Les députés déconstruisent l’inceste et le seuil d’âge à 15 ans.

Projet Publié le 16.03.2021
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À rebours des engagements qui avaient été pris, le gouvernement et les députés de la majorité se sont efforcés de réduire, voire d’annuler la protection des enfants contre l’inceste et la pédocriminalité dans les amendements qu’ils ont adoptés le 15 mars en première lecture de la proposition de loi « Billon » issue du Sénat.

« Amours adolescentes » et « inceste consenti »

  • Le 18 février, les députés ont voté la proposition de loi d’Isabelle Santiago qui constitue une avancée historique dans la protection des enfants, à savoir :
  • Des infractions autonomes pour réprimer l’inceste sur tous les mineurs
  • Un seuil d’âge à 15 ans pour réprimer la pédocriminalité
  • La disparition de l’élément constitutif de « menace, violence, contrainte ou surprise » pour les enfants et donc des débats judiciaires sur le « consentement » de l’enfant victime
  • Des progrès sur la prescription pénale pour les agresseurs en série

Le 15 mars, patatras ! Ils cèdent devant l’insistances du ministre de la justice Dupond-Moretti qui insiste lourdement sur la préservation des « amours adolescentes » et va même jusqu’à oser parler d’inceste « consenti » dans un hémicycle amorphe où personne ne réagit.

  • Les amendements votés en 1e lecture à l’Assemblée :
  • Déconstruisent la définition de l’inceste
  • Rabaissent le seuil d’âge de 15 à 13 ans sans le dire ouvertement
  • Ajoutent de la complexité
  • Introduisent des régressions dans la protection des enfants

On est bien loin de « l’interdit simple et clair » que le gouvernement promettait à la télévision !

Étude de cas : Clara, 13 ans, violée par son frère aîné.

Le diable est dans les détails, et pour bien comprendre les enjeux, voici une étude de cas. Voici Clara, 13 ans et demi. Son frère de 18 ans vient dans sa chambre, lui montre des films pornographiques et lui dit « on va faire pareil ». Prise au dépourvu, sidérée, elle se laisse faire avec une apparente passivité et subit des pénétrations orales et anales « comme dans les films ».

Deux ans plus tard, elle se confie à l’infirmière du lycée qui déclenche un signalement. Son avocate commise d’office lui explique que l’article qui définit le crime d’inceste ne peut pas forcément s’appliquer. En effet son frère va plaider qu’il n’avait pas « autorité de droit ou de fait » :

Art. 222-23-2. – Hors le cas prévu par l’article 222-23, constitue un viol incestueux tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur, ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque le majeur est un ascendant ou toute autre personne mentionnée à l’article 222-22-3 exerçant sur le mineur une autorité de droit ou de fait.

Art. 222-22-3. – Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis par :

1° Un ascendant ;

2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un grand-oncle, une grand-tante, un neveu ou une nièce ;

3° Le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s’il a sur la victime une autorité de droit ou de fait.

Cette condition supplémentaire d’autorité n’existait pas dans le texte voté le 18 février. Elle devient le nouveau nom pour la « contrainte » ou le « consentement ». Selon le bon vouloir des juges de la Cour Criminelle (ou des jurés de la Cour d’Assises), malgré ses 13 ans, Clara pourra être considérée comme consentante à jouer la « stars du porno » bénévole pour son frère majeur qui sera acquitté.

L’article qui définit le seuil d’âge de 15 ans ne peut pas s’appliquer, car la différence d’âge avec son agresseur est de moins de 5 ans (le ministre Dupond-Moretti a lourdement insisté pour introduire cette restriction) :

Art. 222-23-1. – Hors le cas prévu par l’article 222-23, constitue également un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans, ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans.

L’article qui définit le viol « classique » sera très difficile à appliquer également, car il faudra prouver que le grand frère a usé de « violence, contrainte, menace ou surprise ». L’avocat de la défense se fera un plaisir de parler de « jeux sexuels consentis, contraires à la morale peut-être mais pas criminels ».

Art. 222-23. – Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol.

Le procureur (ou le juge d’instruction) propose donc à Clara la correctionnalisation c’est-à-dire la qualification comme délit « d’atteinte sexuelle » qui interdit strictement tout acte sexuel commis sur un adulte sur un enfant de moins de 15 ans.

Hélas ! Cette dernière barrière de protection a été supprimée par les députés LREM via l’amendement 270 de Laetitia Avia :

Art. 227-25. – Hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle, le fait, par un majeur, d'exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende.

 En l’absence de pression sur le mineur, le délit n’est toutefois pas constitué si la différence d’âge entre le mineur et le majeur est inférieure ou égale à cinq ans.  

Il faudra donc que Clara démontre au tribunal qu’elle a subi des « pressions » de son frère. Là encore, l’avocat de la défense aura un boulevard pour plaider les « jeux sexuels consentis » entre frère et sœur.

Donc il n’existe pas moins de 4 qualifications pénales possibles pour ces faits d’inceste. Mais aucune ne s’applique de manière fiable. Même si le grand frère incestueux reconnaît les faits, même s’il existe des preuves comme une vidéo par exemple, il pourrait échapper à toute condamnation après avoir violé sa sœur de 13 ans et demi !

Non seulement la nouvelle loi serait horriblement compliquée, mais elle serait incapable de protéger vraiment Clara de l’inceste.

Est-ce là le « signal fort et clair » que les députés voulaient envoyer aux prédateurs sexuels ?

Cette loi est-elle compatible avec la constitution ?

Redisons-le : la création d’un seuil d’âge, qui criminalise tout acte de pénétration incestueux ou commis sur un enfant de moins de 15 ans, ne pose en elle-même aucun problème de constitutionnalité.

Rappelons que l’Allemagne a adopté une disposition comparable avec un seuil d’âge à 14 ans, qui a été validée par la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe (laquelle passe pour un modèle de rigueur et de précision dans toute l’Europe).

En revanche ce qui pourrait poser problème c’est :

  • L’empilement des dispositifs pour réprimer les mêmes infractions
  • La multiplication des exceptions, et des exceptions aux exceptions
  • La rédaction de certains articles comme par exemple les mots « commis sur l’auteur par le mineur » dans l’article 222-23-1 que nous avons cité ci-dessus. Les députés et sénateurs sont presque tous d’accord pour inclure dans la définition du viol les actes de pénétration de la personne de l’auteur. Cependant la formulation choisie pourrait laisser penser que c’est l’enfant qui a « commis » une pénétration et porte donc la responsabilité du crime. Pourrait-on être condamné pour un acte « commis » par une autre personne ?

La loi doit être non seulement applicable par les professionnels du droit, mais aussi compréhensible par les citoyens. En l’état, le texte voté le 15 mars est incompréhensible et illisible. Voici le tableau dressé par la rapporteure Alexandra Louis dans son rapport n°3939 :  

Comment pourrait-on expliquer un dispositif aussi complexe aux assistantes sociales, aux médecins, aux professeurs, aux parents, aux victimes, et même à leurs avocats et aux magistrats ?

Par comparaison, considérons le code pénal Tunisien de 2017 :


CODE PÉNAL TUNISIEN. Article 227. Est considéré viol, tout acte de pénétration sexuelle, quelle que soit sa nature, et le moyen utilisé commis sur une personne de sexe féminin ou masculin sans son consentement. L’auteur de viol est puni de vingt ans d’emprisonnement.

Le consentement est considéré comme inexistant lorsque l’âge de la victime est au-dessous de seize ans accomplis.


N’importe quel citoyen de Tunisie qui lit les trois phrases ci-dessus, même s’il n’a pas un diplôme de droit, aura parfaitement compris le principe : en Tunisie, on ne touche pas aux enfants de moins de 16 ans, si on ne veut pas risquer 20 ans de prison. Quant aux exceptions, le législateur tunisien laisse aux magistrats le soin de les évaluer au cas par cas.

En France, le gouvernement et législateur ont choisi l’approche inverse: l’exception est utilisée pour affaiblir ou supprimer la règle. Au lieu poser un interdit clair et de laisser les juges décider de l’opportunité des poursuites dans les relations amoureuses qui flirtent avec les limites légales sans  préjudice apparent pour les protagonistes, le gouvernement choisit ces exceptions comme prétexte pour affaiblir la protection de TOUS les enfants de 13-14 ans contre les violences sexuelles commises par de jeunes majeurs et déconstruit la protection de TOUS les enfants contre l’inceste commis par un collatéral (frère, oncle, neveu). Cet excès de prudence profite seulement aux agresseurs !

Que peut-on faire ?

Il reste possible de combler les failles qui ont été délibérément créées par le gouvernement et la majorité LREM afin d’aboutir au double seuil d’âge de 18 ans dans le cas de l’inceste et 15 ans pour la pédocriminalité. Pour ce faire il faudrait que le gouvernement, les sénateurs ou les députés acceptent de :

  1. Retirer la condition supplémentaire de « l’autorité de droit ou de fait » pour les frères et sœurs, oncles et tantes, neveux et nièces dans la définition du crime d’inceste (article 222-23-2)
  2. Faire de même dans l’article 222-29-1 pour les agressions sexuelles incestueuses
  3. Retirer la condition supplémentaire de « l’écart d’âge supérieur à 5 ans » dans la définition du viol sur mineur de 15 ans (article 222-23-1)  
  4. Faire de même dans l’article 222-29-1 (agressions sexuelles sur mineur de 15 ans)
  5. Abroger le délit d’atteinte sexuelle (article 227-25)

    L’association Face à l’inceste appelle également à des mesures fortes pour développer la prévention des violences sexuelles sur mineur :
     
  6. Rendre le signalement par les professionnels de la santé obligatoire
  7. Protéger les médecins qui font des signalements de bonne foi des contre-attaques judiciaires et disciplinaires devant le Conseil de l’Ordre
  8. Instaurer un « principe de précaution » pour suspendre les droits de visite et d’hébergement d’un parent accusé d’inceste dès qu’une enquête préliminaire est ouverte
  9. Mettre fin à l’usage des théories pseudo-scientifiques comme « l’aliénation parentale »
  10. Généraliser le dépistage en milieu scolaire
  11. Investir dans la recherche scientifique
  12. Rendre les crimes sexuels sur mineurs imprescriptibles
  13. Ouvrir de nouveaux centres de psycho-trauma
  14. Informer les victimes sur leurs droits et notamment sur la prise en charge des soins à 100% au titre d’une ALD. Ce dispositif existe dans la loi depuis 1998 et reste sous-utilisé.

Pour l’enfance combattons le silence et le déni !