Redéfinir le viol selon la Convention d'Istanbul

Projet Publié le 09.04.2018

À 11 ans, on n'est pas consentant ! Ce slogan clamé par des milliers de manifestant(e)s a également été adopté par les 410.000 signataires de la pétition lancée par Madeline Da Silva en novembre dernier et soutenue par l' Face à l'inceste dès le début. Pétition qui faisait suite au scandale de l'affaire de Pontoise.

Qu'est-ce qui dysfonctionne dans la Loi française ?

La loi française définit viol comme "tout acte de pénétration sexuelle commis avec violence, contrainte, menace ou surprise" (article 222-23 du Code Pénal).

Cette définition correspond au stéréotype du "vrai viol" que dénoncent des militantes comme Noémie Renard dans son livre "En finir avec la Culture du Viol". C'est à dire un viol commis dans une rue sombre par un inconnu qui place un couteau sous la gorge de la victime ou bien va la rouer de coups.

Or la réalité du viol, que montrent toutes les enquêtes et appels à témoin est très différente. 3 fois sur 4, le violeur est connu de sa victime, c'est un collègue, un ami, un conjoint ou un ex-conjoint. Seuls 10% des viols sont accompagnés de violences physiques ou bien commis sous la menace d'une arme.

La réalité du viol, pour 60% des victimes qui ont moins de 18 ans, c'est aussi et surtout l'inceste. L'inceste représente 75% des cas de pédocriminalité. Il est commis au moyen de la tromperie, de la séduction perverse, de la manipulation, de l'emprise. Quand on viole un enfant de 8 ou 12 ans, la menace ou la violence sont inutiles car l'enfant a confiance en ses parents, oncles et tantes, grands frères, cousins etc.

La définition française du viol a été introduite dans la loi en 1980, se basant sur une jurisprudence de la cour de Cassation qui remonte à 1857. Mais il faut se rendre à l'évidence: cette définition légale du viol n'est pas adaptée à la réalité. Cette mauvaise définition est une des causes du très grand nombre de classements sans suite et d'acquittements: seules 1% des plaintes pour viol aboutissent à une condamnation de l'agresseur.

La loi française considère en fait que toute personne est considérée comme consentante à une acte sexuel, y compris un enfant. Aucune limite d'âge n'est retenue dans la définition du viol. La jurisprudence a tout de même reconnu qu'un bébé de moins de 5 ans ne pouvait pas être "consentant", mais à partir de 6 ans tout enfant est considéré comme consentant par défaut. C'est à la victime de prouver qu'il y a eu "violence, contrainte, menace ou surprise" ce qui s'avère souvent très difficile car cette définition légale du viol est fondamentalement en décalage avec la réalité des violences sexuelles.

Comment résoudre le problème ?

Le plus remarquable est que la solution existe déjà, et qu'elle a été adoptée par plusieurs pays.

La Convention d'Istanbul, (Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique), signée en 2011 et ratifiée en 2014 par la France, s'est mise d'accord sur la définition suivante du viol:

 Article 36 – Violence sexuelle, y compris le viol 

  1. 1. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale, lorsqu’ils sont commis intentionnellement: 
    • a. la pénétration vaginale, anale ou orale non consentie, à caractère sexuel, du corps d’autrui avec toute partie du corps ou avec un objet; 
    • b. les autres actes à caractère sexuel non consentis sur autrui;
    • c. le fait de contraindre autrui à se livrer à des actes à caractère sexuel non consentis avec un tiers.
  1. 2 Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes. 
  2. 3 Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que les dispositions du paragraphe 1 s’appliquent également à des actes commis contre les anciens ou actuels conjoints ou partenaires, conformément à leur droit interne. 

(Le texte intégral de la Convention d'Istanbul peut être téléchargé sur notre site).

Cette définition a été adoptée par l'Allemagne en juillet 2016 (source: Le Monde 07/07/2016).

Elle est également en vigueur en Belgique depuis 2014 qui définit le viol comme suit:

Art. 375 du Code pénal (Belgique)
  • - Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n'y consent pas, constitue le crime de viol.
  • - Il n'y a pas consentement notamment lorsque l'acte a été imposé par violence, contrainte ou ruse, ou a été rendu possible en raison d'une infirmité ou d'une déficience physique ou mentale de la victime.

Elle a également été adoptée par la Tunisie dans une loi du 11 août 2017 (source: Thyma) qui donne la définition suivante du viol et de l'inceste:

Art. 227 (Nouveau) – Est considéré viol, tout acte de pénétration sexuelle, quelle que soit sa nature, et le moyen utilisé commis sur une personne de sexe féminin ou masculin sans son consentement. L’auteur de viol est puni de vingt ans d’emprisonnement. 
Le consentement est considéré comme inexistant lorsque l’âge de la victime est au-dessous de seize ans accompli.

Est puni d’emprisonnement à vie, l’auteur de viol commis :

  1. 1. Avec violence, usage ou menace d’usage d’arme ou avec l’utilisation de produits, pilules, médicaments narcotiques ou stupéfiants ;
  2. 2. Sur un enfant de sexe féminin ou masculin âgé de moins de seize ans accomplis ;
  3. 3. L’inceste, suite au viol d’un enfant par :
    • - les ascendants quel qu’en soit le degré et les descendants quel qu’en soit le degré
    • - les frères et sœurs,
    • - le fils de ses frères ou sœurs ou avec l’un de ses ascendants,
    • - le gendre ou la belle-fille ou avec l’un de ses descendants,
    • - le père de l’un des conjoints ou le conjoint de la mère ou l’épouse du père et les descendants de l’autre conjoint ;
    • - des personnes dont l’une est épouse du frère ou conjoint de la sœur,
  • par une personne ayant autorité sur la victime ou abuse de l’autorité que lui confèrent ses 
fonctions
  • par un groupe de personnes agissant en qualité d’auteurs ou de complices.
  • Si la victime est en situation de vulnérabilité due à son âge, ou à une maladie grave, ou à une 
grossesse, ou à une carence mentale ou physique, ce qui affaiblit sa capacité de résister à l’agresseur.

Pourquoi le gouvernement ne propose rien de tel ?

Le gouvernement souhaitait conserver la définition actuelle du viol et introduire un paragraphe créant une "présomption de contrainte" pour les enfants de moins de 15 ans. Cette présomption de contrainte soulève des questions de droit un peu techniques qui ont été détaillées par le Conseil d'État dans son avis du 15 mars 2018.

Afin d'éviter ces difficultés, le gouvernement a reculé et choisi une formulation assez vague et qui n'engage à rien:

Article 222-22-1 (Code Pénal français)à une disposition selon laquelle « lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ».

Nous avons exprimé dans notre communiqué: Consentement des enfants: une loi pour RIEN ? notre colère face à une telle reculade. 

À partir de quel âge peut-on être consentant ?

Nous avons consulté les membres de l'AIVI. Le questionnaire autorisait n'importe quel d'âge entre 5 ans et 18 ans. La quasi-unanimité des personnes consultées a choisi 15, 16, 17 ou 18 ans. Seules 1% des personnes consultés ont choisi 12 ans (voir les résultats détaillés de notre étude ici).

Lors du débat public, certaines personnalités ou institutions ont défendu un seuil d'âge à 13 ans, d'autres à 15 ans.

Le droit français comporte une limite d'âge à 15 ans depuis 1945, puisque toute relation sexuelle entre un majeur et un enfant de moins de 15 ans constitue un délit d'Atteinte sexuelle sur mineur. Toute relation entre un majeur et un enfant de moins de 15 ans est donc d'ores et déjà interdite dans la loi française. Mais elle n'est pas forcément considérée comme un viol. Cela a des conséquences importantes car les peines encourues ne sont pas du tout les mêmes !

  • - Le viol d'un enfant de moins de 15 ans est puni d'un maximum de 20 ans de prison, et il n'est pas rare de voir des peines de 8 ou 12 ans de prison prononcées en pratique
  • - L'atteinte sexuelle sur mineur de moins de 15 ans est punie d'un maximum de 5 ans de prison (10 ans dans le cas incestueux), et il n'est pas rare de voir des peines de prison avec sursis (par exemple: 18 mois avec sursis prononcés récemment contre un professeur pour une "histoire d'amour" avec une élève de 13 ans 1/2).

Notre proposition de définition

Article 222-23 (notre proposition basée sur la Convention d'Istanbul de 2011)

Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui sans son consentement est un viol.

Le consentement d'un mineur de moins de 15 ans à un tel acte commis par un majeur est considéré comme nul.

Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle. 

 

Par comparaison rappelons la loi actuellement en vigueur:

 

Article 222-23 (actuellement en vigueur)

Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.

Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle.

Avec trois phrases seulement, on résout trois grandes failles de la loi actuelle:

  • 1) Elle n'est pas en phase avec la Convention d'Istambul
  • 2) Elle considère qu'un enfant de 11 ans est "consentant" par défaut
  • 3) Elle considère qu'un enfant peut consentir à l'inceste

Est-ce que cela crée une "présomption de culpabilité" ?

Certains ont avancé qu'interdire toute relation entre un majeur et un enfant de moins de 15 ans créerait une "présomption de culpabilité".

C'est FAUX, tout simplement.

Les principes du droit continuent à s'appliquer avec cette nouvelle définition de l'infraction. Toute personne mise en cause a le droit de contester les faits, et de rechercher et produire les preuves de son innocence.

S'il existe un doute sur sa culpabilité, le doute continue à profiter à l'accusé.

Si les faits sont considérés comme prouvés par le tribunal, celui-ci tient compte des circonstances de l'infraction, de l'intention de l'auteur et de son parcours, et du préjudice subi par la victime afin de prononcer une peine proportionnée et personnalisée. Il n'y  a donc aucune condamnation automatique, et la définition du viol par l'absence de consentement est compatible avec nos engagements internationaux (convention d'Istanbul) ainsi qu'avec les principes de notre droit pénal.

Comment définir précisément le "non-consentement" ?

Ce sera à la jurisprudence de définir précisément le non-consentement. En plus des deux critères déjà définis dans la loi (âge en-dessous de 15 ans et inceste), on peut raisonnablement supposer que les critères suivant seront considérés comme valables  

  • - violence
  • - contrainte
  • - menace
  • - surprise
  • - victime sous l'emprise de l'alcool ou d'une drogue comme le GHB
  • - victime en situation de handicap
  • - emprise et manipulation
  • - vulnérabilité (par exemple la victime est clouée sur un lit d'hôpital)
  • - victime endormie

Les juges disposeront de la marge de manoeuvre nécessaire pour apprécier chaque situation au cas par cas, en se fondant sur un unique critère de "consentement" qui exprime en fait un droit fondamental: le droit de chacun, homme, femme ou enfant, à disposer de son propre corps. Le droit à l'intimité et au respect de cette intimité. Le droit à la sécurité psychologique et physique.

Répétons-le encore une fois, la présomption d'innocence reste valable avec la définition de la Convention d'Istambul, et le doute continue à profiter à l'accusé. Il restera nécessaire de fournir des preuves solides qui démontrent les faits au-delà du doute raisonnable pour obtenir une condamnation, ce qui est parfaitement logique et protège les personnes contre les fausses accusations.

De plus les juges et les jury populaire disposent de toute la marge de manoeuvre prévue par la loi pour apprécier la personnalité de l'auteur, ses motivations et intentions, le risque de récidive, la gravité du préjudice pour la victime, et de personnaliser leurs décisions en fonction de tous ces éléments. Il n'y aura aucune condamnation automatique ! 

En revanche, si notre proposition est adoptée, la loi posera clairement le principe que toute relation sexuelle d'un adulte avec un enfant de moins de 15 ans est interdite. En résumé, le Petit Spirou a le droit d'écrire des lettres d'amour à Mademoiselle Chiffre, sa charmante professeure de mathématiques. Mais Mademoiselle Chiffre qui est une adulte a le devoir de ne tenter aucun acte sexuel avec Petit Spirou, quelles que soient les circonstances.

Comment puis-je agir ?

Le gouvernement a déposé le 21 mars ce projet de loi que nous trouvons très décevant par rapport aux annonces qu'il avait faites.

Mais la loi n'est pas encore votée ! Il est encore temps d'écrire à votre député ou mieux encore de lui demander rendez-vous à sa permanence pour l'encourager à adopter une définition du viol conforme aux engagements internationaux de la France (en l'occurence la Convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe signée en 2011).

>> Signer notre pétition: Inceste: aucun consentement ! Aucune prescription !