Oubli
Par où commencer ? Mon âge peut-être... 33 ans... Plus ou moins 25 ans de psychothérapie en discontinu derrière moi. Une agression récemment sur mon lieu de travail . Et là des choses qui resurgissent. Ou des oublis qui interrogent. Qui sèment le doute encore un peu plus. Mes certitudes ? J'ai 8 ou 9 ans, mon oncle paternel m'embrasse de force dans un ascenseur. Malaise et peur. Même période, repas familial, tout le monde dans le jardin, moi assisse sur le canapé, lui qui me caresse l'entre jambe. Je me rappelle mes vêtements ce jour là. Mon maillot violet à noeuds fluos. A nouveau malaise et peur; Le lundi matin je suis opérée de l'appendicite. Même période, même oncle. Je dors chez lui. Réveil au milieu de la nuit. Totalement désorientée, perdue... Tout tourne autour de moi, la pièce, mes membres. Je ne sais pas où je suis, je me sens si mal. Une cuite XXL. Sauf qu'à cet âge là, je ne bois pas. Enfance marquée par une hyper sexualité. La recherche de ses sensations.
15 ans, j'écris. Je parle de ce malaise, de ces actes. Mon père lit. Me renvoie chez ma mère en me traitant de menteuse. Il détruit mon cahier. Premier rapport sexuel à 17 ans moins 20 jours. Plus aucun souvenir. 17 ans première tentative de suicide. Accusation de pédophilie dans ma famille paternelle. Mon parrain accusé par ma cousine. Le monde s'écroule. Pas de plainte, puisque pas de preuves. Famille éclatée. Je survis. Violence. Surtout envers ma mère. Isolement. Pas de futur, pas d'espoir. Puis la fête, l'alcool, la drogue, les relations sans lendemains. L'auto sabotage. La mise en danger permanente. La séduction encore et toujours. Rien qui ne s'explique raisonnablement.
La vie reprend son cours et après des années de lutte je coupe tout contact avec cette famille qui m'empoisonne insidieusement. J'apprendrais que cet oncle qui me hante filmait ses belles filles sous la douche. Les gens savaient. Personne ne fait rien. Ces mêmes belles filles lui confient encore leurs enfants. L'une d'elle s'étonne des terreurs nocturnes de son garçon. Je lui parle. Elle coupe les ponts. Avec moi.
J'ai mille vies professionnelles jusqu'à ce que je trouve ma voie. Peut-être que je retrouverai ma voix. J'ai un travail et pas des moindres. Je côtoie chaque jours des pédophiles, des meurtriers... Je ne les juge pas. Je travaille à leur réinsertion. J'essaye de faire confiance en l'homme. Jusqu'à mon agression. Là tout bascule. Nouvelle séances de psychothérapie. Je peux enfin parler à quelqu'un de ça. De lui. Et là, impossible de me rappeler son prénom. Je met quelques minutes... De trop... Depuis j'ai envie de hurler. De vomir. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. Ni si il s'est passé quelque chose. Je ne sais pas si je veux savoir. Ce que je ferais si je savais. Je n'ai de toutes façons que trop peu de souvenirs d'enfance. Une dizaine tout au plus. Le trou noir. J'ai peur d'être abandonnée. Je ne sais pas faire confiance. Je suis triste sans raison. J'ai l'impression de passer à côté de ma vie.
Est-ce que je suis folle? Est-ce que j'ai sur-interprété des sensations et des craintes?
Voilà où j'en suis. Nul part et partout à la fois. A essayer de naviguer dans une tempête intérieure d'une violence sans nom.