Le vrai bilan de la "Loi Schiappa"

Projet Publié le 16.12.2018
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La loi « renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles », dont nous vous avons beaucoup parlé à toutes les étapes de son élaboration depuis octobre 2017, a été définitivement votée en procédure accélérée le 1er août 2018 sans concertation avec les associations de protection de l'enfance. Elle est enregistrée sous le numéro n°2018-703.

La loi « renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles », dont nous vous avons beaucoup parlé à toutes les étapes de son élaboration depuis octobre 2017, a été définitivement votée en procédure accélérée le 1er août 2018 sans concertation avec les associations de protection de l'enfance. Elle est enregistrée sous le numéro n°2018-703.

Si la protection des mineurs n'était pas l'objectif premier du texte, l'indignation de l'opinion publique face à l'affaire dite de Pontoise a forcé le gouvernement à se positionner face à une aberration législative bien française : le consentement possible d'un enfant à un acte sexuel avec un adulte. Emmanuel Macron s'était engagé à changer cela.

Finalement, du côté des enfants, que contient réellement ce texte, les promesses ont-elles été tenues, nos enfants sont-ils mieux protégés ? Nous l’avons analysé article par article :

Article 1 : la prescription portée à 30 ans

Manifestation Face à l'inceste  devant le Sénat en 2004

Depuis sa création en 2000, l’ Face à l'inceste milite pour que la prescription pénale soit abolie dans le cas de l’inceste et de la pédocriminalité (lire notre argumentaire). C’est selon nous le seul moyen de lutter vraiment contre ces fléaux de santé publique, de prévenir de nouveaux crimes et délits, et d’éviter l’inégalité de de traitement entre les victimes « prescrites » et « non prescrites » dans le cas des agresseurs multirécidivistes.

La prescription a été rallongée plusieurs fois depuis 2000, mais beaucoup d’élus et de professionnels du droit veulent réserver l’imprescriptibilité aux crimes contre l’humanité. Cette vision théorique du droit pénal, qui attribue un délai de prescription de plus en plus long selon la gravité des infractions, est séduisante sur le papier mais conduit en pratique de nombreuses victimes à ne pas pouvoir porter plainte et à de nombreux agresseurs de ne pas être poursuivis. Déni pouvant aller jusqu'à l'amnésie, honte, culpabilité, pressions familiales, manque de moyens financiers, de nombreuses raisons peuvent retarder le moment où la personne survivante de l’inceste est prête à affronter son agresseur en justice. La comparaison avec le Royaume-Uni où il n’existe aucune prescription est assez édifiante ! 

En 2016 nous avions défendu ces arguments face aux députés et sénateurs, sans succès (lire notre article du 13 octobre 2016). C’est l’affaire Flavie Flament, fortement médiatisée, qui a fait avancer notre cause. La mission de consensus Flament-Calmettes, qui réunissait des magistrats et d’anciennes victimes (et qui a auditionné l’AIVI), a rendu ses conclusions en avril 2017 et préconisé un allongement de la prescription à 30 ans.

Le candidat Emmanuel Macron s’était engagé dès le 1er mars 2017 à tenir compte des conclusions de cette missions. Avec le premier article de ce projet de loi, la promesse est tenue. Concrètement, les survivants de l’inceste et de la pédocriminalité, ayant subi des viols ou agressions sexuelles avant leurs 18 ans pourront porter plainte jusqu’à 48 ans. La loi n’est pas rétroactive donc si les faits sont prescrits à la date de promulgation de la loi, ils restent prescrits. (Pour savoir si les faits sont prescrits ou non, voir notre dossier expert : Procédure judiciaire : le casse tête de la prescription)

Par ailleurs la rédaction de l’article 434-3 du Code Pénal qui punit la complicité passive, c’est à dire le fait de ne pas dénoncer aux autorités un crime sur un enfant, a été précisée. Ce délit est constitué tant que les infractions n’ont pas cessé. Pourquoi c’est utile ? Parce que la prescription pénale peut être utilisée dans ce cas aussi pour éviter les poursuites. En clair, si Juliette a été violée de 7 ans à 16 ans, et que sa mère qui savait n’a rien dit, alors la mère peut être poursuivie. Le délit ne concerne pas seulement la date où elle a eu connaissance des faits pour la première fois, mais l’ensemble des années où elle n’a rien dit. Si Juliette porte plainte à 25 ans, le délit n’est donc pas encore prescrit car il s’est écoulé moins de 10 ans depuis les 16 ans de Juliette. On voit bien sur cet exemple combien la prescription est un sujet complexe et sert surtout à éviter les poursuites pour les délinquants.

En résumé, cet article 1 comporte deux véritables avancées :

UP 

PROGRESSION

Allongement à 30 ans du délai de prescription pour viol sur mineur

UP  

PROGRESSION

La non-dénonciation de crimes sur mineurs (article 434-3) devient une infraction continue.

 Article 2 : un vrai-faux seuil de consentement

En droit pénal, le diable est dans les détails. La loi Fort du 10 février 2010 avait introduit la notion de contrainte morale dans l’article 222-22-1 dans le but de rendre plus faciles les condamnations pour viol ou agression sexuelle dans les cas d’inceste et de pédocriminalité, où l’agresseur abuse de l’affection et de la confiance et de l’enfant et de sa position d’autorité pour parvenir à ses fins. Cet article était ainsi rédigé :

« La contrainte prévue par le premier alinéa de l'article 222-22 peut être physique ou morale.

La contrainte morale peut résulter de la différence d'âge existant entre une victime mineure et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime. »

 La loi du 3 août 2018 a réécrit la deuxième phrase comme ceci : « Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur, la contrainte morale mentionnée au premier alinéa du présent article ou la surprise mentionnée au premier alinéa de l’article 222-22 peuvent résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur. »

Les violences sexuelles commises par un mineur sur un autre mineur (par exemple un grand frère de 16 ans sur son petit frère de 11 ans) sont exclues de la nouvelle rédaction. De même la différence d’âge devient une « différence d’âge significative ». Si une Cour d’Assises estime que la différence d’âge entre un agresseur de 19 ans et sa cousine de 14 ans n’est pas « significative », alors la qualification de viol pourra être rejetée.

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Le viol par contrainte morale résultant de la différence d’âge ou de l’autorité est restreint aux agresseurs majeurs.

Voici maintenant le vrai-faux seuil d’âge de consentement qui a cristallisé les tensions. La version finale est rédigée comme suit :

 « Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. »

Une lecture optimiste verrait dans cette phrase une redite de la phrase précédente, inutile mais inoffensive. Mais en fait cette loi constitue une régression pour les victimes. La charge de la preuve repose sur la personne qui porte plainte. Une survivante de l’inceste devra donc prouver 1) qu’elle était vulnérable 2) qu’elle n’avait pas le discernement nécessaire 3) que l’agresseur a abusé de cette vulnérabilité.

Notre justice considère qu’un enfant peut faire preuve de « discernement » dès 6 ou 7 ans. L’article 388-1 du Code Civil qui dit : « dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge » est le plus souvent employé par les juges aux affaires familiales dans les cas de divorce, parfois avec des enfants très jeunes. Qu’est-ce qui peut empêcher un juge au pénal de considérer un enfant de 11 ans comme ayant un discernement suffisant pour consentir à des actes sexuels ? Rien, malheureusement.

Le gouvernement et ses soutiens ont clamé sur les toits que cette loi allait renforcer la protection des mineurs contre la pédocriminalité. C’est malheureusement l’inverse ! D’où la grande colère des associations de victimes réunies dans le Collectif Pour L'Enfance.

Cette mesure est également très mal comprise des Français. D’après notre sondage Harris Interactive de 2018, lorsqu’on leur pose la question : « à partir de quelle âge la loi française doit-elle considérer qu’un mineur est capable de consentir librement pour un acte sexuel avec un adulte ? » 95% des Français répondent : 15, 16, 17 ou 18 ans. Il existe donc un très large consensus dans la société pour considérer que tout acte sexuel avec pénétration commis par un adulte sur un enfant de moins de 15 ans devrait être considéré comme un viol. 

Dans ce contexte, la position paradoxale du gouvernement, qui annonce la création d’un tel seuil d’âge mais choisit une rédaction qui fragilise en fait la position judiciaire des victimes est incompréhensible. Il existe très peu de sujets bénéficiant d’un soutien populaire aussi franc massif ; et pourtant le gouvernement et la majorité LREM ont choisi de privilégier les droits de la défense, en conservant la possibilité pour une personne accusée d’inceste ou de pédocriminalité de plaider le « consentement » de l’enfant afin d’échapper à une condamnation pour viol.

Ce choix politique n’est pas clairement assumé et certains ministres et députés ont même parlé de « fake news » pour répondre aux critiques des associations comme la nôtre (une méthode de communication politique scandaleuse, qu’on aurait pu croire réservée à Donald Trump…). Mais on ne peut pas se cacher éternellement derrière son petit doigt. Dès le mois d’octobre 2018, les scandales judiciaires de Versailles et de Roubaix ont rappelé que la justice française continue à questionner le comportement et le « consentement » de l’enfant de moins de 15 ans.

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Triple piège : « vulnérabilité », « abus »,  « discernement »

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Aucun seuil d’âge pour protéger réellement les enfants.

Article 2-I-2° : pénétration sur la personne de l’agresseur

La définition du viol (article 222-23 du Code Pénal) a été étendue pour inclure les actes de pénétrations sexuelles sur la personne de l’auteur. Les personnes concernées par cette extension sont surtout les garçons, qui constituent 25% des victimes d’inceste ou de pédocriminalité. C’est indiscutablement un progrès qui permettra d’engager des poursuites pour viol au lieu d’agression sexuelle dans de nombreux cas. Cet article qui ne figurait pas dans le projet initial du gouvernement a été ajouté par voie d’amendement parlementaire.

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Extension de la définition du viol aux actes de pénétration sexuelle sur la personne de l’agresseur.

Article 2-I-3° : inceste sur les majeurs

La surqualification incestueuse des violences sexuelles (article 222-31-1) est étendue aux victimes majeures. Rappelons que cette surqualification est symbolique car elle n’engendre aucune aggravation des peines encourues. La spécificité de l’inceste, qui détruit le lien familial et l’autorité parentale en plus des autres conséquences du viol, reste donc mal prise en compte par la loi française.

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Extension du « viol incestueux » et de l’ « agression sexuelle incestueuse » aux victimes majeures.

Article 2-II : atteinte sexuelle sur mineurs

La peine maximale encourue pour l’atteinte sexuelle sur mineur passe de 5 ans à 7 ans de prison.

C’est une progression en trompe-l’œil : l’aggravation des peines maximales pour « atteinte sexuelle » va encourager les magistrats à proposer la « correctionnalisation » des viols et pousser les victimes à l’accepter. Ce qui signifie à l’arrivée un procès au rabais et une peine maximale encourue divisée par 3 (de 20 ans à 7 ans).

Si le gouvernement avait écouté les associations de victimes, ce délit d’atteinte sexuelle aurait été supprimé, et tous les viols sur mineurs de 15 ans seraient jugées comme des viols, en Cour d’Assises.

Cette vraie-fausse progression a été suggérée par le Conseil d’État dans son avis qui déconseillait la création d’un véritable seuil de consentement à 15 ans, comme une sorte de « lot de consolation ». Les effets pervers de cette mesure en apparence plus sévère ne vont pas se faire attendre ! Cette loi est une machine à correctionnaliser la pédocriminalité.

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Encourage la correctionnalisation des viols sur mineurs transformés en « atteinte sexuelle sur mineurs ».

Article 2-III : atteinte sexuelle sur mineurs

C’est une modification du Code de Procédure Pénale, article 351 :

 « Lorsque l’accusé majeur est mis en accusation du chef de viol aggravé par la minorité de quinze ans de la victime, le président pose la question subsidiaire de la qualification d’atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans si l’existence de violences ou d’une contrainte, menace ou surprise a été contestée au cours des débats. »

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Comble un vide juridique : lorsqu’il y a acquittement pour viol sur mineur de 15 ans, une peine peut être prononcée pour « atteinte sexuelle », évitant l’acquittement.

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Encourage indirectement la correctionnalisation.

C’est une réponse directe à l’affaire Justine qui avait conduit à un acquittement pur et simple en première instance pour un viol commis sur une enfant de 11 ans (le procès en appel est en cours). Là encore l’atteinte sexuelle est proposée comme une sorte de lot de consolation, comme si le viol d’enfant était un « petit viol » moins grave que le viol d’un adulte, lorsque la violence ou la contrainte sont difficiles à démontrer devant le tribunal.

Il se peut que le gouvernement ait été animé de nobles intentions en essayant de combler le vide juridique mis en évidence par l’affaire Justine.

Cependant, à l’arrivée, on retrouve les effets pervers de la correctionnalisation qui transforme le crime en délit et minimise les peines encourues ainsi que l’indemnisation des victimes. L’atteinte sexuelle sur mineur ne devrait même pas exister ! Ou bien il faudrait la transformer en un crime puni aussi sévèrement qu’un viol aggravé (c’est à dire 20 ans de prison).

Article 3 : usage de la drogue

 L’article 3 de cette loi crée une nouvelle circonstance aggravante pour le viol (article 222-24) dont la peine maximale passe à 20 ans : 

« Lorsqu'une substance a été administrée à la victime, à son insu, afin d'altérer son discernement ou le contrôle de ses actes »

 Cela vise l’usage des substances comme le GHB (appelée « drogue du violeur ») de l’alcool ou d’autres drogues afin de faciliter le viol. Cette circonstance aggravante est également ajoutée aux agressions sexuelles (articles 222-28 et 222-30). Le législateur a même créé un nouveau délit (article 222-30-1) qui permet de poursuivre les personnes qui auraient drogué leur future victime sans passer à l’acte :

« Le fait d'administrer à une personne, à son insu, une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende. Lorsque les faits sont commis sur un mineur de quinze ans ou une personne particulièrement vulnérable, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 € d'amende. »

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Aggravation des sanctions pour les viols et agressions sexuelles lorsque l’agresseur a drogué la victime.

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Nouveau délit pour sanctionner le cas où l’agresseur drogue sa victime potentielle dans le but de la violer mais ne passe pas à l’acte.

Article 4 : prévention pour les personnes handicapées

On sait que les personnes en situation de handicap sont particulièrement exposées aux violences sexuelles. Les chiffres donnés par les rares études sur ce sujet sont particulièrement alarmants. Ils mettent en évidence aussi un comportement opportuniste des agresseurs, bien loin du mythe des « pulsions irrésistibles », et bien plus proche d’un calcul cynique bénéfice/risque. Il y a aussi le sujet délicat des agressions commises par une personne handicapée qui n’est pas consciente des conséquences de ses gestes. Cela demande des mesures de prévention spécifiques dans les établissement accueillant les personnes en situation de handicap.

Le législateur a donc ajouté à l’article 114-3 du code de l’action sociale et des familles, dans le chapitre qui concerne les personnes handicapées, ce paragraphe :

«  Des actions de sensibilisation, de prévention et de formation concernant les violences, notamment sexuelles, à destination des professionnels et des personnes en situation de handicap ainsi que de leurs aidants. »

Ces actions seront pilotées par le Conseil national consultatif des personnes handicapées, la mise en œuvre sur le terrain étant du ressort des départements.

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Prévention des violences sexuelles subies par les personnes en situation de handicap (sensibilisation et formation des professionnels).

Article 5 : non-dénonciation et non-assistance

Cet article aggrave les sanctions encourues pour la non-dénonciation de crimes sur mineurs : dans le cas où la victime a moins de 15 ans la peine maximale passe à 5 ans de prison et 75.000€ d’amende (article 434-4).

L’article 223-6 qui punit la non-assistance à personne en danger a lui aussi été renforcé lorsque la personne en danger est un enfant de moins de 15 ans. Cet article sanctionne « Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire » ainsi que « quiconque s'abstient volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter ».

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Peines plus lourdes pour la non-dénonciation de crime et non-assistance à personne en danger. 

 

Article 6 : fichier des auteurs d’infraction

Purement technique, cet article ajoute les présidents de structures intercommunales aux entités pouvant consulter le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes. Rappelons que les maires peuvent demander au préfet si telle ou telle personne est inscrite dans ce fichier afin d’éviter d’embaucher une personne condamnée pour pédocriminalité dans un métier en contact avec les enfants (animateur sportif, surveillant scolaire, etc). C’est une mesure de prévention importante, qui dépend néanmoins de la volonté des acteurs de « terrain » de la mettre en œuvre.

Article 7 : vulnérabilité économique

L’article 7 ajoute une précise la notion de « vulnérabilité » dans les circonstances aggravante pour le viol et l’agression sexuelle lorsque « la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de l’auteur ». Cet article concerne de toute évidence les victimes majeures. 

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Prise en compte de la vulnérabilité économique de la victime

 

Article 8 : prévention au niveau régional

L’article 8 mentionne que le « schéma régional de santé comprend un programme relatif à la prévention des violences sexuelles et à l’accès aux soins des victimes de ces violences. » dans l’article 1434-2 du Code de la santé publique. Concrètement il s’agit de former les professionnels de santé, de développer de nouvelles Unités d’Accueil Médico-Judiciaire qui permettent de recueillir la parole des victimes (enfants ou adultes) à l’hôpital, et de combiner la réponse pénale avec le parcours de soin pour les victimes. Là encore, la mise en œuvre de cet article dépend de la volonté de chaque Agence Régionale de Santé de considérer les violences sexuelles comme un problème de santé publique… ou non. Ces plans sont quinquennaux : rendez-vous dans 10 ans pour constater, région par région, si la prévention a progressé sur le terrain. Mais on peut d’ores et déjà se réjouir que les violences sexuelles soient identifiées par les pouvoirs publics comme un enjeu de santé publique.

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Prévention des violences sexuelles dans les schémas régionaux de santé.

 

 

Article 9 : rapport sur les dispositifs locaux d’aide aux victimes

« Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les dispositifs locaux d’aide aux victimes d’agressions sexuelles, permettant à ces victimes d’être accompagnées et de réaliser les démarches judiciaires au sein même des centres hospitaliers universitaires. »

Notons que la plupart des rapports demandés par les députés au Gouvernement restent lettre morte, ce que les députés en commission n’ont pas manqué de souligner. Cette raison avait été invoquée par Mme Alexandra Louis, qui présidait la Commission des Lois de l’assemblée nationale pour ce projet de loi, afin de rejeter  l’amendement CL261 de la députée Nathalie Avy-Elimas demandant un rapport gouvernemental sur l’inceste.

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Un rapport qui finira au fond d’un tiroir, si jamais il était rédigé.

Article 10 : formation des enseignants

La deuxième phrase, en caractères gras, a été ajoutée à l’article 121-1 du Code de l’éducation qui définit les objectifs généraux de l’éducation nationale.

« Les écoles, les collèges et les lycées assurent une mission d'information sur les violences et  une éducation à la sexualité ainsi qu'une obligation de sensibilisation des personnels enseignants aux violences sexistes et sexuelles et à la formation au respect du non-consentement. »

Nous restons circonspects face à la notion de « consentement » car cette notion est très fréquemment utilisée par les agresseurs qui manipulent les enfants dans le but de parvenir à leurs fins. Nous considérons que la notion de « consentement » n’a aucun sens dans le cas de l’inceste qui devrait faire l’objet d’un interdit absolu et inconditionnel. Nous considérons également que parler du « consentement » d’un enfant de 14 ans ou moins à un acte sexuel avec un adulte n’a aucun sens. Puisqu’on parle d’éduquer les enfants dès la maternelle, le bon message à faire passer est : « aucun adulte n’a le droit de faire certains gestes sur ton corps » et non pas : « aucun adulte n’a le droit de faire certains gestes si tu n’es pas consentant ». Le supposé « consentement » de l’enfant est le cheval de Troie des agresseurs !

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Meilleure formation des enseignants sur les violences sexuelles. Attention toutefois à la notion piégée de « non-consentement ».

Article 11 : harcèlement sexuel

L’article 11 vient préciser et renforcer l’arsenal législatif (article 222-33) contre le harcèlement sexuel. Notamment le harcèlement commis par un groupe de personnes y compris sans concertation entre elles (cela vise particulièrement le harcèlement sur internet ou sur les réseaux sociaux).

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Précisions sur le harcèlement sexuel, adaptées à l’évolution de la société (réseaux sociaux notamment).

Article 12 : harcèlement en ligne

La formation des élèves à l’informatique prévue par l’éducation nationale « comporte également une sensibilisation sur l'interdiction du harcèlement commis dans l'espace numérique, la manière de s'en protéger et les sanctions encourues en la matière. »

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Prévention du harcèlement en ligne à l’usage des écoliers, collégiens,lycéens.

 

Article 13 : violences conjugales

L’article 13 renforce porte à 30 ans la peine encourue pour « violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner »  (article 222-7 du Code Pénal) lorsqu’elles ont été commis en présence d’un des enfants de la victime. De même pour les « violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente » (article 222-9) et les « violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours » (article 222-11). Mais aussi pour le viol (article 222-23) et l’agression sexuelle (article 222-27), ainsi que le harcèlement conjugal (article 222-33-2-1).

C’est maintenant un fait connu et documenté dans la littérature scientifique qu’un enfant qui assiste à des violences graves sur sa mère (ou plus rarement, son père) subit un traumatisme grave, comparable à celui d’un attentat terroriste ou d’un viol. De plus le lien statistique (la corrélation) entre violences conjugales et inceste est lui aussi scientifiquement prouvé. Cet article de loi vise donc à reconnaître que les enfants peuvent être des victimes collatérales des violences intrafamiliales même lorsqu’ils ne sont pas directement visés.

Comme l’ensemble des sanctions pénales ajoutées ou alourdies par un texte de loi, c’est aussi l’occasion pour nous de rappeler que la France est loin derrière la moyenne européenne pour le budget de la justice, ce qui crée nécessairement un écart important entre les louables intentions du législateur et la mise en œuvre « sur le terrain » des sanctions pour arrêter les agresseurs le plus tôt possible. Lorsque les signalements à la police ou bien aux services sociaux restent lettre morte, lorsqu’il faut 5 ans pour juger une affaire dans un tribunal correctionnel, les conjoints violents ont toute latitude pour multiplier les violences avant que la justice se saisisse enfin de l’affaire.

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Sanctions pénales plus sévères pour les violences intrafamiliales commises en présence des enfants.

Article 14 : agressions sexuelles et arrêt de travail

L’agression sexuelle (sans pénétration) peut être punie jusqu’à 7 ans de prison « lorsqu'elle a entraîné une blessure, une lésion ou une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ». Concrètement, cela permettra aux personnes ayant subi un préjudice psychologique important nécessitant un arrête de travail de faire reconnaître ce préjudice par le tribunal correctionnel, même lorsqu’il n’y a pas de blessures physiques importantes. 

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Sanctions pénales plus sévères pour les agressions sexuelles ayant entraîné un arrêt de travail de 8 jours ou plus.

Article 15 : outrage sexiste

Au départ, l’intention de Marlène Schiappa avec ce projet de loi était principalement de s’en prendre au « harcèlement de rue », la forme la plus légère, banale, quotidienne, des violences sexuelles. Sifflements, remarques déplacées, injures, gestes agressifs, etc. Et puis l’affaire de Pontoise s’est invitée dans l’actualité, plaçant la pédocriminalité au cœur des débats, et le gouvernement dans un certain embarras, car c’est ouvrir la boîte de Pandore que d’aborder le sujet encore tabou des violences sexuelles commises sur des enfants.

On peut se réjouir de la volonté affichée de « ne rien laisser passer » en punissant la moindre remarque à connotation sexiste dans les lieux publics ; mais on constate aussi que ce volontarisme politique fait défaut pour punir l’inceste et la pédocriminalité, très souvent commis dans l’espace familial et intime, à l’abri des regards.

De nombreux parlementaires ont voté cet article sur « l’outrage sexiste » en remarquant que

  1. Il n’est pas nécessaire d’en passer par la loi pour créer une contravention, un décret suffit
  2. Cet article a une portée symbolique et pédagogique plus que pratique.

En clair on ne doit pas s’attendre à une pluie d’amendes pour outrage sexiste ; c’est surtout la communication autour de cette loi qui vise à faire comprendre que certains comportements ne sont pas admissibles.

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La contravention pour « outrage sexiste » a surtout une portée symbolique.

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Les stages de sensibilisation contre les violences sexuelles ou conjugales pourraient être un outil de prévention intéressant.

Article 16 : voyeurisme

Un nouvel article du Code Pénal (226-3-1) a été créé « Le fait d’user de tout moyen afin d’apercevoir les parties intimes d’une personne que celle-ci, du fait de son habillement ou de sa présence dans un lieu clos, a caché à la vue des tiers, lorsqu’il est commis à l’insu ou sans le consentement de la personne, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. ». Les sanctions sont doublées lorsque la victime est mineure ou lorsque des photos ou vidéos ont été captées.

Notons que si cet article est interprété strictement, une bonne partie des photos voyeuristes publiées dans la presse « people » où l’on voit la culotte de telle ou telle star pourraient faire l’objet de plaintes au pénal…

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Comble un vide juridique pour sanctionner le voyeurisme ou « upskirting ».

Article 17 : missions de l’ASE

L’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles qui définit les missions de l’Aide Sociale à l’Enfance confie aux travailleurs sociaux une nouvelle responsabilité : « 5° Veiller au repérage et à l’orientation des mineurs victimes ou menacés de violences sexuelles, notamment des mineures victimes de mutilations sexuelles ».

Les travailleurs sociaux étaient déjà mobilisés contre les violences sexuelles et mutilations sexuelles, on l’espère. Faute de moyens conséquents pour la justice et la protection de l’enfance, de nombreux signalements risquent de rester lettre morte comme c’est déjà le cas aujourd’hui. La solution ne se trouve pas dans la loi mais dans la mobilisation des acteurs locaux et, répétons-le, d’un budget suffisant. Comme toutes les actions de prévention, cela n’est pas source de coût mais d’économies pour les finances publiques dans leur ensemble. En effet, lorsqu’on échoue à les arrêter à temps, les violences sur les enfants peuvent avoir des conséquences dramatiques qui entraîne des coûts énormes pour la Sécurité Sociale (anorexie, dépression, stress post-traumatique, conduites à risque, addictions aux drogues, etc). Les survivant(e)s de l’inceste sont bien placés pour le savoir !

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Lutter contre les violences sexuelles et les mutilations fait déjà partie du quotidien de l’ASE.

Article 18 : nettoyage du Code Napoléon

L’article 18 supprime une phrase mentionnant les « femmes mariées » qui datait de 1804 dans l’article 1676 du Code Civil, manifestement obsolète et qu’aucune juge n’aurait eu l’idée saugrenue d’appliquer tel quel. 

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Nettoyage symbolique d’un article de loi sexiste datant de 1804.

Article 19 : évaluation

Comme c’est prévu désormais pour toute nouvelle loi, le gouvernement devra remettre chaque année « un rapport sur la politique publique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes dont sont victimes les enfants, les femmes et les hommes. »

Est-ce que ce rapport fera mention des scandales judiciaires récents comme celui de Versailles, où le procureur a estimé qu’une jeune fille de 13 puis 14 ans était « consentante » pour des viols en réunion commis par une vingtaine d’hommes au total, et qu’il fallait donc requalifier la plainte pour viol en « atteinte sexuelle sur mineur » ?

Conclusion

Le législateur était sans doute animé d’intentions louables et sincères dans sa lutte contre les violences sexuelles. Le travail des sénateurs notamment a permis d’ajouter de nombreux articles utiles pour renforcer certaines sanctions, combler des vides juridiques et développer la prévention. Le projet initial présenté en Conseil des ministres ne comportait que 4 articles destinés à être votés « en urgence » selon la procédure accélérée. Après un seul passage devant les députés puis les sénateurs, complété par une commission mixte paritaire, ce sont 19 articles qui ont été voté dans le but de « renforcer la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ». La plupart d’entre eux vont dans le bon sens.

Cependant, l’article 2 qui échoue à créer un véritable seuil d’âge pour protéger les enfants contre la pédocriminalité reste le gros point noir de ce projet de loi. Dans certains cas comme les agressions commises par un mineur sur un autre mineur, on a même une régression habilement introduite entre deux passages en commission. C’est à juste titre que les associations regroupées dans un Collectif pour la Protection des Enfants ont dénoncé : « Loi Schiappa, la protection de l’enfance en berne » dans une tribune du 18 août.

La France reste à la traîne de l’Europe dans la lutte contre les violences sexuelles : alors que la Suède, l’Allemagne ou l’Espagne se mobilisent pour changer la loi et les usages, les beaux discours en France tardent à se transformer en dispositions législatives protégeant réellement les enfants. La phrase maladroite du Président de la république déclarant « lorsque la vague « Me Too » est arrivée, la France était déjà prête » montre une autosatisfaction très déplacée, alors que les chiffres alarmants sur le nombre de victimes qui se compte en millions et le très faible pourcentage d’agresseurs condamnées (autour de 1%) devraient nous inciter à la modestie, à la remise en cause, et surtout à de vigoureuses actions.

En 2018, la France n’a toujours pas mis en œuvre complètement la convention d’Istanbul ratifiée en 2014 (qui définit le viol par l’absence de consentement) ni la convention de Lanzarote signée en 2007 et ratifiée en 2010. En 2018, les juges et procureurs de France continuent à se demander si un enfant de 11 ou 14 ans était oui ou non « consentant » à subir l’inceste ou le viol. Un véritable mouvement de fond est en route dans l’opinion publique , comme l’a montré notre sondage Harris Interactive de 2018  : mais les lois et les institutions continuent à offrir aux pédocriminels une impunité garantie à 99%.

C’est pourquoi la mobilisation de chacun et de tous est nécessaire. Le combat pour la vie, pour la sécurité et pour le bonheur des enfants n’est pas fini ! Fidèle à notre devise : « LIBRES, MILITANTS, EXPERTS », nous resterons vigilant(e)s et mobilisé(e)s tant que des enfants seront menacés par ce que nous avons subi.

Tableau récapitulatif : Loi du 3 août 2018 sur les Violences Sexuelles

AIVI_Recapitulatif_Mesures_Loi_Schiappa