Bon. Je ne sais clairement pas comment on commence ce genre de récit. Mais je vais faire au mieux. J’étais une toute petite fille lorsque mon frère aîné ...
a commencé à m’agresser sexuellement. Je ne me souviens plus comment ça a commencé ou dans quelles circonstances, mais je me rappelle avoir bien moins de 9 ans. Je n’arrive plus à déterminer pendant combien d’années ça a duré. Mais je me rappelle des subterfuges pour éviter que les parents nous surprennent. Je me souviens de descendre du lit rapidement pour faire semblant de lire. Je me souviens des tas de fois où nous n’étions que tous les deux dans la maison. Je me rappelle certaines de ses réflexions à mon égard : « j’ai hâte que t’aies des nibards ». Je me souviens de la sensation de dégoût.
De ne pas comprendre ce qui se passait, de ne pas comprendre comment ça avait pu arriver la première fois et de ne pas savoir quand ça allait s’arrêter. Ce n’est que récemment que j’ai retrouvé certains détails que j’avais enfouis. Que j’ai réalisé, notamment, pourquoi il allait vite se cacher aux toilettes après. Je suis une chanceuse moi : il n’y a jamais eu pénétration. Je m’estime chanceuse… et je trouve ça dingue ! Je me rappelle des excuses que je lui donnais. Il se faisait harceler à l’école et puis au collège ensuite. Il était plus petit que les autres et se faisait insulter d’homosexuel. Alors évidemment il fallait bien qu’il trouve une façon de se prouver qu’il ne l’était pas, homosexuel. Je me souviens des fois où ma mère nous a surpris. Je me demande toujours si elle sait. Mais comment peut-on imaginer ce genre d’horreur au sein de son cocon familial. En particulier dans une famille déjà touchée par la tragédie.
J’ai 26 ans maintenant, et ça fait un an que j’ai réussi à franchir la porte d’un psychologue. Avant ça, je n’aurais jamais réussi à poser ces mots sans hurler et pleurer. J’ai une telle colère au fond de moi, une véritable haine. Contre lui, contre moi, contre la société qui ferme les yeux. Je me dégoute, je me déteste. Je ne peux pas me voir parce que quand je me regarde je le vois lui, je vois nos ressemblances physiques, je vois ses attouchements, je vois ce que je suis devenue par sa faute et j’ai envie de vomir. Il y a vraiment des moments plus difficiles que d’autres. Des terreurs nocturnes qui durent des semaines. Des poussées de colère difficiles à maîtriser.
Mais en règle générale ça va mieux. Petit à petit ça ira mieux. Enfin je crois, enfin j’espère. Parce que plus le temps avance et plus je m’inquiète de ce que sera fait demain si je n’en parle pas à mes proches, si je ne le raye pas définitivement de ma vie. Je rêve d’être une maman, mais j’angoisse terriblement à l’idée qu’il soit toujours dans les parages. Je rêve d’être une maman, mais j’angoisse d’avoir deux enfants et de ne pas voir les signaux, ou de leur créer une angoisse à mon tour. Je sais que la thérapie saura m’épauler et je conseille à toutes les personnes qui en ressentent le besoin, de franchir ce pas salvateur. J’ai conscience que maintenant il ne s’agit plus de ma tragédie mais de mon combat. Et, maintenant que j’arrive à le dire, je n’ai jamais autant eu envie d’en parler, d’expliquer, de comprendre.