J'ai démarré une dépression très lourde vers mes 17 ans. Elle a eu pour conséquence de m'isoler de mes copains et de ma famille, de me faire décrocher sur le plan scolaire.
Mon généraliste m'a orientée vers un psychiatre qui a su m'accompagner de longues années. Au bout d'une année de thérapie, j'ai commencé à me souvenir que mon grand-père paternel m'avait violée à plusieurs reprises vers l'âge de 4, 5 et 6 ans quand j'étais en vacances sans mes parents. Ma grand-mère a fini par surprendre mon grand-père après de nombreux actes et elle a mis fin à ce calvaire, mais elle n'en pas parlé à mes parents.
J'ai fini par comprendre et "reconstituer" que j'avais décidé d'oublier ce qui s'était passé à partir du décès de mon grand-père, j'avais 9 ans à l'époque. De mes 17 ans à mes 27 ans, je suis restée en dépression lourde, incapable de passer mon bac, incapable de faire des études et des formations, incapable de garder un travail, incapable de constituer un réseau amical ou de tomber amoureuse, incapable de me construire une vie heureuse et apaisée. J'ai réussi à force de persévérance et de patience à dépasser toutes mes difficultés, à fonder une famille heureuse, à construire une carrière dans la fonction publique et à profiter de la vie, tout simplement.
Avec le recul, j'ai manqué de soutien et de compréhension de ce qui s'était passé. Les adultes de ma famille ou de l'éducation nationale n'ont - semble-t-il - rien vu et moi-même, enfant, je ne me sentais pas de le dire après les viols. Je n'avais jamais entendu parler des droits de l'enfant, j'étais totalement seule et isolée. Même après mes 27 ans jusqu'à aujourd'hui, j'ai continué à vivre des périodes très difficiles qui ont nécessité du soutien psychologique de manière régulière pour comprendre, accepter, penser et agir pour me détacher et prendre de la distance par rapport à mes grandes et nombreuses souffrances. J'ai réussi à en parler à mon frère et à mes parents, il y a seulement trois ans. Mes parents ont bien réagi, ce qui m'a beaucoup aidée, mais nous n'en avons jamais parlé à nouveau. Quant à mon frère, il refuse de me parler depuis. Je suis aujourd'hui relativement apaisée par rapport à mon histoire et je souhaite dire à toutes les victimes que c'est possible de s'en sortir, de dépasser ses souffrances sans oublier que nous sommes victimes, que c'est possible d'être apaisé et heureux... malgré tout !
Ce qui est extraordinaire c'est le déroulement final de votre histoire, que l'on pourrait dire résiliente. Pour ma part, c'est le temps qui met de la distance avec cette histoire d'inceste avec mon père, en revanche je n'ai pas réussit à construire ma vie de famille (je suis famille monoparentale et mon fils ne connait pas son père car je suis passée par la FIV) ni ma vie professionnelle (bien que j'ai été responsable de magasin pendant 20 ans mais le commerce n'était pas vraiment moi, je l'ai plus fait par hasard). J'ai été 15 ans en psychanalyse mais curieusement cela ne m'aura pas permit de me reconstruire vraiment. Ce qui m'interroge c'est pourquoi certaines personnes réussissent et d'autres pas. C'est comme ci je gardais le sentiment que je n'avais pas réussit à trouver ce que je voulais dans le soutien psychologique, c'est à dire trouver en moi les moyens de construire ma vie de famille d'adulte sans priver mon fils d'un père parce que je n'ai pas réussit à construire ma vie avec un homme bienveillant. Votre réussite m'interroge beaucoup et je la trouve formidable.