Par le biais de quelques mots glissés en dernière minute dans la définition du nouveau « crime sexuel sur mineur de 15 ans », le gouvernement crée une régression juridique qui empêche la condamnation de l’auteur lorsque l’écart d’âge est inférieur à 5 ans. Nos explications :
1) Ce qui a été voté le 10 février
Mercredi 10 février, la Commission des Lois de l’Assemblée nationale a examiné la Proposition de Loi 3721 déposée par la députée Isabelle Santiago. Cette proposition de loi vise à créer un double seuil d’âge à 15 ans et 18 ans dans le cas de l’inceste. La rédaction proposée par Mme Santiago est la suivante :
Art. 227-25-1. – Le fait, pour un majeur de commettre, sur un mineur de 15 ans ou d’obtenir de ce dernier, par quelque moyen que ce soit, une pénétration sexuelle, de quelque nature que ce soit, est puni de vingt ans de réclusion criminelle
Sa collègue Alexandra Louis avait de son côté travaillé à un autre projet de loi n°3854 déposé plus tard (le 9 février) et visant à atteindre le même objectif : un double seuil d’âge à 15 ans et 18 ans dans le cas de l’inceste.
Elle a fait voter ce mercredi 10 février par la Commission des Lois des amendements qui reviennent à supprimer le texte de Mme Santiago et le remplacer par le sien. Le texte de Mme Louis est plus complet et mieux construit, c’est indéniable. Mais il comporte trois restrictions qui réduisent au lieu de renforcer la protection des enfants de 13-14 ans. Nous les avons soulignées en gras ci-dessous :
Art. 227-14-1. – Le fait pour un majeur de commettre volontairement sur la personne d’un mineur de quinze ans, alors même qu’il a connaissance de cet âge ou ne pouvait l’ignorer, et si leur différence d’âge est de plus de 5 ans, un acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne du mineur ou sur la personne de l’auteur, est puni de vingt ans de réclusion criminelle.
« N’est pas pénalement responsable le jeune majeur qui, avant l’acquisition de la majorité légale, entretenait déjà une relation continue et pérenne avec un mineur de quinze ans, sous réserve de l’existence d’une situation d’autorité ou de dépendance entre ce jeune majeur et ce mineur.
Par ailleurs ce texte ayant été proposé au dernier moment, la commission des lois n’a pas eu vraiment l’occasion de le discuter et de l’amender en détail.
Analysons les 3 restrictions en commençant par la plus grave.
2) L’écart d’âge supérieur à 5 ans
La clause « et si leur différence d’âge est de plus de 5 ans » est un ajout de dernière minute qui semble venir du gouvernement.
Elle supprime toute possibilité de poursuivre un majeur de 18-19 ans pour des actes sexuels sur un enfant de 13-14 ans au titre de ce nouveau « crime sexuel sur mineur ».
Cas pratique n°1 : Jacques, 18 ans et 2 mois, impose une fellation à Sophie, 13 ans et demi, dans la cage d’escalier d’un immeuble. Sophie ne se débat pas.
- Le nouveau « crime sexuel sur mineur » ne s’appliquerait pas car la différence d’âge est 4 ans et demi
- Le « viol » serait difficile à appliquer car l’avocat de Jacques plaiderait le « consentement » de Sophie pour obtenir l’acquittement.
Dans le cadre de la loi actuelle, Jacques peut être condamné pour « atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans » (article 227-25). La nouvelle loi protège Sophie moins bien que l’ancienne !
Notons que le sous-amendement CL123 de Jean Terlier précise : « La différence d’âge de plus de 5 ans n’est pas prise en compte lorsque le crime est incestueux. »
De plus, cette régression législative serait rétroactive. Si elle était adoptée, les poursuites judiciaires seraient automatiquement abandonnées dans de nombreuses affaires en cours. En effet le droit pénal est rétroactif lorsque la nouvelle loi est « plus douce » que la précédente. En l’occurrence le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans passible de 10 ans de prison serait remplacé par … rien du tout dans les cas où l’écart d’âge est inférieur à 5 ans.
3) La condition « connaissait l’âge ou ne pouvait l’ignorer »
Cette condition « alors même qu’il a connaissance de cet âge ou ne pouvait l’ignorer » a été ajoutée dans le but de réduire le risque de censure du Conseil Constitutionnel et l’effet « couperet » créé par un seuil d’âge strict.
Nous craignons cependant qu’elle ouvre la porte à une plaidoirie de la défense du type « elle m’a dit qu’elle avait 16 ans, et je l’ai crue sur parole ».
À nouveau cela constitue une régression législative qui fragilise les enfants de 11 à 14 ans car la définition actuelle du délit d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans ne comporte pas cette condition.
La loi n’est pas faite que pour les juges mais aussi pour les citoyens qui doivent la connaître et la respecter. Cette rédaction laisse à penser qu’un adulte n’a pas besoin de vérifier sérieusement l’âge de son partenaire sexuel. La rédaction plus stricte de Mme Santiago dit au contraire que c’est à l’adulte de prendre ses responsabilités et s’assurer de l’âge réel de sa ou son partenaire. Nous pensons qu’une telle rédaction préserve l’élément intentionnel et l’élément moral de l’infraction. En effet si un enfant de 14 ans montrer un faux document à un adulte pour lui faire croire qu’il en a 16, alors l’adulte qui aurait eu une relation avec cet enfant ne pourra pas être poursuivi, car il n’a pas enfreint la loi volontairement et en connaissance de cause.
Cas pratique n°2 : Lucie, 13 ans, subit un viol en réunion commis dans une cave d’immeuble par 10 hommes de 17 à 21 ans.
Même pour les agresseurs de 21 ans (avec un écart d’âge supérieur à 5 ans),
- il sera possible de dire « je la connaissais à peine, je croyais qu’elle avait 15 ans » pour échapper aux poursuites liées au seuil d’âge à 15 ans.
- et de plaider le « consentement » pour échapper aux poursuites pour viol.
Dans ce cas, la nouvelle loi protégerait Lucie moins bien que le délit actuel d’atteinte sexuelle.
4) La clause « Roméo et Juliette »
Le projet de loi n°3854 d’Alexandra Louis comportait une clause visant à éviter de criminaliser les relations consenties entre adolescents, qui deviendraient punies par la loi le jour où l’un des deux atteindrait 18 ans, avec un effet « couperet ». Elle est rédigée ainsi :
« N’est pas pénalement responsable le jeune majeur qui, avant l’acquisition de la majorité légale, entretenait déjà une relation continue et pérenne avec un mineur de quinze ans, sous réserve de l’existence d’une situation d’autorité ou de dépendance entre ce jeune majeur et ce mineur. »
Cette clause serait une alternative beaucoup moins problématique que la condition de l’écart d’âge « supérieur à 5 ans », dans le sens où elle éviterait l’annulation rétroactive de toutes les procédures judiciaires en cours pour « atteinte sexuelle » avec moins de 5 ans d’écart d’âge.
5) Des problèmes de constitutionnalité ?
Les actes bucco-génitaux (fellations, cunnilingus) ont été ajoutés au crime sexuel de l’article 227-14-1 sans être retirés du délit sexuel de l’article 227-14-5. De même ils ont été ajoutés à l’article 227-27-2-1 sans être retirés de l’article 227-22-2 (ces articles punissent l’inceste commis sur un mineur de plus de 15 ans). Cela crée une confusion car les mêmes faits pourraient être incriminés par deux articles différents, ce qui est contraire aux principes du droit pénal.
Il s’agit très probablement d’une maladresse dans la rédaction qui montre à quel point le travail en commission des lois a été bâclé à cause de la décision de remplacer la quasi-totalité du texte de départ par celui de Mme Louis.
6) Mobilisons-nous !
C’est maintenant qu’il faut écrire à nos députés qui vont examiner ce texte en Séance publique le mercredi 18 février.
Le message à leur faire passer :
- écrivez ou soutenez des amendements pour supprimer la condition supplémentaire « et si leur différence d’âge est de plus de 5 ans »
- écrivez ou soutenez des amendements pour supprimer la condition supplémentaire « alors même qu’il a connaissance de cet âge ou ne pouvait l’ignorer »
- restez vigilants sur tout ce qui pourrait affaiblir la protection des enfants contre l’inceste de 0 à 18 ans.
- restez vigilants sur tout ce qui pourrait affaiblir le seuil d’âge à 15 ans annoncé par le gouvernement avec tambours et trompettes.
-
restez vigilants sur les incohérences de rédaction, volontaires ou non, qui pourraient rendre le texte inconstitutionnel. En matière de droit pénal, on doit être très rigoureux et strict.