Lettre aux sénateurs concernant la loi sur la prescription

Actualité Publié le 19.03.2004

Objet : amendement du sénat concernant la loi sur la prescription

Monsieur le Sénateur,

Je sais que votre temps est précieux mais je vous demande de lire attentivement cette lettre.

Après des années de souffrance et de déni, j’ai enfin porté plainte contre mes deux frères devant le Procureur de la République d’Aurillac pour agressions sexuelles et viols alors que j’étais enfant de moins de 10 ans. Après avoir consulté une avocate, j’ai appris que je ne peux espérer aucune JUSTICE car il y a prescription (je suis née le 28 avril 1975 et il y a donc 7 mois de trop pour que ma requête soit acceptée).

Sachez et comprenez bien que pour moi, mon passé n’a pas de prescription, aucune. Je resterai à tout jamais meurtrie dans ma tête et dans mon corps. Le temps ne compte pas pour l’inconscient, la souffrance, la peur, les maladies psychosomatiques, l’angoisse, l’impossibilité d’avoir des rapports normaux restent en soi. Les conséquences de l’inceste sont nombreuses et il est plus que difficile de les surmonter même avec une volonté de fer, tout simplement parce que la justice n’a pas été établie. Le coupable n’est pas reconnu coupable et la victime n’est pas reconnue non plus en tant que telle. Et les membres de la famille préfèrent se terrer et rejeter la victime.

Je suis arrivée à prendre conscience du traumatisme que j’avais vécu 10 ans et 7 mois après ma majorité. Dois-je porter une culpabilité qui n’est pas la mienne jusqu’à la fin de mes jours ? Je mérite moi aussi de retrouver ma dignité, je mérite moi aussi d’être respectée dans mon corps et dans mon âme. Tant qu’il n’y a pas de justice l’inceste continue et se perpétue mentalement.

Je suis en thérapie depuis deux ans et si j’ai porté plainte c’est pour moi le dernier recours qu’il me reste pour qu’enfin je retrouve ma liberté et que je puisse me réhabiliter dans la société. Vous savez moi aussi je mérite de vivre, je suis un être humain, j’ai une âme, des pensées, je ne peux être considérée comme une chose que l’on utilise.

Dites-moi, comment puis-je marcher la tête haute à ce jour ?

Monsieur le sénateur, si j’ai pris tout mon courage pour vous écrire, c’est que je crois que vous êtes en mesure de comprendre l’importance que cela a pour une victime. Vous pouvez faire évoluer la prescription et peut-être est-ce là un de vos devoir.

En mon nom et aux noms de toutes les victimes de l’inceste, je vous demande à vous Monsieur le Sénateur, Représentant de notre société, simplement une chose : de prolonger le délai de prescription pour nous accorder l’accès à la justice.

En vous remerciant de l’attention que vous porterez à ma demande, je vous prie d’agréer, Monsieur le Sénateur, l’expression de ma haute considération.