrueux, se divertir, se cultiver, s'enrichir, se faire des cadeaux et nous demander d'en tirer satisfaction. Nous garder les miettes. Il instituait un ordre où nous devions lui laisser la place, le beau rôle, le fric. Les promesses lui permettaient de se dédouaner, de se sentir moins coupable, moins égocentrique, moins mauvais. Elles n'étaient jamais tenues. Les cadeaux c'était des trucs qui marchent mal, moins bien, pas du tout, des trucs récupérés, des trucs à réparer. À lui le neuf, à nous l'ancien. On ferait semblant de le trouver généreux, c'était d'une pierre deux coups. Pour ses enfants, un service était une corvée. Je le sens en dette de façon inestimable, à hauteur de son manque d'estime!

Je l'ai entendu nous reprocher d'être là, ses enfants, dans sa vie, dans ses pattes, à l'attendre au lycée, à la gare, devant la porte. À tout bout de champ,
il émettait des réserves, nous étions définitivement en défaut. C'était l'ordre établi, nous étions en dessous de lui. Il ne fallait pas le dépasser, lui en remontrer en rien. La spéléo vous intéresse? s'il vous plaît ne m'en parlez pas, j'ai horreur de ça. La ballade en vélo était super, oui et bien vous en parlerez entre vous, là on mange. Le prof de physique a dit ça, oui mais vous apprendrez plus tard que... Pas de cabane dans les bois, pas grimper aux arbres, pas s'asseoir sur ce fauteuil, pas décorer nos chambres, autrement
dit : vous n'êtes pas chez vous. Pas construire un mur, pas monter un four, juste larbins et porter les pierres. Pas d'identité, pas de reconnaissance,
pas de consistance.

J'ai souffert du silence de ma mère qui ne m'a pas protégée contre l'irritabilité malsaine de mon père, son harcèlement. Désarmée face à son autorité perverse, incapable de comprendre et de discerner l'excès, elle n'a pas refusé de supporter l'insoutenable, n'a pas empêché que l'intolérable soit vécu, pas su voir dans quel malheur je vivais. Si elle s'en est douté à moment donné, elle n'a pas osé. J'ai été désespérée tout au long de ma vie par ses renoncements et ses choix destructeurs. J'ai assisté à l'anéantissement de son identité face au machiavélisme de mon père, qui ne pouvait la tolérer que soumise et dépendante. Il fallait qu'il la corrige : ses tenues, sa cuisine, son rire, ses éternuements, ses tournures de phrases, sa manière de chanter, ses pensées. Il l'a étouffée sous son narcissisme démesuré et dévastateur, empoisonnée par le venin de ses propos. J'ai vu ma mère rendue confuse au point de perdre le sens de ses propres paroles et de ses propres actes, s'embrouiller de choses simples, perdre tout repère et toute responsabilité.

J'ai vu mon père tenter d'inverser les rôles et se poser en victime. Je l'ai vu suspecter ma mère de lui porter la "poisse" et lui coller une étiquette de "rabat-joie". Je l'ai vu chercher à la disqualifier, pointer le tort sur elle. J'ai entendu mon père, en famille et en société, prétendre qu'il faisait "tout pour le bonheur d'Angèle", mais qu'il se sentait impuissant face à son manque d'entrain! Je l'ai vu lui donner des leçons sur la vie, se vanter en société de l'optimisme qui lui faisait voir le verre à demi-plein quand elle ne le voyait qu'à moitié vide... Je l'ai entendu déclarer qu'elle était libre de toute initiative et dénaturer chacun de ses projets, remettre en question chacune de ses décisions. J'ai compris qu'il brisait sa vie, qu'il la muselait et l'aveuglait, pour mieux l'abuser. Il était le loup dans sa bergerie.

Lors de la première ou de la deuxième agression sexuelle, mon père m'a dit que maman faisait pareil avec les garçons, que c'était pour notre bien, qu'il fallait apprendre ça, qu'il avait vu sa sœur corrigée violemment par ses propres parents alors qu'ils l'avaient surprise à se caresser, et que lui, mon père, considérait justement que c'était une victoire et une revendication importante des jeunes femmes (j'avais huit ans!) de pouvoir et de savoir se faire ces choses. Il avait des mots déjà pour ces choses, ça s'appelait des "chatouilles". Première nouvelle, qui m'intrigua. À chaque fois que ce mot était prononcé, en tout bien tout honneur dans un contexte autre que l'exercice de sa perversité, je voyais sa gène et son empressement misérable à faire diversion. Dès le début, j'ai senti que son discours était plein de mensonges et manipulateur. Je me souviens des mots et de ma sensation comme si c'était hier. J'avais compris ça : le mal, le défendu, le déviant. Mais j'avais si peur. Peur de comprendre que mon père était fou, malade. Qu'il y avait des lois au dessus de lui auxquelles il n'obéissait pas. Peur de savoir qu'il n'était pas le plus fort, le plus protecteur, le plus sécurisant pour moi et pour ma famille. Peur de découvrir qu'il pouvait être puni, enfermé, éloigné et que la famille pouvait disparaître, s’anéantir. Je n'imaginais pas que je pouvais attendre protection de quelqu'un d'autre. Je ne savais même pas que je pouvais dire non.

Mon seul repère, pour la fréquence des agressions, est le souvenir qu'au moment des vacances d'été où nous vivions trois ou quatre semaines en famille élargie avec des cousins et des cousines, j'avais le sentiment que j'allais pouvoir respirer. Car les enfants s'endormaient groupés et les adultes étaient toujours occupés entre-eux.

Quand on m'a demandé "que croyez-vous qu'il se serait passé si vous aviez
dit "non", j'ai répondu : "Il aurait trouvé un moyen pour me le faire quand même, ou il m'aurait tuée, de rage et de dépit. Et si je l'avais dit à ma mère
et que ma mère lui avait répété, il l'aurait brisée, rien que parce qu'elle se serait autorisée à croire à "ça". Je ne pouvais pas imaginer que l'on puisse lui résister. Je ne pouvais que laisser le piège se refermer pour quelques minutes, de nouveau, avec la peur de basculer dans le néant si j'obéissais mal, si j'insistais dans le refus".

Cela en dit long sur ce qui était déjà en place. Une emprise terrible. Avant la séance de gymnastique, j'avais déjà subi, à Neuilly Plaisance, avant huit ans, des volées de coups de martinet sur mes fesses déculottées : un coup par tâche sur mon cahier d'écriture, et comme j'étais gauchère et qu'on m'obligeait à écrire de la main droite, il y en avait beaucoup des tâches... Une autre fois, il m'a attaché les poings dans le dos, dans mon lit, avec une serviette de table, parce qu'il m'avait surprise, endormie, en train de sucer mon pouce. Une autre fois, dans les mêmes circonstances, il m'a mordue le doigt jusqu'au sang. Il y a eu aussi cet écriteau dans le dos, tout au long du chemin de l'école, le seul matin où mon père m'a accompagnée, avec inscrit dessus : "je pisse au lit, je suis une fille sale". Et puis le bonnet d'âne à Noël, où il m'a fait promettre, en larmes devant le sapin, le premier vélo de mon frère aîné et la voiture à pédales de mon petit frère, que je serais plus obéissante et moins souillon à l'avenir. Un détour sadique avant de me donner la boite de jeu d'institutrice qui allait avec le bonnet.. Il y a eu des accusations fausses, qu'il maintenait, avec des punitions imméritées, des régimes de dé-faveur odieux, des discours préventifs auprès de mes chefs d'établissements scolaires ou de colonies de vacances, auprès de mes grands parents aussi, les autorisant tous à me suspecter et à sévir fermement. Mais pas une appréciation positive.

Une seule fois j'ai parlé normalement à mon père, sans déférence, sans hypocrisie, sans culpabilité. J'avais quinze ou seize ans, j'avais oublié ma montre dehors, sur un muret. Il est entré en disant d'un ton sentencieux et lourd d'exaspération "Sabine, tu as encore laissé quelque chose dehors, ta montre!". Je me souviens de m'être dit que j'allais répondre à ce ton excessif d'égal à égal : "oui, eh, ça t'est arrivé l'autre jour à toi aussi". Il m'a prise par les cheveux, a dit "non mais qu'est-ce que c'est que ça!", m'a secouée de toutes ses forces, m'à giflée, faite plier jusqu’à être à genoux, crier pardon pardon et m'a lâchée quand maman est arrivée en demandant qu'est-ce qui se passe. Il a répondu : "elle m'a répondu". J'ai été certaine ce jour là qu'il était fou!

J'ai subi chaque fois, comme on subit un affront, une brimade, un viol. Alors que j'étais victime, je m'embourbais dans le silence de la honte avec une culpabilité grandissante. J'avais admis que je ne pouvais rien faire, que je n'avais qu'à me taire, que de toute façon ça ne changeait rien pour personne, que les autres ne pouvait rien contre mon malheur. C'était mon problème d'être nulle, c’était ma honte à moi d’être traitée de la sorte. Et puis tout ce qui se voyait était accepté par tous, le harcèlement, le ton de senseur, l'égocentrisme abusif, les vexations en tout genre, mes pleurs… Je n'avais d’autre solution que d’accepter les coups faits au grand jour comme s'ils étaient mérités.
Je n’avais à jouer comme rôle que celui de "l'air de rien", mais alors de "rien-du-tout-bien-au-contraire " quant à ce qui se cachait derrière. Le déni, le clivage ça s'appelle. Je n'avais pas d'intention de tromper, je sauvais ma peau, c'est tout, je préservais ce que je pouvais de ma tête. Ma tête! dans quel état était-elle? en quoi pouvait-elle bien ressembler à une tête normale d'enfant, puis d'adolescente, puis d'adulte? À chaque manipulation, je déclenchais le programme : revenir sur la position départ, faire comme si de rien n'était. J'étais serviable, attentive, respectueuse et flatteuse! J’étais minable dans ma peur, poltronne et fourbe. Certes, je faisais comme mes parents imposaient que l'on fasse : ils devaient être respectés et reconnus par tous comme de bons parents… mais j'ai joué au même jeu, moi. Je m'y suis dégoûtée de moi-même. Je leur servais d'alibi en même tant que de souffre-douleur.