Inceste, pédocriminalité : pourquoi il faut changer la loi

Projet Publié le 28.11.2017

L'affaire Flavie Flament, mais aussi plus récemment l'affaire Weinstein et le succès mondial du mot-clé #MeToo sur les réseaux sociaux (y compris ceux de l'AIVI) laissent penser qu'on approche d'un tournant et que la tolérance de la société pour les violences sexuelles est en chute libre.

La Ministre de la Justice et la secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes ont annoncé un projet de loi à venir pour réformer le code pénal. Le Président de la République lors de son discours du 25 novembre a annoncé être favorable « à titre personnel » au principe de non-consentement avant 15 ans.

La loi actuelle

Le viol est défini par le Code pénal (article 222-23) comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. C'est un crime puni de 15 ans de réclusion criminelle (20 ans quand la victime est mineure  de moins de 15 ans ou lorsque l'agresseur a autorité sur elle).

Le code pénal distingue le viol des autres agressions sexuelles à travers l'existence d'un acte de pénétration qui peut être vaginale, anale ou buccale. Cet acte peut être réalisé aussi bien avec une partie du corps (sexe, doigt, ...) qu'avec un objet.

La définition du viol dans le Code pénal a manifestement été pensée et conçue pour un viol entre adultes. Par comparaison la loi canadienne regroupe toutes les « agressions sexuelles » sous la même dénomination, laissant aux juges le soin d’apprécier la gravité des faits au cas par cas. En France en 2017, le viol ou l’agression sexuelle ne sont retenus que si la victime arrive à démontrer qu’il y a eu « menace, surprise, violence ou contrainte ».

Quant à l’inceste, il est inscrit dans la loi depuis le printemps 2016. L’article 222-31-1définit le viol incestueux lorsqu’il est commis sur la personne d'un mineur par :

1-     un ascendant,

2-     un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce

3-     le conjoint, le concubin d'une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un PACS avec l'une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s'il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait.

Il existe également un délit « d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans » (article 227-25) pour les faits commis « sans menace, violence, surprise ni contrainte ». C’est à dire que le législateur considère que même si un mineur de moins de 15 ans est « consentant » pour une relation sexuelle avec un adulte, ce consentement n’est pas réellement éclairé, et l’adulte a donc commis un délit. Néanmoins les peines encourues sont beaucoup plus légères que pour le viol et l’agression sexuelle.

L’expression populaire de « majorité sexuelle » n’est pas définie en tant que telle dans le code pénal. Si on la définit comme l’âge minimum en-dessous duquel toute relation avec un adulte est considéré comme un délit (de la part de l’adulte) alors c’est actuellement 15 ans. 

Pourquoi ça ne fonctionne pas

Nous savons que 90% des violences sexuelles faites aux enfants le sont dans le cadre d’un inceste. Mais personne n’en parle ! 

La loi dans sa rédaction actuelle ne permet donc pas de protéger efficacement les enfants victimes de viols, et encore moins de viols incestueux.

L’inceste est un crime spécifique à plusieurs titres :

-        Le rapport de domination « J’ai baigné dans l’inceste depuis ma naissance, je ne savais pas comment ça se passe dans une famille normale où les enfants sont respectés. »  peut-on lire dans un témoignage. Le climat psychologique incestuel qui abolit les repères et les limites, brouille la perception des enfants et rend toute notion de « consentement »du mineur absurde.

-        La répétition des viols et agressions. Les agresseurs violent leurs victimes pendant plusieurs années dans la plupart des cas

-        La récidive : les agresseurs font souvent des victimes multiples au sein de la même famille : tant qu’on ne les arrête pas pour les soigner, ils vont continuer leurs agissements avec la petite sœur, la cousine, le fils ou la fille de leur victime, etc.

-        Enfin il faut noter la puissance du déni dans la famille et les stratégies élaborées par l’agresseur pour contraindre la ou les victimes au silence. 84% des victimes qui révèlent l’inceste à leur famille ne sont pas protégées et même contraintes de cohabiter avec leur agresseur (enquête Face à l'inceste auprès de 131 survivants en 2014).

L’amnésie traumatique empêche les victimes de parler avant de nombreuses années et donc d’obtenir un procès de leur agresseur en raison du délai de prescription. Il est maintenant démontré que l’amnésie traumatique touche d’autant plus les enfants qu’ils ont été agressés jeunes. Aujourd’hui, l’inceste un crime puni par la loi, mais un crime prescriptible ! C’est pourquoi, nous demandons que les crimes sexuels incestueux et crimes sexuels sur mineurs soient imprescriptibles. Aucune impunité, aucune autorisation à récidiver pour les agresseurs ! L’abolition de la prescription est avant tout une mesure de prévention, qui vise à protéger nos enfants contre de futures agressions.

Certains agresseurs avouent leurs actes et repartent pourtant libres du tribunal ! Beaucoup d’agresseurs récidivent, et le nombre de leurs victimes ne fait que s’accroître avec le temps qui passe. Un agresseur multirécidiviste doit pouvoir être confronté à toutes ses victimes présumées, sans qu’un tri soit opéré entre elles selon que les faits sont prescrits ou non.

Il donc urgent de changer la loi afin que tout acte sexuel incestueux envers un mineur soit puni. 

Ce qui doit changer

Face à l'inceste réclame depuis de nombreuses années une modification des textes sur le viol et les agressions sexuelles. Voici les différents points sur lesquels nous nous battons.

1-     Le consentement : le positionnement de Face à l'inceste est clair: il n’y a pas de consentement possible à l’inceste de 0 à 18 ans. C’est également la position du Haut Conseil pour l’Égalité Femmes-Hommes dans son « Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles » du 5 octobre 2017 : « le HCE recommande que les infractions d’agression sexuelle et de viol incestueux soient constituées sans qu’il soit besoin d’apporter la preuve du défaut de consentement du.de la mineur.e dès lors que l’auteur est titulaire de l’autorité parentale ». Nous estimons également qu'un mineur de moins de 15 ans ne peut pas donner son consentement éclairé à une relation sexuelle avec un adulte. Par conséquent, tout acte sexuel d'un adulte sur un mineur de moins de 15 ans (18 ans dans le cas de l'inceste) doit être qualifié de viol ou d'agression sexuelle et puni comme tel. Ainsi le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans pourrait disparaître du code pénal, remplacé par le viol et l'agression sexuelle.

2-     L’imprescriptibilité : aujourd’hui la loi prévoit un délai de prescription de 20 ans à partir de la majorité. Le gouvernement se dit prêt à allonger la prescription à 30 ans. Allonger le délai de prescription, est une avancée pour lutter contre la récidive et la prise en compte l'amnésie traumatique, mais nous réclamons l'imprescriptibilité depuis la création de Face à l'inceste . Au Royaume-Uni ou au sein de l’Etat de Californie la prescription n’existe pas. L’effet dissuasif d'une possible condamnation pénale, ainsi que la perception de la gravité des crimes sexuels par la société permettra de réduire le nombre de victimes et sauver des enfants en réduisant les risques de récidives.

3-     La correctionnalisation : Face à l'inceste réclame que soit mis fin à la pratique honteuse de la correctionnalisation dans nos tribunaux. Cette dernière consiste à qualifier un crime en délit pour alléger la procédure judiciaire. Dans les faits, c’est à la victime de s’opposer à la correctionnalisation proposée par le juge. Cette logique financière du fonctionnement de la Justice a des conséquences dramatiques pour les victimes : minimisation des faits, baisse des dommages et intérêts, non-lieu pour cause de prescription (les délais de prescription étant plus courts pour les agressions sexuelles que pour les viols)… Cela conduit globalement à la banalisation du viol, l’augmentation des violences sexuelles, l'encouragement à la récidive et la perte de confiance dans la justice…

Mais il faut aussi :

-        Améliorer l’écoute et libérer la parole des victimes, en effet 90% des victimes de viol ne portent pas plainte.

-        Améliorer la prise en charge judiciaire et médicale des victimes.

-        Améliorer la formation et la sensibilisation des professionnels au contact des enfants pour déceler et signaler les cas de viols ou d’agressions sexuelles.

-        Sensibiliser l’opinion publique par des campagnes nationales d’information dotées comparables par leur ambition à celles qui ont été entreprises pour lutter contre le tabac, la drogue, le cancer ou les violences routières.

Les annonces faites par le président Macron le 25 novembre dernier vont dans le bon sens, mais de nombreuses associations craignent qu’elles restent à l’état de bonnes intentions par l’absence de moyens de suffisants.

Le Syndicat de la Magistrature : des positions qui font le jeu des violeurs !

Face à l'inceste s’insurge contre les arguments avancés par le Syndicat de la Magistrature dans une lettre ouverte du 16 octobre contre les différentes mesures que nous portons. Ce sont les arguments des violeurs qui sont repris ! Le débat juridique est essentiel.

  • - Opposition au principe de non consentement pour un âge en dessous de 18 ans. Or, pour l’inceste, la position de Face à l'inceste est claire : Aucun consentement à l’inceste de 0 à 18 ans ! Aucun consentement en dehors de la famille de 0 à 15 ans. On rappelle les affaires récentes comme celle de Justine, 11 ans, enceinte suite à un viol, considérée comme "consentante" par la justice française. Ces jugements qui nous indignent ne doivent plus être permis. Le droit doit protéger nos enfants.
  • - Opposition à l’allongement du délai de prescription sous prétexte d’une difficulté à rassembler des preuves des années après le crime commis. « On va susciter un espoir qui sera forcément déçu » déclarait la porte-parole de l’USM sur Europe 1. Or, cette difficulté se pose dès 48h après le crime. Par ailleurs les études montrent que la durée et la répétition créent un traumatisme lourd dont les traces dans le cerveau sont encore visibles avec un IRM 30 ou 40 ans après les faits. Il est maintenant démontré que des modifications épigénétiques existent chez les enfants survivants de la pédocriminalité. Un(e) survivant(e) de l’inceste sur deux commet une tentative de suicide (étude IPSOS/ Face à l'inceste 2010), c’est pourquoi le mot « survivant » n'est pas usurpé. De plus l’amnésie traumatique peut bloquer les souvenirs des agressions pendant des dizaines d’années. Comment porter plainte pour des faits dont on ne peut matériellement pas se souvenir à cause d’une amnésie traumatique ? La technicité du droit ne doit pas empêcher les agresseurs d’être jugés quel que soit le délai écoulé depuis le crime. De nombreux témoignages montrent que la décision de porter plainte est souvent motivée par le besoin de protéger d’autres enfants car l’agresseur récidive sur la petite sœur, la cousine, la fille de sa victime, etc. Enfin, il y a des agresseurs qui avouent leurs crimes, et ils devraient pouvoir être jugés, même longtemps après les faits. Rappelons-le, pour les crimes incestueux, aucun consentement avant 18 ans ! (Bien entendu nous considérons l’inceste à tout âge comme intolérable mais il convient que la Loi change pour protéger en priorité les mineurs)

De très nombreux Français sont favorables à un changement législatif. Le succès massif des pétitions comme celle que nous avons lancée avec la députée Nathalie Avy-Elimas et 12 autres associations il y a quelques jours, celle de Madeline da Silva sur un non-consentement à 15 ans (350.000 signatures), ou encore celle de Séverine Mayer pour abolir la prescription (182.000 signatures) montrent que le temps de l’impunité pour les violeurs d’enfants doit cesser. Nous avons signé et soutenu les pétitions de Madeline da Silva et Séverine Mayer mais il nous a paru nécessaire d'en lancer une autre pour que le problème spécifique de l'inceste soit à l'ordre du jour des débats et que la question d'un éventuel « consentement » d'un(e) mineur(e) à l'inceste ne se pose même pas.

Restons uni(e)s et mobilisé(e)s jusqu’au vote de la loi !

>>> Signer la pétition sur Change.org <<<