Royaume-Uni : pas de prescription, pas d'impunité !

Actualité Publié le 25.02.2018

La condamnation de l'entraîneur de football Barry Bennell à 30 ans de prison pour des viols et agressions sexuelles sur 12 enfants le 19 février 2018 (France InfoLe Monde, TV5 Monde,  The Guardian) nous montre quel retard la France a pris, comparé au Royaume-Uni, pour prévenir et sanctionner la pédocriminalité.

L'année dernière, le footballeur Andy Woodward est sorti du silence et a publiquement révélé les agressions sexuelles qu'il avait subies de la part de son entraîneur. Il a été suivi par de nombreux autres (lire notre article: Football au Royaume-Uni : huit leçons d'un scandale).  Mais la différence entre le Royaume-Uni et la France c'est que le scandale médiatique a été suivi d'une réponse pénale avec un procès en bonne et due forme. 

En France, aucun procès n'aurait été possible !

Les viols pour lesquelles Barry Bennell a été condamnés se sont produits entre 1979 et 1990. Les douze victimes sont aujourd'hui quadragénaires, et l'âge limite pour porter plainte est en France à 38 ans. En France, Andy Woodward n'aurait donc pas pu porter plainte, tout comme Flavie Flament. Et en parlant publiquement, il se serait même exposé à de possibles poursuites en diffamation.

Que peut-on en déduire ? Que les arguments présentés par certains pour maintenir la prescription des crimes sexuels sur enfants ne tiennent pas la route :

  • - Non, les preuves ne s'évaporent pas avec le temps. Au contraire le nombre de victimes ne fait qu'augmenter avec le temps dans le cas d'un agresseur récidiviste.
  • - Oui, il est possible d'obtenir des aveux de l'agresseur (c'est le cas dans le procès Bennell)
  • - Oui, même longtemps après les faits, obtenir une condamnation aide les victimes à se reconstruire après que le préjudice subi ait été officiellement reconnu et sanctionné.
  • - Oui, une telle condamnation est un acte de prévention. D'abord elle empêche la récidive immédiate, ensuite elle a des vertus pédagogiques. Savoir que même 50 ans après les faits, on peut encore être poursuivi est certainement un levier puissant pour dissuader les pédocriminels potentiels de passer à l'acte.

Le Syndicat de la Magistrature hostile à toute évolution

Dans un communiqué publié le 20 décembre dernier, le Syndicat de la Magistrature résume les arguments qu'il a défendu devant les Sénateurs.

Tout en déclarant "Les violences sexuelles, notamment celles subies par les mineurs, sont aujourd’hui trop peu jugées", ce syndicat se montre hostile à tout changement législatif. Certains magistrats semblent donc penser que nos lois actuelles sont suffisantes. Pourtant, notre enquête a montré que les lois votées en 1980 et 1994 sont en réalité beaucoup plus laxistes envers la pédocriminalité que le Code Pénal de 1863

Le communiqué continue en proposant "amplifier les actions de prévention et de penser les moyens propres à favoriser l’expression des victimes au plus près des faits" plutôt que de changer la loi.

Mesdames et messieurs les Magistrats, ce que réclament les survivants d'inceste et de pédocriminalité, ce ne sont pas des moyens d'expression. Pour cela, nous pouvons faire des blogs, des livres, des vidéos sans votre aide. Ce que nous réclamons c'est la possibilité d'un procès en bonne et due forme, comme Andy Woordward.

Les magistrats semblent faire preuve de compréhension quand ils écrivent : "Nous savons combien il est complexe pour les victimes de certains crimes et délits de déposer plainte. Soit qu’elles sont dans un rapport d’emprise, soit qu’elles aient peur, honte, ou qu’elles se sentent à tort responsables, soit que, pour survivre, elle occultent les faits pendant une période de leur vie. Nous savons aussi que lorsqu’elles osent enfin parler, elles sont difficilement entendues."

Mais ils enchaînent avec : "Ce chantier n’est pas législatif, il est sociétal". Et puis encore: " tendance à l’allongement constant des délais n’est pas une réponse adéquate à la souffrance qui s’exprime.".

Arrêtez de penser et de parler à la place des victimes !

Mesdames et messieurs les Magistrats, arrêtez de penser à notre place, et de vous exprimer en notre nom !  Ce n'est pas une réponse sociétale que nous réclamons, c'est la possibilité d'un procès en bonne et du forme. Dans le respect des principes du droit comme le débat contradictoire et la présomption d'innocence. Nous ne demandons pas la lune, nous demandons la justice ! Nous vous demandons de faire votre métier. Les magistrats du Royaume-Uni se sont montrés capables de juger Barry Bennell pour des faits commis entre 1979 et 1990. Rien n'empêcherait qu'un procès similaire se tienne en France. Rien sauf la LOI que vous refusez obstinément de changer !

Vos arguments sur "la fragilité des déclarations" (de la personne qui porte plainte) ne sont pas recevables, le procès de Barry Bennell le prouve. Nous sommes bien conscients qu'un procès se joue sur "le terrain complexe de la preuve et de la difficulté de son administration". Cependant, encore une fois, cessez de vouloir raisonner et décider la place des victimes.

Lorsqu'on souhaite porter plainte 40 ans après, nous savons très bien qu'il sera difficile d'apporter des preuves. La personne accusée bénéficie de la présomption d'innocence, et la charge de la preuve repose donc sur la victime. C'est le Droit, et nous l'acceptons. Mais ce que nous refusons qu'un agresseur ne soit pas poursuivi au seul motif de la prescription.

Et que faire des cas où l'agresseur passe aux aveux ? Certains d'entre nous ont été témoin des faits suivants : des personnes ayant avoué des agressions sexuelles à la Police qui ressortent libres pour cause de prescription. Est-ce normal ? Est-ce compatible avec "l'État de Droit" que vous souhaitez défendre ? Est-ce ainsi que la justice est aujourd'hui rendue au nom du peuple français ?

Non ce n'est pas "nourrir les victimes d’illusions" que d'abolir la prescription. C'est simplement leur offrir la possibilité très concrète d'obtenir justice comme Andy Woodward et 11 autres footballeurs ont obtenu justice le 19 février dernier. Est-ce que vous soutenez sérieusement que le procès de Barry Bennell qui a eu lieu outre-manche est "illusoire" ? Ou qu'il n'est pas "équitable" ? Ce serait faire injure aux magistrats et avocats britanniques que de supposer cela.

63% de nos membres opposés à la justice "restaurative" ou "réparatrice"

Quand à la "justice restaurative" que vous mettez en avant, Mesdames et Messieurs les magistrats, les survivants de l'inceste et de la pédocriminalité n'en veulent pas ! La "justice restaurative" est une illusion face à des agresseurs qui nient les faits ou plaident le "consentement" et que seul un verdict judiciaire mettra face à leurs responsabilités ! Ce que nous voulons ce n'est pas la justice "restaurative" c'est la justice tout court.

En novembre 2013, Face à l'inceste a organisé une consultation de ces membres sur la justice dite "réparatrice" (autre synonyme de "justice restaurative"). 63% des personne interrogées s'y opposaient. Lire notre article: Les victimes d'inceste contre la justice réparatrice

Une minorité de survivants (24%) sont favorable à des rencontre avec d'anciens agresseurs.

Mais ces rencontres, sur la base du volontariat uniquement, ne sauraient en aucun cas se substituer à la justice proprement dite. Proposer la justice restaurative comme ersatz de la justice tout court, c'est NON.

Aucun consentement avant 15 ans !

Dans le communiqué de décembre le syndicat de la magistrature rappelle que toute relation sexuelle entre un majeur et un enfant de moins de 15 ans est interdite par la loi. C'est effectivement le cas !

Mais le problème c'est que le le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de moins de 15 ans suppose implicitement un "consentement" de l'enfant puisqu'il n'y a eu ni violence ni menace ni contrainte ni surprise. Cette double qualification (viol ou bien atteinte sexuelle) encourage les pédocriminels à toujours plaider le "consentement": cela transforme le crime en délit, et cela réduit énormément la peine encourue.

On l'a vu dans l'affaire de Pontoise où l'avocat du violeur présumé a multiplié les déclarations comme "elle n'est pas née de la dernière pluie" (à propos d'une enfant de 11 ans !) comme dans tant d'autres moins médiatisées.

Et le plus stupéfiant, c'est que le débat sur l'âge du "consentement" a déjà eu lieu au 19e siècle et que la loi de 1863 protégeait mieux les enfants que notre loi actuelle (voir notre étude). C'est une régression législative récente (1980 puis 1994) qui a adouci les peines encourues par les pédocriminels.

Le point de vue du violeur

Notre justice est toute entière tournée vers les délinquants (appelés improprement "auteurs" des faits comme si c'était des artistes), et non vers les victimes. Ainsi nos magistrats envisagent le viol uniquement du point de vue du violeur. Ainsi donc une personne qui coucherait avec un enfant de 11 ans en croyant qu'il ou elle a 16 ans ne serait pas coupable. De même un homme qui n'aurait pas compris que sa victime n'était pas consentante (par exemple parce qu'il était saoul) ne serait pas coupable de viol. S'il est légitime de se poser la question de l'intention de l'auteur des faits, il est non moins légitime d'écouter la victime et d'évaluer le préjudice qu'elle a subi. Pour Sarah, 11 ans, le traumatisme est le même quelle que soit les intentions de son violeur, ou les fantasmes d'une enfant soumise et consentante qu'il pouvait entretenir dans sa tête.

Plus de 400.000 personnes ont déjà signé la pétition qui affirme que non, on ne touche pas à un enfant de 11 ans, quoi que l'enfant fasse ou dise. Les magistrats sont chargés d'appliquer la loi, pas de la définir. Et ils rendent la justice au nom du peuple français, il serait bon de ne pas l'oublier.

L'inceste, grand absent des débats.

Le syndicat de la magistrature ignore ou feint d'ignorer que la majorité des crimes sexuels sur mineurs sont incestueux.

En se focalisant sur une hypothétique "histoire d'amour" entre une enfant de 14 ans et 11 mois et un majeur de 18 ans, on fait diversion, et l'on passe totalement à côté de la réalité des crimes sexuels sur mineurs, qui sont le plus souvent commis à l'intérieur du cercle familial. La réalité de l'inceste, c'est un beau-père qui force sa belle-fille de 12 ans à lui faire des fellations dans la cuisine. C'est un traumatisme pour la victime et cela na rien à voir avec une histoire d'amour.

L'inceste est donc totalement passé sous silence dans ce communiqué. Le fait que les victimes d'inceste aient besoin de prouver le quadruple critère de "violence, contrainte, menace ou surprise" pour obtenir justice ne semble pas perturber nos magistrats. Ils évitent soigneusement de se poser la bonne question: quelle jeune fille de 12 ans serait volontaire pour faire spontanément des fellations à son beau-père dans la cuisine ? Quand bien même elle le serait, ce qui paraît extrêmement improbable, c'est à l'adulte de prendre ses responsabilités et de respecter l'enfant. Il est parfaitement odieux qu'un juge demande à une enfant de 12 ans : "Étais-tu consentante ? Pourquoi n'as-tu pas dit non ?".

C'est cette question odieuse qu'on ne devrait plus jamais entendre dans aucun tribunal en France. C'est pourquoi Face à l'inceste demande qu'il soit écrit dans la loi qu'aucun mineur ne saurait consentir à l'inceste. Dès lors que les faits sont prouvés, aucune condition supplémentaire de "violence, menace, contrainte ou surprise" ne devrait être débattue.

Les Français massivement opposés à la prescription

La pétition lancée en 2017 par Séverine Mayer et plusieurs associations (dont Face à l'inceste ) pour supprimer la prescription pénale des crimes sexuels commis contre des enfants avait atteint 183.000 signatures lorsqu'elle a été clôturée. Cette pétition faisait partie du "Top 10" des pétitions les plus populaires qui ont été présentées par les responsables du site change.org aux candidats à l'élection présidentielle française. 5 des 11 candidats à l'élection présidentielle s'étaient engagés à abolir la prescription s'ils étaient élus. Emmanuel Macron, plus prudent, avait néanmoins promis en mars 2017 qu'il respecterait les conclusions de la mission de consensus Flament - Calmettes. Cette mission a préconisé un allongement de 20 à 30 ans afin de ne pas heurter la sensibilité de certains magistrats très attachés au principe de prescription et qui souhaitaient réserver l'imprescriptibilité aux crimes contre l'humanité.

Faire entendre notre voix 

Pour les Français et Françaises qui s'inquiètent lorsqu'il découvre que notre loi actuelle ne protège pas suffisamment nos enfants contre la pédocriminalité, il est urgent d'agir.

Merci à toutes et à tous pour votre mobilisation !