Par Isabelle Aubry, présidente Face à l'inceste
La réforme pénale qui arrive mi avril à l'assemblée inquiète fortement les victimes qui n'ont pas été véritablement consultées par la Garde des Sceaux. Une vague réunion alors que tout était bouclé pour donner le change ne nous a pas fait oublier que nous n'étions pas conviés au ballet de la conférence de consensus.
Le but de cette réforme est de désengorger un système pénal "à bout de souffle", en finir avec "le tout carcéral", donner plus de sens à la peine en misant sur la réinsertion, qui doit réduire la surpopulation et, surtout, lutter contre la récidive. Bien entendu, il n'est aucunement question des victimes dans tout cela, ni de l'augmentation du budget de la justice qui est 27e au niveau européen. On fera avec les moyens du bord. Quant aux mesures envisagées, elles se soucient plus du devenir des agresseurs que de celui de leurs victimes dont il n'est nullement question ici.
Question : qui paye cette réforme ? On ne peut s'empêcher de répondre, les victimes, celles qui s'occupent des pulsions des délinquants sexuels, souvent de leur famille, et ce pendant les années de leur tendre enfance voire de leur vie entière. Dans l'inceste, il n'y a pas de peine plancher pour la victime, on garde sa famille à vie.
Les nouveautés ? La contrainte pénale qui consiste à purger sa peine hors des murs de la prison pour les délinquants punis de cinq ans de prison ou moins. Belle création qui va permettre aux victimes de vivre à proximité de leur agresseur, les agents de probation étant déjà surchargés de travail... Si celui-ci ne respecte pas ses obligations, il peut être à nouveau jugé pour cela. Voilà qui va désengorger nos tribunaux. Il sera cette fois, incarcéré pour une durée n'excédant pas la moitié de sa peine.
Ensuite préparer la sortie du délinquant en examinant son dossier aux 2/3 de la peine afin d'éviter les "sorties sèches", non accompagnées. Parcours, projet d'insertion, dispositifs de libération personnalisé ou non, bref même une victime en dépression majeure ne dispose pas d'un tel accompagnement prévu par la loi.
Les peines planchers seront supprimées car contraires à l'individualisation des peines et inefficaces contre la récidive selon la Chancellerie. Les réductions des aménagements de peines en milieu ouvert (surveillance électronique, semi-liberté...) sont quant à eux revus à la baisse. Cela signifie que les condamnés à moins de deux ans pour les pour les primo-délinquants (et à un an pour les récidivistes) pouvaient bénéficier d'un aménagement de peine en milieu ouvert. Des délais ramenés désormais respectivement à un an et six mois. Attention, ce "durcissement" des conditions d'aménagement de peine pourrait faire l'objet d'amendements lors du débat parlementaire.
Question : a-t-on les moyens matériels et humains de cette réforme ? Selon nombre de professionnels ce n'est pas le cas. La contrainte pénale et la réduction des sorties sèches ne pourront de faire qu'avec des renforts en juges d'application des peines (JAP) et en conseillers d'insertion et de probation, qui rencontrent déjà des problèmes d'effectifs. Après 80 en 2013, une quarantaine de postes de JAP doivent être créés en 2014. Quant aux conseillers, 300 postes doivent être créés en 2013, 150 en 2014. Des renforts bien en-deçà des besoins, selon les syndicats.
Il nous faudra être mobilisés pour repousser cette réforme "laxiste", nous comptons sur toutes les victimes et leurs proches pour manifester leur mécontentement et obtenir le retrait de cette loi.