Il a écrit. Il y a quelques semaines j'ai trouvé un courrier dans ma boite aux lettres. Je n'ai compris tout de suite. Pendant un court instant il y avait plein d'espoir dans cette enveloppe - du travail, une réponse longtemps attendue et tant d'autres choses encore. C'est quand j'ai vu son écriture qu'en une seconde un cataclysme a éclaté dans mon cerveau - c'était lui, lui qui était si loin de moi à cet instant, après tant d'années d'effort pour construire un mur solide entre le mal qu'il m'a fait et un avenir si fragile, si incertain. Je n'ai pas eu la force de lire cette lettre. C'est une amie à mes cotés en cet instant qui m'en a résumé le propos - il dit qu'il veut reprendre contact avec moi, qu'après ces années de prison il s'est réinséré, que les choses vont assez bien pour lui si ce n'est qu'il souffre de ne pas savoir ce que deviennent ses enfants.
J'ai voulu rester forte, ne pas laisser les démons sans visages me dévorer à nouveau les entrailles. Je lui ai vite répondu, en lui envoyant un message neutre pour lui signifier qu'un jour j'ai dit que j'en avait fini avec mon père et que je voulais que les choses restent ainsi. Je lui ai vite répondu parce que j'ai eu peur qu'il ne puisse atteindre ma soeur, cette soeur qu'il a tant brisée qu'elle a tenté tant de fois de mettre fin à ses jours, cette soeur qui s'effondre à l'idée qu'il réapparaisse dans sa vie- cette soeur que je suis si heureuse de voir parce qu'elle est devenue une maman exemplaire, qui a rangé ses démons au placard pour devenir la meilleure des mères.
Ce n'est qu'une simple lettre que je n'ai pas pu lire jusqu'à aujourd'hui. Une simple lettre de mon agresseur. Des mots qui me rongent, un maudit papier qui m'a rappelé combien je suis fragile, combien il m'a fait de mal, combien j'ai du mal à me construire. C'est devenu un secret qui pue, un secret qui me mine parce que je ne peux le dire sans risquer de tourmenter ma famille, ce qu'il en reste. Comment faire? Je voudrais vomir ces mots, enterrer cette lettre, oublier et retrouver de l'entrain. Je voudrais que les choses ne soient pas si terrible mais pourtant... Je me sens à nouveau seule, hagarde au milieu du monde qui bourdonne autour de moi.
Un jour on m'a dit que je retrouverais la paix quand j'aurais pardonné, quand j'aurais dit à mon père "je te pardonne" et ces paroles m'ont révoltées. En quel honneur et pourquoi faire? Je veux qu'il soit loin de moi, je veux ne pas savoir ce qu'il devient. Je veux qu'il refasse sa vie loin de nous. Ces paroles m'ont longtemps trotté dans la tête et me trottent encore dans le cerveau. On m'a déjà dit "mais c'est ton père quand même" comme pour me dire qu'il fallait faire table rase. Est-ce que je le peux moi? Je ne veux pas être le bourreau de mon père mais je ne peux supporter l'idée même d'être sa fille. Je souffre de ce vide, je souffre de ne pas pouvoir parler librement de ma famille à mes collègues, je souffre de ne pas avoir un père qui me soutienne et me guide dans les épreuves de la vie. Mais n'a-t-il pas renoncer de lui-même à être mon père le jour où il a posé des mains d'homme sur moi? Qu'il nous ait battues, tyrannisées, humiliées au lieu de nous permettre d'avancer sereinement sur le chemin de la vie, j'aurais pu vivre avec. Mais qu'il nous ai volé ce qu'il avait encore laissé d'à peu près intact - notre intimité, notre innocence,... - comment je pourrais faire table rase? Je n'en ai pas la force. J'ai tout juste la force de construire ma vie.
Je voudrais tant trouver la paix.