J'ai passé tous les soirs de mon enfance avec cette phrase qui tournait sans cesse dans ma tête :" si tu dis quelque chose, je tue ton père ou ta mère".
Il me semblait devoir rendre une réponse...au bout de plusieurs années, je ne savais pas ( plus?) qui l'avait prononcée, mais je devais choisir qui mourrait quand je parlerai...Papa ou maman ? J'ai choisi de ne pas trop parler et j'ai appris la langue des signes ( futé non?)
40 ans plus tard, j ai eu des réminiscences corporelles, des bribes sont remontées, mon corps parlait...j'ai compris que j'avais été abusée mais n'avait pas l'identité des agresseurs. Le doute s est faufilé partout.. Je n'étais sûre de rien, et surtout pas de moi-même. Le doute est la conséquence pour moi la plus néfaste de toutes les autres. Oui je suis dissociée, oui je dois me regarder dans un miroir avant de sortir pour fixer mon image et ne pas me dissoudre, oui mes relations amoureuses sont des échecs, oui oui oui j ai tous les symptômes du symptôme de stress post-traumatique ... et oui j ai fait plein de thérapies.
Dix ans plus tard, de nouveau le corps parle. J'ai littéralement des contractions ( douleurs et angoisses) comme si le corps voulait accoucher de ce qu il a gardé, de ce qu il n a pas pu dire, voir, supporter... Le doute est là encore. L'infini recherche sa vérité : quand je saurai qui c'est, je serai soulagée, en colère oui mais au moins je pourrai accepter cette colère qui gronde en moi. Et si savoir, si, une fois les doutes levés, je n'étais pas soulagée?
Oui c'est vrai je vais mieux. Je remarque maintenant quand je quitte mon corps par exemple, je me sens plus légère. Le corps et le psychisme ont pu se libérer un peu. J'ai appris en chemin. Ce trauma m'a emmenée sur des routes que je n'aurais sans doute pas visitées sans lui. Je peux aider car je ressens les émotions de l'autre. J ai développé une hypersensibilité et hyper vigilance à l'autre et ses humeurs.
Alors le chemin est difficile. J'envie parfois ceux et celles qui se souviennent de leur trauma . C'est ridicule. Moi j'ai subi un trauma dont je ne peux me souvenir et je sais bien pourquoi. Je l'ai comme un mot sur le bout de la langue. Mes migraines chroniques me le disent bien: je ne veux pas accepter , je ne peux pas. C' est trop inacceptable. Je ne peux pas car je ne suis pas encore prête... quand (le serais-je?) Le puzzle est morcelé et plus il l'est, je le sais, plus la structure a été secouée. Je sais une chose : si l inceste tue, le doute aussi.