Agoraphobie

Témoignage Publié le 10.12.2013

altAgoraphobie... Cela a commencé un dimanche matin de l’année 1991, comme tous les dimanches, en fin de matinée, j’allais chercher le pain. Mais déjà depuis la fin du petit déjeuner, j’étais énervée, anxieuse, pas bien du tout. Vers onze heures, je suis descendue et arrivée au bout de ma cité, je n’ai pu aller plus loin, palpitations, sueurs froides, je n’arrivais plus à respirer. Je suis vite remontée chez moi, une fois la porte franchie, plus rien ! Mes symptômes avaient disparu. Envolés ! En fait je me sentais en sécurité chez moi, j’étais à l’abri dans mon cocon. Plus tard dans l’après-midi je retentais le coup. Idem. Tout mon mal-être du matin revenait sauf que je me demandais si je devais ou non franchir la porte.

Je commençais à me poser des questions car je travaillais, j’aidais et soutenais de surcroît ma mère dans son veuvage. Je ne voulais pas finir enfermée chez moi. Je ne pouvais cesser de bosser pas plus que je ne pouvais laisser tomber ma mère. Et puis surtout j’avais déjà Isabelle dans ma vie. Nous ne vivions pas encore ensemble. A cette époque ce n’était encore qu’une amie. Là non plus je ne voulais pas la perdre. La nuit fut agitée. J’étais mal dans ma tête, mal dans ma peau. Je devais affronter ma peur, mes angoisses, mes doutes. J’ignorais ce qui me faisait souffrir. Je n’avais aucun souvenir d’un quelconque traumatisme.

Le lundi matin, alors que je fixais la porte je me recouvrais de sueurs froides, des palpitations me mirent au bord de l’évanouissement et mes jambes tremblaient sans que je puisse me contrôler. J’ai tenu bon, j’ai pris mon souffle et j’ai franchi la porte. Il fallait prendre la voiture, je n’étais pas trop en état de conduire. J’ai démarré le véhicule. J’ai roulé doucement, fenêtre grande ouverte car je manquais d’air. Arrivée au magasin, (je suis employée de commerce), j’étais contente d’avoir surmonté cette étape mais je savais aussi que la journée ne faisait que commencer. J’étais dans tous mes états, je n’arrivais pas à tenir en place. Heureusement je pouvais aller et venir à ma guise, prendre l’air quand c’était nécessaire car l’angoisse ne me lâchait pas. Durant huit heures, je me suis dépensée sans compter pour ne pas penser, essayant d’évacuer ce mal-être. J’avais des douleurs dans le ventre, la tête qui tournait. Il fallait que j’arrête de temps en temps pour m’asseoir, reprendre un peu de force et continuer coûte que coûte. J’oscillais entre la fuite et l’affrontement. Je souffrais physiquement et encore plus moralement. J’ai passé des heures que jamais je n’oublierai.

La fin de la journée arriva à mon grand soulagement. Il fallait reprendre la voiture, les feus, les stops. Tout cela me sembla un calvaire. J’étais pressée de rentrer chez moi, le seul endroit où rien ne pouvait m’atteindre, me toucher, où j’étais bien, très bien, sans douleur, sans sueurs froides, ni palpitations. J’avais passé une journée d’enfer et je ne savais pas si je pouvais répéter ces efforts tous les jours, si j’en avais la force, le courage et l’envie. J’appelais Isabelle car j’avais besoin d’entendre sa voix et lorsqu’elle entendit la mienne, elle sut aussitôt que quelque chose clochait. Je lui racontais mes malheurs et elle me conseilla vivement d’aller chez le médecin. Je m’y rendis immédiatement. Il consultait sans rendez-vous et je lui exposais d’une traite tous mes symptômes. Il m’écouta attentivement et me prescrivit des antidépresseurs et des anxiolytiques, me disant que tout allait rentrer dans l’ordre très vite.

En fait la situation se dégrada très vite. Les médicaments se montrèrent assez inefficaces, je m’épuisais dans des efforts surhumains pour continuer à travailler et m’occuper de ma mère. Le reste du temps je vivais cloîtrée. Pour mes commissions, j’avais repéré un petit magasin bien achalandé, j’avais mémorisé les rayonnages avec les produits de première nécessité pour moi et je m’arrangeais pour y aller le mardi ou le jeudi dès quinze heures à l’ouverture. Je faisais mes courses tel un robot mais un robot boosté. Heureusement mes achats ne duraient jamais longtemps. La relation avec Isabelle évolua également car ne pouvant pas sortir de chez moi, nos échanges ne furent plus qu’épistolaires ou plus rarement téléphoniques. Ma souffrance ne la laissait pas indifférente. Ses longues lettres m’apportaient un certain réconfort, sa patience, son amitié et sa compréhension des événements m’étaient précieux.

Depuis que j’avais commencé le traitement médicamenteux (pour essayer de faire passer tout mon mal-être), j’allais de moins en moins bien. Rien n’avait effet sur mes douleurs physiques. A chaque visite le médecin augmentait les doses sans rien me proposer d’autre. Un jour que j’étais très mal, je lui demandais si je devais consulter un psychiatre mais il refusa. Pour lui je n’en avais pas besoin, ce n’était pas pour moi. Ma vie s’était organisée entre le boulot, ma mère, le médecin, mes cachets et mes lettres à Isabelle. Petit à petit l’amitié se transforma en amour pour Isabelle et elle finit par me rendre visite chez moi.

Deux ans s’étaient écoulés depuis la première crise et un dimanche matin, encore un, alors qu’Isabelle était venue passer le week-end chez moi, je fis un malaise, ressemblant presque à un infarctus ce qui me fit atterrir aux urgences. Bien évidemment l’électrocardiogramme fut normal et le médecin me renvoya chez moi en me disant que je n’avais rien !!! Isabelle comprit alors à quel point j’allais mal mais surtout que je ne pouvais plus continuer comme cela. Alors qu’elle n’avait eu jusque là qu’un rôle d’écoute, elle m’aida, me soutint et m’épaula plus activement. Tout d’abord elle me trouva un psychiatre qui d’emblée me convint, faisant fi des paroles du généraliste. J’étais d’accord avec elle, les cachets n’étaient pas la seule solution. Je devais comprendre ce qui m’arrivait, donner un sens à ma souffrance. Je sentais que j’étais en train de sombrer, de me détruire encore plus, je voulais vivre, du moins survivre, ne plus souffrir, ne plus pleurer. Je n’en pouvais plus de vivre en recluse, de refuser les invitations quelles qu’elles soient. J’étais enterrée vivante, ma vie se résumant à trente mètres carrés. Enfin Isabelle était plus que présente dans ma vie, nous avions commencé une belle histoire et je ne voulais pas qu’elle s’arrête. J’avais trouvé mon âme sœur. Mon bonheur était là, je ne pouvais le laisser partir. J’avais remarqué que sa présence à mes côtés me faisait le plus grand bien. Mes douleurs s’apaisaient, les crises étaient moins violentes.

Isabelle ne voulait pas que mes angoisses dominent ma vie. Elle avait elle aussi des besoins et des désirs dont je devais tenir compte. Par exemple, elle voulait sortir le week-end. Elle étouffait dans mon studio et je ne pouvais pas accéder à sa demande. Je me disais intérieurement que je devais m’engager à faire des efforts, à me surpasser, à me montrer à moi-même que je pouvais le faire. C’est ainsi que grâce à mon psy et à Isabelle, je parvins à former le projet de passer un dimanche après-midi à Paris.

Ainsi je me suis préparée psychologiquement et lorsque vint le jour d’affronter la situation, je ne reculais pas malgré ma peur. Il m’a d’abord fallu supporter le trajet qui n’en finissait plus. Pour m’aider Isabelle me parlait car elle savait que ça me détendait et me rassurait. Arrivées à destination, il y eut la foule, le bruit. Toutes ces voitures, c’était dur, hyper dur mais chaque pas fait dans la Capitale était une réussite. Isabelle était là, me tenait le bras, me réconfortait encore et toujours. Les minutes et les heures ont passé, ce combat m’épuisait, il était long et pénible mais je voulais y arriver. Je voulais gagner, avec Isabelle à mes côtés. Je savais que j’y parviendrais. Je me battrais pour et je voulais sortir victorieuse de cette lutte. J’avais réussi ce premier examen mais il y en avait encore beaucoup d’autres à venir. Si ce dimanche s’était à peu près bien déroulé, les autres comment seraient-ils ?

Isabelle me poussa ensuite à partir avec elle en vacances. Le fait de partir loin de chez moi me terrifiait. il y aurait les longues heures dans la voiture, peut-être des bouchons et tout ce qui s’en suit. Là encore, nous avons tout organisé et planifié avec Isabelle afin que tout se passe au mieux. Démarrage avant le lever du soleil pour rouler sans trop de circulation, déjeuner vers 11 h 30 en décalé et ainsi de suite… Isabelle s’est occupé de toutes les formalités, je me laissais entièrement guidée par elle. Dans le studio que nous avions loué j’ai fait entièrement le tour, vérifié les fenêtres, si la porte fermait bien. Isabelle était toujours là près de moi à me parler, à me rassurer et à me démontrer par A plus B qu’il ne pouvait rien m’arriver puisque que c’était comme chez moi. Cependant ce n’était pas évident parce que même si je savais qu’Isabelle avait raison je ne parvenais pas à m’en convaincre. Je ne dormis pas de la nuit ni les nuits suivantes. J’étais éveillée malgré les cachets. Je restais sur le qui-vive, comptant les heures qui me séparaient du retour à mon trente mètres carrés. Là aussi Isabelle fut à mes côtés, veillant sur mon sommeil car je m’écroulais tous les après-midi, se montrant compréhensive, patiente, me soutenant, me guidant, m’épaulant. Elle me parlait à chaque fois qu’elle sentait que j’étais angoissée, me réconfortait constamment, valorisait chacun de mes efforts, les reconnaissant à leur juste valeur. Avec elle le dialogue était vrai. C’était un véritable échange, je pouvais lui confier mon ressenti qu’elle savait toujours accueillir avec bienveillance. Grâce à elle, j’ai appris le bienfait de la parole. J’ai appris aussi à quel point le langage est une chose merveilleuse car l’on peut se sortir de tout, de la colère qui dévore, du mal qui ronge, et aussi se laisser envahir par l’amour de l’autre, connaître le bonheur.

C’est aussi grâce à la parole que j’ai pu me libérer de ce viol par un pédophile, qui me gâchait la vie, a failli me rendre dingue et me couper de tout et de tous. Ce viol enfoui en moi qui a manqué de m’enfermer dans trente mètres carrés et me détruire entièrement. C’est Isabelle qui m’a permis d’en retrouver le souvenir car j’étais dans le déni. Si elle ne m’avait pas fait prendre conscience que mon angoisse avait un sens, j’aurais pu y rester longtemps. C’est par des mots que j’ai pu me libérer de cet acte immonde, de ma prison psychologique en béton.

Aujourd’hui les cachets ont fini à la poubelle. Je n’en prends plus, même quand je suis mal. Isabelle me soutient toujours autant. Notre histoire est une belle histoire d’amour qui dure depuis dix ans. Grâce à elle j’ai découvert le monde, la vie, les plaisirs de l’extérieur, la beauté des choses. Je vis pleinement, entourée de paroles, d’explications, de patience et d’amour. Je lui suis très reconnaissante de m’avoir vue comme une personne et non comme une victime, d’avoir cru en moi, en mes capacités intérieures. De n’avoir jamais renoncé à avoir une vie ordinaire pour nous deux, quoi qu’il m’en ait coûté ! Bien sûr, je suis aidée par une psychologue et sans ce travail sur moi, je n’aurais pu consolider à ce point tous mes acquis ni apprécier comme il se doit Isabelle.