La première fois j’ai 4 ans, peut-être 5, c’était le fils du voisin, 10 ans de plus que moi. Je grandis dans cette famille comme je peux.
Un père pervers narcissique, une mère portant une lignée de femmes abandonnées, mal traitées et mal aimées, deux frères plus âgés que moi. On ne m’a pas appris à être une petite fille…on m’a appris à faire plaisir… à combler les besoins des autres, à ne pas ressentir, à ne pas déranger, à ne pas exister. L’attention et la reconnaissance me manquaient. Je cherchais juste à être aimée.
Il m’a coincée, et a dit : « je vais t’apprendre un jeu, tu t’assoies sur mes genoux et je vais te faire sauter ». Son sexe pressé contre mes fesses, j’ai essayé de me lever…de dire que ça n’allait pas mais il a répondu « c’est parce que ça sera mieux si je m’allonge pour jouer à dada et que tu t’allonges sur moi ». Il se frottait…en chantant…Ah dada sur mon bidet…La chanson que me chantait mon grand-père. Plusieurs fois il s’arrange pour me coincer. « Enlève ta culotte, montre-moi par où tu fais pipi », j’avais peur. Puis ils sont plusieurs. Lui me touche avec sa bouche et ses doigts et les autres regardent. Ils rient. Je décide de ne plus me laisser coincer. Ça ne recommencera pas. Je ne parle pas, ça n’existe pas. J’ai honte. Je ne sors plus jouer dehors.
J’ai 8 ans. Un père au chômage. Violences, alcool, tentative de suicides. Nous déménageons, changer de région, recommencer… L’été mon frère de 13 ans et moi 10 retournons dans notre village natal, chez mes grands-parents durant les vacances. Un soir, nous discutons, il commence à me parler de sexe, me demande de lui montrer le mien, je refuse, je crois qu’il rigole, mais il insiste, et insiste encore, faisant croire à des jeux il commence à me toucher et à me chatouiller, puis à s’énerver, à devenir violent, je ne peux par partir, j’ai peur, je suis coincée…encore. Il dit : « t’es qu’une salope de toute façon, les mecs du village te sauteraient bien alors pourquoi pas moi ». Je me laisse faire… Il me touche, se frotte, me demande de mettre son sexe dans ma bouche, met sa bouche sur mon sexe, éjacule et va se coucher dans son lit. Je me sens sale, la culpabilité, la honte m’empêche de respirer. Je finis par m’endormir, le lendemain matin la vie continue. C’est la première fois, ça durera 3 ans.
J’ai 13 ans, il y a un garçon au collège qui s’intéresse à moi. Il est gentil, il est doux et attentif. Il vient me chercher de plus en plus souvent. Mon frère violeur me demande : « Tu sors avec lui ? ». C’est faux, mais je réponds « Oui, pourquoi ? » Mon regard le provoque. Je vois de la colère et du dégout dans ses yeux, ça me fait du bien. Après ça, il ne me touchera plus jamais. Quelques semaines plus tard je décide de me laisser embrasser par ce garçon. Embrasser, ça on ne me l’avait jamais fait. Je sens de la tendresse, de la sécurité, du respect et un jour se sera de l’amour. Il sent que je suis écorchée. Il me demande de parler. Alors je raconte, un peu mon secret, et je lui demande de le garder secret. Il me demande si mon frère me touche encore, j’ai dit non, plus depuis que tu viens me chercher. « Alors il ne t’arrivera plus rien ».
Aujourd’hui j’ai 41 ans, cela fait 28 ans que nous nous aimons et que nous veillons l’un sur l’autre malgré toutes les épreuves que nous avons traversées, que nous traversons et que nous traverserons encore. Mal être, addictions, dépression, idées suicidaires, troubles alimentaires, troubles du sommeil, angoisses, pleurs, hurlements…La liste est longue. Longues et nombreuses ont été les nuits où il m’a tenu contre lui alors que je pleurais. J’étais engluée dans cette histoire toxique, sous emprise familiale, ils ont brisé mon âme. Chaque expérience de vie devenait un traumatisme qui rouvre des plaies jamais cicatrisées. Je voulais juste que tout s’arrête.
Il y a 18 mois, mon père se suicide. C’est violent. Mon histoire me revient comme une prise de conscience. Angoisse, troubles alimentaires, insomnie… Nouvelle thérapie. J’exprime, j’expie, je comprends, je ressens. Je coupe les ponts avec mes frères, l’un violeur, l’autre l’excusant. Je me focalise sur ma famille, celle que j’ai construite, celle que j’aime et qui m’aime. Mon mari de toujours et mes deux enfants. Je me construis. Je vis. Aujourd’hui quand je regarde mon chemin, je prends conscience de la volonté farouche qui m’anime : ne pas les laisser gagner. Ils ne m’ont pas tout pris, j’ai le droit de vivre, d’être heureuse, d’avoir des joies et des peines, de l’amour et du plaisir. Je veux rompre la chaîne, ne pas reproduire. Construire, autrement, avec mon amour et mes enfants. Une part de moi se rachète toujours un peu…la fameuse la culpabilité ! Je peux vivre, aimer et être aimé. L’amour me guérit ! Merci