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Témoignage Publié le 11.08.2025

Bonjour, je suis un homme de 18 ans, actuellement en première année d’études supérieures.

Et franchement, je ne sais même pas comment je peux le dire car je ne sais même pas par quelle intervention surnaturelle je suis encore en vie. Je viens d’une famille du Nord de deux parents, mon père et ma mère, et de deux enfants, mon grand-frère et moi. Des parents très aimants et une famille d’apparence parfaite : aisance financière, maison super et relations intra-familiales au top. Pourtant, si jamais j’écris ce témoignage sur un site dédié à l’inceste, vous vous doutez que les apparences ne sont qu’une façade bien entretenue. En effet, quand mon frère avait 11-12 ans, et que moi j’en avais 8, il a découvert sa non-hétérosexualité. Mais venant d’un tout petit village avec très peu de communications avec la ville, personne pour en parler et personne avec qui découvrir sa sexualité, mon frère s’est tourné vers le garçon le plus facilement accessible : son petit-frère. Moi.

J’avais 8 ans, j’étais encore très loin de la puberté, lui était dans les débuts de celle-ci et c’était indéniable. En effet, dans mes souvenirs lointains et brouillés par les années et par les tentatives d’oublier, ses premières demandes étaient de l’ordre de la masturbation. Chose que je ne connaissais évidemment pas à l’époque. Mais très vite, les choses ont fortement escaladé. Les masturbations sont devenues des fellations, lesquelles se sont muées en pénétrations. Encore une fois, je n’ai aucune idée de ce qu’il se passe, je ne sais pas du tout ce que tout cela signifie. Et quand on vous y habitue à un si jeune âge, ça devient un passage normal de la journée : se lever, aller à l’école, rentrer avec le bus, sucer son frère, faire ses devoirs, se laver et se coucher. C’était ma journée. Et elle me semblait normale. Cependant, à peu près deux ans plus tard, quand j’avais donc 10 ans, mes parents voient de loin une tentative de la part de mon frère de m’approcher. Ils s’alertent immédiatement et dans la journée, me mettent à l’écart et me parlent. Ils me demandent ce qu’il se passe. Je leur réponds de manière tout à fait innocente que mon frère et moi jouions à « tu sais quoi », ‘notre’ nom de code pour définir ce qu’il se passait entre nous. Mes parents sont littéralement sous le choc, m’expliquent que ça n’est absolument pas normal, que ce n’est pas de ma faute, qu’ils vont être ultra vigilants, etc.

Mais là… 15 mois plus tard, à l’âge de 12 ans, je m’apprête à faire la pire chose de ma vie. Depuis que tout s’est arrêté avec mon frère, je ressens comme un vide, comme si quelque chose qui était devenu une habitude avait disparu. Alors, je vais voir mon frère et lui dit que j’aimerais qu’on recommence. Deux ans plus tard, mes parents s’en rendent compte. Ils sont anéantis. Mon frère, désormais âgé de 17 ans, est aussitôt placé en internat dans son lycée. Sa chambre à la maison est déménagée pour qu’elle ne soit plus à côté de la mienne. Jamais nous ne seront laissés seuls à partir de ce jour. Mais malgré tous les efforts de mes parents pour concilier famille avec mon bien-être et ma sécurité, ça finit par recommencer, toujours. Quelques mois plus tard, mon frère trouvera un moyen, via les réseaux sociaux, de me recontacter. Dès lors, ce que je subissais « uniquement » de manière physique va devenir omniprésent. Désormais, ce ne sera plus que des actes sexuels, mais aussi des messages, des photos, des vidéos… des nudes en clair. Mais maintenant, je n’ai plus 10 ans, mais quatre de plus. Je comprends ce qu’il se passe, et je ne le supporte pas. Il y a cette appréhension constante qu’il rentre le week-end, la crainte que mes parents nous laissent seuls, etc.

Et pourtant, je tiens deux ans. Deux longues années où je sens que je sombre. Pourtant, en apparence, tout va bien : je souris, je rigole, je fais des blagues, j’ai d’excellentes notes… Mais encore une fois, les apparences sont pour le moins trompeuses. Car au fond, je sais que je vais très mal, que ça fait en réalité des années que je suis dans un état dépressif plus ou moins constant : je me referme sur moi-même, je prends de la distance avec les gens, je suis incapable de me mettre en couple, etc. Eh oui, essayez donc au collège et au lycée de vous mettre en couple dans ces conditions… c’est impossible. C’était d’autant plus impossible que malgré tout, malgré ces années de violences qui étaient encore en cours à ce moment-là, je sentais au fond de moi que c’était pas les filles qui m’attiraient. Donc, pour mettre les choses au clair, mon frère abuse sexuellement de moi depuis sept ans, et malgré ça, j’aime les garçons ? Mais dans la tête d’un ado c’est la bataille de la Somme. Est-ce que ça veut dire que j’étais consentant ? Est-ce que je suis vraiment gay ou est-ce une conséquence de tout ce merdier ? Comment mes ami·es réagiraient ? Comment ma famille, mes parents, le prendrait ? Et c’est là, à partir de ce moment-là, que je bascule complètement. Je commence à voir dans la boîte de médicaments une occasion de mettre fin à mes jours. La fenêtre de ma chambre est un moyen de se suicider. Les fils électriques au-dessus des trains, là où il y a marqué « Haute-tension danger de mort » ne deviennent pas un risque, mais une échappatoire.

Pourtant, grâce à une amie incroyable qui a remarqué mon mal-être et qui a donc fait du gentil matraquage pour me faire parler, j’ai pu balancer une partie de tout ce que je vivais. Je lui ai dit pour les violences sexuelles, mais sans entrer dans les détails. Et surtout, je ne parle pas de mon orientation sexuelle. Ainsi, alors que je suis désormais en première et que j’ai 16 ans, je peux enfin en parler à quelqu’un. Ensuite, l’ensemble de mes ami·es est donc mis au courant et tente de me faire parler à mes parents. Mon chantage au suicide si quiconque en parlait à mes parents les a convaincu·es de ne pas le faire. Mais grâce aux soutien de mes ami·es, quelques mois plus tard, j’arrive à dire à mon frère que je veux qu’on arrête. Et il accepte. Je le dis immédiatement à mes ami·es qui sont contents et qui me félicitent. Pourtant, le calme est de courte durée. Quelques mois plus tard, tout recommence. Et là, je suis incapable d’en parler à mes ami·es, alors je reste de nouveau seul avec ça. Mon frère reprend alors ses actes, mais il est important de noter que jamais il n’a été ouvertement méchant ou violent avec moi, ce qui me laissait croire que j’étais d’accord. Pourtant, aujourd’hui je me rends compte que le « non » n’était jamais une option que je me sentais suffisamment confiant pour dire. Là est un énorme problème.

Les mois passent. Et 18 mois plus tard, je suis à bout. J’ai de nouveau pensé des dizaines de fois à me suicider, à arrêter. Je suis maintenant étudiant dans mon appartement, à une bonne distance physique de mes parents et de mon frère. Mais les nudes ne se sont pas arrêtés. Alors évidemment que je n’en peux plus et que j’ai envie de crever. Comment voir la lumière quand chaque putain de fois qu’elle m’effleure le visage, mon frère vient tout de suite me tirer dans l’ombre ? Alors, au bout de ces fameux 18 mois précités, je craque, j’avoue tout à une amie qui accepte de n’en parler à personne. Je lui avoue que ça a repris avec mon frère, que malgré tout ça, je sais que j’aime les mecs et ça me paraît tout à fait impossible. Et là, enfin, je commence à respirer. J’arrive à avouer à tous mes ami·es que je ne suis pas hétéro. Alors, ne poussons pas le bouchon trop loin, je n’arrive pas à avouer que je suis gay car je refuse moi-même de l’entendre. Et surtout, j’arrive à dire à mon frère « stop » dans la foulée. Et c’est le début des meilleurs mois de ma vie entière. Je revis littéralement. Je retrouve du bonheur dans plusieurs choses que je trouvais juste nécessaires, je ne force plus ma bonne humeur, etc.

Mais les démons me hantent toujours : je suis tout à fait mal dans ma peau, incapable de m’avouer mon orientation sexuelle et persuadé que de toute façon, je ne pourrai jamais être en couple car, de une, qui voudrait de moi, de deux, je n’ai jamais été amoureux, et de trois, que penseraient mes parents ? Eh oui. Ça fait des années qu’ils pensent que cette histoire avec mon frère s’est finie, mais ils n’ont rien oublié. Alors, que penseront-ils s’ils apprennent que leur fils abusé par un homme est gay ? Ces questionnements seront de courte durée car quatre mois après avoir réussi à dire « stop » à mon frère, après les quatre meilleurs mois de mon existence, mon frère vient me revoir. Et là, je n’ai jamais sombré aussi vite. En une semaine je me sens à bout. Mais jamais je n’avais été autant à bout. Jusqu’alors, j’avais réussi à cacher mon mal-être, mais là, ma mère s’en rend compte. Elle me demande si tout va bien. Je mens, évidemment. Et après seulement une semaine à subir tout ça (oui, je me rends compte de l’horreur de ce seulement, mais une semaine face à dix ans, c’est ridicule), je craque. Je dis tout à mes ami·es. Cette fois-ci, ils ne sont pas là pour me prendre avec des pincettes. Ils font la même constatation que moi : quoi qu’il se passe, mon frère revient toujours à la charge. Leur solution est unique : tout avouer à mes parents. Je refuse d’abord mais je sais que leur solution est la bonne. Alors, deux semaines plus tard, me voilà devant mes parents à tout leur raconter. C’était un moment horrible pour moi comme pour eux. Je n’ai jamais vu personne ressentir autant de culpabilité, autant de sentiment d’impuissance. Et de même que mes ami·es, mes parents prennent les choses extrêmement au sérieux et accèdent à toutes mes demandes : je ne veux plus jamais voir mon frère dans aucun événement, je veux voir une psy (une, pas un), etc.

Aujourd’hui, ça fait un mois que j’ai parlé à mes parents. Un mois qui a été celui durant lequel j’ai ressenti le plus de liberté. Et puis, une amie m’a présenté à un de ses amis, ouvertement gay. Et, une chose qui ne m’était jamais arrivée avant : je tombe amoureux, vraiment. Je comprends pour la première fois ce que veulent dire tous ces livres, ces films, ces séries, ces chansons, etc. À 18 ans bien entamés, pour la première fois de ma vie, je m’autorise à ressentir quelque chose pour quelqu’un. Et ça peut paraître heureux, mais bizarrement, même ça, ça ne l’est pas. Pourquoi ? C’est simple : les sentiments me font peur. J’ai passé 10 ans de ma vie à simplement les refouler par mécanisme de défense et de survie et après seulement un mois je dois gérer ça ? Bah nan en fait je ne sais pas faire. Un mois après être enfin délivré de celui que je peine à définir comme un agresseur (je n’arrive même pas à me considérer comme une victime), je suis étrangement heureux. Et pourtant, je n’ai jamais eu autant envie de me suicider. Je ne sais pas comment gérer des sentiments, encore moins des sentiments amoureux. Je ne sais pas comment faire pour être heureux.