Notre société n'est pas informée sur l'inceste et ne souhaite pas l'être. Pas de statistiques, pas de recherches, pas de formations pour les professionnels, pas d'information grand public, pas de prise en charge spécifique des victimes, nous sommes à l'âge de pierre. Cette situation facilite le déploiement de théories et techniques pour museler les enfants victimes et ceux qui voudraient les défendre.
Breaking the silence, Children's stories diffusé sur PBS (Extraits sous-titrés français par Face à l'inceste )
Par Isabelle Aubry, Présidente d'AIVI
Notre société n'est pas informée sur l'inceste et ne souhaite pas l'être. Pas de statistiques, pas de recherches, pas de formations pour les professionnels, pas d'information grand public, pas de prise en charge spécifique des victimes, nous sommes à l'âge de pierre. Cette situation facilite le déploiement de théories et techniques pour museler les enfants victimes et ceux qui voudraient les défendre. Ces théories nous viennent des États-Unis, propagées par des professionnels de santé, de justice, du milieu social, des médias, qui gagnent à imposer leur dictat. Dans la confusion qui règne en France, grâce à l'absence de données scientifiques, on peut étouffer dans l'œuf la parole d'un enfant et celle de celui que le protège. L'affaire d'Outreau a été l'occasion d'amplifier ce phénomène et de faire reculer l'écoute de la parole de l'enfant de dix ans en arrière au moins.
Les fausses allégations
La théorie des fausses allégations est apparue en France dans les années 90. L'idée consistait simplement à dire que l'enfant présumé victime de violence sexuelle mentait, manipulé par un adulte. Dans les cas de divorce, les mères étaient accusées de "faire mentir" l'enfant pour obtenir sa garde exclusive. Mensonge de bonne foi ou non, aucune distinction n'était faite, et à la fin de la décennie, on a vu les médias s'emparer du phénomène, les associations de pères se mobiliser. Des chiffres sans fondement scientifique étaient lancés au public : deux tiers de fausses allégations dans les affaires d'inceste sur le TGI de Paris par exemple (Parceval - Journal du Droit des Jeunes). Jean-Luc Viaux au congrès 2010 de l'Association Face à l'inceste "Briser le silence de l'inceste" : "Voilà quelques chiffres sortis des études qui pour la plupart sont antérieurs à mes travaux pour le Ministère de la Justice. En 1988, Emerson et Both font une revue de questions, ils trouvent entre 6 et cinquante 50% de fausses allégations. Extrêmement précis ! Vakafield et Underwager en 1988, toujours 71% de fausses déclarations. Ça, c'est impressionnant ! Hayes et De Baker, c'est plus proche de chez nous, c'est en Belgique, qui sont des bons spécialistes de ça, 3% à 8% des déclarations d'enfants sont fausses, sans pour autant avoir été inspirées par un adulte, tout confondu sur les allégations de maltraitance d'ailleurs".
Face à cet emballement, le Ministère de la Justice français a commandité une étude au Professeur Viaux et son équipe afin d'avoir des chiffres vérifiés sur cette question. Trente mille sept cent trente six dossiers, jugés de 1997 à 1999, ont été examinés à la loupe sur les tribunaux d'Évreux, Nanterre et Paris. Après avoir écarté toutes les ordonnances de mise en état, il restait quinze mille vrais dossiers. Le résultat est loin des chiffres annoncés dans la presse : "Il y avait donc soixante et un dossiers d'allégations douteuses qui ont été exploités et l'ordre de grandeur sur mille décisions judiciaires civiles, c'est-à-dire mille saisines, il y a selon les années entre une fois et demi et huit évocations d'un abus sexuel qui ne sera pas au final validé par personne, c'est-à-dire ni par les techniciens ni par la justice pénale. Donc en moyenne, un juge voit entre un et quatre cas par an, exactement ce qu'avait dit une magistrate dans un congrès qui avait été consacré à ça il y a une dizaine d'années en disant, « j'en vois trois à quatre par an sur les mille dossiers que je vois. » Son impression correspond exactement à ce que l'on peut trouver. Vous voyez que si l'on retire de ces procédures tout ce qui est un peu du contentieux parallèle, on va arriver à des chiffres non pas quatre à cinq pour mille, on va arriver à 1% éventuellement en étant très large" explique le Professeur Viaux dans son intervention au congrès d'AIVI.
Cette étude du Professeur Viaux et son équipe n'a jamais été publiée par le Ministère de la Justice. Elle a été présentée par son auteur au congrès Face à l'inceste de 2010 "Briser le silence de l'inceste".
Le phénomène des fausses allégations s'est estompé, remplacé par une nouvelle théorie plus pernicieuse "Le Syndrome d'Aliénation Parentale", SAP, ou PAS en anglais. (Voir la vidéo sur cette page).
Le Syndrome d'Aliénation Parentale (SAP)
On a vu le SAP fleurir en France vers 2003, 2004. Face à l'inceste a reçu les premières demandes d'aide à cette période. Depuis ces demandes n'ont cessé de croître ce qui nous a permis d'engranger des connaissances empiriques sur cette théorie visant encore une fois à museler les enfants victimes. Aujourd'hui le SAP s'érige en véritable système de victimisation de l'enfant et de son protecteur. Bien qu'il n'ait jamais été validé scientifiquement en France ou ailleurs dans le monde malgré des tentatives répétées et assidues de ses défenseurs, il continue à hanter les tribunaux, les cabinets d'avocats, d'experts psys, l'aide sociale, pour étouffer la parole de l'enfant.
Le SAP serait un syndrome inventé en 1985 par Richard Gardner, pédopsychiatre aux tendances pro-pédophiles. Il était bénévole à l'Université de Columbia. En résumé, la théorie de Gardner, non vérifiée scientifiquement, déclare qu'un parent va aliéner son enfant par un lavage de cerveau en huit étapes afin qu'il dénigre son autre parent. Jocelyn Brown, Chef d'un service d'enfants maltraités à New York, explique : "Gardner décrit trois formes de SAP : moyenne, modérée et sévère, et dans les formes les plus sévères, il propose un traitement radical, où il demande que l'on transfère la garde de l'enfant, afin qu'il soit déprogrammé, du domicile du parent aimé, la plupart du temps la mère, à celui du parent rejeté, le père. [...] C'est seulement après un « lavage de cerveau inverse », comme il dit, que l'enfant peut reprendre progressivement contact avec le parent ayant autrefois la garde de l'enfant, à travers des visites surveillées. ". Jocelyne Brown : Le Syndrome d'Aliénation Parentale - Naissance et chute d'un syndrome. 30 ans d'expérience outre-Atlantique, Congrès Face à l'inceste 2010, "Briser le silence de l'inceste".
Le SAP a de nombreux défenseurs, car dans une société dans le déni de l'inceste, cette théorie est très confortable. Il se cache dans les procédures judiciaires sous divers pseudonymes sous la plume des experts psys et des avocats du présumé agresseur. C'est le parent protecteur qui se voit affublé de troubles mentaux les plus divers : trouble bipolaire, borderline, personnalité manipulatrice... et qui finalement doit se soigner pour que l'enfant retrouve son équilibre.
Face à l'inceste a réalisé des démarches auprès du Ministère de la Justice en 2012 pour qu'une étude soit réalisée sur le SAP comme cela a été fait sur les fausses allégations. Peu avant les élections présidentielles, Face à l'inceste, le Professeur Viaux, l'INAVEM et le Dr Bonnet, avons été reçus par la Directrice des Affaires Criminelles et des Grâces. Le Ministère s'est déclaré favorable à cette étude sans que des suites soient données du fait du changement de législature.
Europe 1 Soir animé par Marie Drucker : Isabelle Aubry et Dominique Versini, Défenseure des Enfants, débat sur le SAP
Lire aussi par Jacqueline Phelip, Présidente de l'Enfant d'Abord : Syndrome d'aliénation parentale ou aliénation parentale
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