Commission inceste : des recommandations en adéquation avec nos préconisations

Projet Publié le 01.04.2022

Un an, six réunions publiques et des centaines d’heures d’écoute des victimes plus tard, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants a rendu ses recommandations de mi-parcours le 31 mars. Ces mesures, que nous prônons souvent depuis des années, pourraient enfin trouver un écho dans la société.

Pressé par l’actualité et l’appel de la société, le secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance Adrien Taquet avait annoncé en grandes pompes, en août 2020 la création d’un groupe de travail autour des violences sexuelles sur mineurs sur le modèle de la Commission Sauvé pour les victimes de prêtres. Le 20 janvier 2021 était lancée et deux mois plus tard, le 11 mars, la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) était officiellement installée pour une durée de deux ans.

Rien que le choix du nom avait été un petit combat : de janvier à mars, notre association Face à l’inceste (FAI) s’est battue pour que le mot « inceste » figure dans l’intitulé de la commission, ce qui a finalement été accordé. « C’est un mot tabou, souligne Isabelle Aubry, présidente de l’association et l’une des 30 membres permanentes de la Ciivise. Si on ne le mettait pas dans le titre de cette commission, on perpétuait le déni. Il doit être prononcé par tous de façon claire. » D’ailleurs, 8 témoignages à la Ciivise sur 10 rapportent des faits d’inceste, ce qui rappelle la prépondérance de l’inceste dans les violences sexuelles dans l’enfance. Deuxième combat réussi, notamment mené par notre association : que Elisabeth Guigou, ex-proche d’Olivier Duhamel, ne la préside pas.

L’objectif de cette commission, co-présidée finalement par Édouard Durand et Nathalie Mathieu, c’est de formuler une série de recommandations aux élus pour mieux protéger les enfants et lutter contre l’impunité des agresseurs. Le prochain locataire de l’Élysée sera donc libre de s’emparer ou non de cet avis. Pour ce faire, et pendant deux ans, la commission recueille des témoignages (plus de 11 400 à ce jour), documente le phénomène et organise des réunions publiques à travers toute la France. Pour la première fois, une institution écoute les victimes qui n’ont souvent jamais eu de reconnaissance dans ce domaine, à part parfois par le biais du médical.

Des conclusions intermédiaires qui corroborent notre plan inceste

Ainsi, après un an d’exercice, la Ciivise a publié ses 20 préconisations intermédiaires le 31 mars. Celles-ci ont trouvé un large écho dans les médias, même si la guerre en Ukraine et la présidentielle proche n’ont pas aidé. Une majorité des recommandations recoupent notre propre plan inceste élaboré depuis 2007 :

o CIIVISE - Organiser le repérage systématique des violences sexuelles auprès de tous les enfants et tous les adultes par tou.te.s les professionnel.le.s.

Face à l’inceste - Nous allons bien sûr dans ce sens, avec des mesures concrètes comme la formation initiale et continue obligatoire des professionnel(le)s en contact avec les mineurs (soignants, professeurs, animateurs, éducateurs sportifs, etc.) sur les violences sexuelles, leurs conséquences, leurs repérages et sur les procédures de signalement. Nous prônons aussi ce repérage dès la crèche avec des outils ludiques adaptés ainsi que pendant la grossesse et les premières années de l’enfant via le questionnaire de l’ACE study.

o CIIVISE - Créer une cellule de conseil et de soutien pour les professionnel.le.s destinataires de révélations de violences sexuelles de la part d’enfants.

FAI – C’est une bonne idée. Nous proposons la protection des personnes qui agissent devant la justice pour protéger un enfant contre les éventuelles violences, menaces, tentatives de chantage, comme on le fait pour les lanceurs d’alerte.

o CIIVISE - Clarifier l’obligation de signalement des enfants victimes de violences sexuelles par les médecins.

FAI - C’est un sujet pour lequel nous nous battons depuis longtemps : que le signalement des soupçons de violences sexuelles sur mineurs devienne une obligation légale pour tous les adultes, et a fortiori les médecins et professionnels de santé. Nous avons lancé une pétition en ce sens en 2021, signée par de nombreux professionnels de santé.

o CIIVISE - Suspendre les poursuites disciplinaires à l’encontre des médecins protecteurs qui effectuent des signalements pendant la durée de l’enquête pénale pour violences sexuelles contre un enfant.

FAI – C’est également dans notre pétition. Nous allons toutefois plus loin, car nous demandons une protection totale de ces derniers de toutes poursuites devant les juridictions pénales et les instances disciplinaires professionnelles, comme l’Ordre des médecins qui va jusqu’à poursuivre ses propres membres et pas simplement une suspension des poursuites.

o CIIVISE - Déployer sur l’ensemble du territoire national des unités d’accueil et d’écoute pédiatriques, à raison d’une UAPED par département conformément au second plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2020-2022, ainsi que les salles Mélanie, à raison d’une salle d’audition par compagnie dans les zones de gendarmerie.

FAI - Une UAPED par département serait un bel accomplissement. Nous prônons a minima la création de groupes régionaux de gendarmes et policiers spécialisés dans la pédocriminalité. Nous demandons aussi l’application systématique et obligatoire de la procédure Mélanie en cas de procédure judiciaire. Soit un enregistrement vidéo du témoignage de l’enfant, réutilisable par tous les acteurs de la chaîne judiciaire, dans une salle dédiée au recueil de la parole de l’enfant victime.

o CIIVISE - Assurer la réalisation des expertises psychologiques et pédopsychiatriques par des praticien.ne.s formé.e.s et spécialisé.e.s.

FAI - Nous préconisons une formation d’État initiale et continue obligatoire de toutes les personnes en contact avec l’enfant présumé victime : travailleurs sociaux, magistrats, policiers, gendarmes, médecins, psychiatres et psychologues, avocats…

o CIIVISE - Doter les services de police judiciaire spécialisés dans la cyber-pédocriminalité des moyens humains et matériels nécessaires.

FAI - C’est exactement ce qui est écrit dans notre plan : « Doter les services luttant contre la pédopornographie de moyens humains et techniques suffisants. »

o CIIVISE - Prévoir, dans la loi, la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse contre son enfant. Cette autorité parentale devra être retirée automatiquement en cas de condamnation.

FAI - Nous souhaitons également la protection immédiate de l’enfant qui doit être mis à l’écart de l’agresseur présumé. Par ailleurs, dans le cas d’un inceste de l’un des deux parents, le parent protecteur doit être protégé et accompagné. Nous avons d’ailleurs rédigé en 2021 un guide à leur destination pour qu’ils trouvent les ressources nécessaires. Si les deux parents sont impliqués, séparer l’enfant de ceux-ci en le plaçant dans un environnement sécurisé spécifique à cette problématique avec du personnel spécialisé et formé.

o CIIVISE - Garantir des soins spécialisés en psychotrauma aux enfants victimes de violences sexuelles et aux adultes qu’ils deviennent.

FAI - Dans notre plan inceste, nous prévoyons la prise en charge pluridisciplinaire de l’enfant présumé victime avec un accompagnement psychologique systématique gratuit par des victimologues sans limitation de durée, ainsi que la création de centres de soins spécialisés dans la prise en charge des traumatismes (dont le viol et l’inceste).

o CIIVISE - Renforcer la formation initiale et continue de tou.te.s les professionnel.le.s avec un module spécifique validé dans les diplômes.

FAI – Il faut effectivement accélérer là-dessus. Nous préconisons une formation d’État initiale et continue obligatoire de toutes les personnes en contact avec l’enfant présumé victime : travailleurs sociaux, magistrats, policiers, gendarmes, médecins, psychiatres et psychologues, avocats…

o CIIVISE - Assurer la mise en œuvre effective à l’école des séances d’éducation à la vie affective et sexuelle et garantir un contenu d’information adapté au développement des enfants selon les stades d’âge.

FAI – Cette recommandation est indispensable et devrait apparaître parmi les premières, car il s’agit de prévention primaire. Nous militons dans l’association pour la formation des enfants dès la maternelle jusqu’au lycée sur leurs droits et sur les limites à ne pas dépasser concernant leur intimité, sur l’existence du 119 et son rôle, ceci par des interventions en classe, mais aussi par écrit (dès le cours préparatoire) dans chaque manuel scolaire en page de garde avec un langage adapté à l’âge de l’enfant. En attendant, nous produisons des ressources bibliographiques pour pallier ce manque.

o CIIVISE - Organiser une grande campagne nationale sur les violences sexuelles faites aux enfants afin de faire connaître leurs manifestations et leurs conséquences sur les victimes, de faire connaître les recours possibles pour les victimes, de mobiliser les témoins en rappelant que ce sont des actes interdits par la loi et sanctionnés par le Code pénal.

FAI – Il n’en faudrait pas qu’une. Nous préconisons des campagnes d’information grand public récurrentes visant les adultes (agresseurs ou potentiels, entourage immédiat des enfants) sur l’interdit de l’inceste, les sanctions encourues non seulement pour le crime commis, mais aussi pour l’absence de signalement du crime. Nous le faisons bien pour l’alcool ou la cigarette.

o CIIVISE - Assurer la réalisation des expertises psychologiques et pédopsychiatriques par des praticien.ne.s formé.e.s et spécialisé.e.s.

FAI – Nous préconisons également la formation et la validation par l’État des experts judiciaires intervenant dans les affaires de pédocriminalité.

Les autres recommandations de la Ciivise

  • Garantir que toute audition d’un enfant victime au cours de l’enquête sera réalisée conformément au protocole NICHD par un.e policier.e ou gendarme spécialement formé.e et habilité.e.
  • Systématiser le visionnage par les magistrat.e.s des enregistrements des auditions des enfants victimes de violences sexuelles
  • Systématiser la notification verbale des classements sans suite à la victime par le procureur de la République
  • Permettre à la partie civile de faire appel des décisions pénales sur l’action publique.
  • Garantir une réparation indemnitaire prenant réellement en compte la gravité du préjudice en : remboursant l’intégralité des frais du médecin conseil ; Réparant le préjudice sous forme de provision pendant la minorité de la victime avec réévaluation à l’âge adulte ; Créant des chambres spécialisées sur intérêts civils en matière de violences sexuelles et une commission d’indemnisation dédiée aux violences sexuelles ; Reconnaissant un préjudice intrafamilial spécifique en cas d’inceste ; Reconnaissant de façon plus juste le préjudice sexuel.
  • Former les professionnel.le.s au respect de l’intimité corporelle de l’enfant.

Nos mesures que la Ciivise n’a pas reprises 

  • Amélioration de l’aide juridictionnelle pour les victimes de crimes et délits sexuels.
  • Création d’un crime d’inceste spécifique pour punir tous les actes sexuels incestueux commis sur des mineurs.
  • Imprescriptibilité des crimes et délits sexuels sur mineurs.
  • Mettre fin à la correctionnalisation de l’inceste et des viols sur mineurs.
  • Mise en place d’études de victimation régulières et d’études scientifiques des troubles et conséquences des maltraitances afin de mieux les prévenir.
  • Avant recrutement, enquête de moralité et examen du casier judiciaire des intervenants auprès des enfants.
  • Autorisation pour les personnes ayant des enfants qui se mettent en couple avec un nouveau conjoint de demander s’il est inscrit au fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles.
  • Création d’un organisme interministériel dédié au pilotage de la prévention de l’inceste, à l’information du public, à la coordination de la recherche, et à la protection des victimes.
  • Le soi-disant SAP (Syndrome d’Aliénation Parentale) doit être clairement banni de tout débat judiciaire.
  • Lutte contre l’exposition des mineurs à la pornographie. 
  • Considérer l’enfant qui ose parler comme un enfant « présumé victime ».
  • Possibilité pour l’enfant de témoigner par télétransmission lors du procès de son agresseur, ou bien d’être représenté par des experts qui auront recueilli sa parole et la transmettront à l’audience à la place de l’enfant.
  • Réduction de la durée d’instruction et de jugement créant une attente parfois de plusieurs années, traumatisante pour l’enfant.
  • Information autour de la prise en charge des soins à 100% par la Sécurité Sociale au titre d’affection de longue durée (ALD) pour les survivants d’inceste et de pédocriminalité.
  • Création d’un parcours d’aide pour les survivants de l’inceste et de la pédocriminalité, pour les guider dans l’ensemble de leurs démarches (police, justice, soins). Site internet dédié et numéro vert d’information.

A chacun son chiffre

160 000 enfants par an. C’est le chiffre de l’inceste qu’avance la Commission inceste, en se basant sur les enquêtes « Contexte de la sexualité en France » et « Cadre de vie et sécurité », ainsi que sur l’enquête Virage de l’Ined. Le problème, c’est qu’avant de fournir ces statistiques, la Ciivise n’a pas pris le temps de définir précisément l’inceste.

Dans notre définition de l’inceste, nous incluons tout ce qui transgresse l’intégrité et l’intimité de l’enfant : les confidences déplacées, l’obligation de regarder des films pornos, mais aussi le « nursing pathologique » avec des lavements et des décalottages déplacés. L’inceste moral est souvent une prémisse du passage à l’acte. Il faut prendre en compte la spécificité de ce crime de lien qui empêche l’enfant de se développer normalement.

C’est pourquoi, chez Face à l’inceste, nous parvenons à des chiffres qui nous semblent plus représentatifs de la situation dans son ensemble. Ainsi, en 2020, selon notre dernier sondage réalisé par Ipsos, 6,7 millions de Français seraient concernés, soit 1 Français sur 10.