Mes parents avaient toujours désiré une fille, et je suis arrivée sur le tard, 17 ans après mon frère aîné. Ils avaient 40 ans. J'étais un bébé très souriant, dynamique. Puis j'ai grandi, seule enfant de la maison.
Un père au travail, 5 jours par semaine. Une mère au foyer, qui s'occupait du strict minimum à la maison (faire à manger, laver le linge et faire quelques courses). Avant d'aller à l'école, je restais de très longues heures à jouer dans mon coin. J'étais énurétique et encoprésique, donc elle était obligée de me changer régulièrement. Elle faisait ma toilette et changeait mes couches sur la table du salon. Elle me touchait et m'embrassait le sexe, comme si c'était la chose la plus normale du monde, comme si toutes les mères faisaient cela à leur enfant tant désiré. J'ai passé 8 ans de ma vie, toute ma petite enfance, dans ce climat incestuel, sous le regard de toute la famille. Je dormais entre mes parents, les voyais nus, on se lavait tous à la bassine dans la cuisine. J'appelais silencieusement au secours, en dessinant des bonhommes sexués et en étant mutique, le regard implorant.
L'école a compris qu'il y avait de gros problèmes à la maison. Une enquête a été faite auprès de la protection sociale à l'enfance, qui a décidé d'un placement en foyer. Voilà, je vivais dans ma tête parce que je ne pouvais pas habiter mon corps. Il était déjà pris par ma violeuse de génitrice (je ne peux plus l'appeler mère), regardée avec curiosité par mon père et mon frère complices et impuissants. Leur avoir été enlevée a été un déchirement pour eux. Ils devaient avoir très peur que je parle. Mais je n'ai pas pu, car je ne trouvais pas les mots et que la vérité était bien trop grosse pour passer par ma petite bouche d'enfant. Malgré le soutien et le suivi de l'équipe éducative, je n'ai pas pu dire ce qui m'était arrivé avant mes 33 ans. Pour moi, c'était maintenant ou jamais, si je voulais construire ma vie d'adulte et vivre le bonheur qui m'était dû. Plusieurs tentatives ont été nécessaires pour oser dire l'indicible. Les viols répétés. Le poids du silence. Les conséquences sur ma vie.
Quand on n'est plus un enfant, on nous dit parfois : "C'est du passé tout ça. Il faut que tu dépasses tout ça." "Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort." "Une fois que tu auras pardonné, tu te sentiras mieux, tu verras." "Ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient." "Pourquoi as-tu gardé tout ça enfoui pendant tout ce temps ? Pourquoi as-tu besoin de le dire, maintenant que c'est du passé et qu'ils sont vieux ?" PARCE QUE JE SUIS VIVANTE ET DEBOUT. JE NE VEUX PLUS JAMAIS ME TAIRE PARCE QUE LA SOCIÉTÉ DOIT OUVRIR LES YEUX ET COMPRENDRE QU'UN ENFANT N'APPARTIENT PAS A SA FAMILLE. UN ENFANT EST UN ÊTRE SOUVERAIN QUI A DES DROITS. Il n'est jamais trop tard pour exprimer ce qui est en nous, et je suis fière de pouvoir le faire aujourd'hui. J'envoie tout mon amour et toute ma compassion aux personnes de tous les âges, qui ont vécu la même chose que moi.
Un profond remerciement pour votre témoignage. Votre courage est admirable. Bien à vous.