J'ai 41 ans, et c'est maintenant que je sors du déni. Quelle solitude, même mon psychiatre -j'ai été hospitalisée pour troubles alimentaires, puis diagnostiquée TDA/H (trouble de l'attention-hyperactivité) m'a laissé tombée. Que faire ??? Voici le texte envoyé à mon psychiatre:
A 17 ans, ma mère m’a poursuivie sur la colline du Gué-du-Loir, au-dessus des roches, en hurlant -Tu deviens autiste !- J’en ai fais une pelade. Recroquevillée au fond d’une grotte, j’ai pensé très clairement : -soit je deviens folle (et je sentais bien que je sombrais dans la folie) soit je m’en sors, et ce sera long et difficile- C’était la seule chose lucide qui émergeait de la cohue complète de mon âme. Je me suis jurée de ne jamais abandonner. Je ne pensais pas que cela serait si long et si difficile. J’aurais pu accepter poliment un diagnostic et des soins (afin, entre autres, de conserver l’amour de mon psychiatre). J’ai choisi d’obéir au choix de l’adolescente que j’étais, j’ai choisi l’authenticité, la difficulté, la liberté.
Docteur,
Heureusement que le transfert ne s’est pas fait de visu, vous n’y auriez pas survécu… Ça a dû être une expérience très désagréable et j’en suis désolée. Si au moins vous y étiez préparé, vous auriez pu amortir le choc, mais dans ces conditions inattendues, vous avez tout pris de plein fouet! J’avais décidé de vous écrire car je devinais une violence en moi qui m’effrayait.
Sachez cependant que vous m’avez aidé considérablement, et d’au moins 2 manières. Voici ma perception des choses…
Lors de notre avant-dernière séance, vous m’aviez conseillé une analyse. En revenant vous voir (cette fameuse dernière séance), j’avais mûri la question et pensais que c’était effectivement nécessaire ; j’étais sûre que vous me proposeriez de faire ce travail avec moi. J’étais encore dans la distance patiente/soignant. C’était donc une surprise de vous entendre revenir sur cette idée d’analyse, mais en me renvoyant à d’autres psy.
Or, il me semble que vous aviez déjà mis en place beaucoup de choses pour qu’un transfert se fasse ;
D’abord l’insistance que vous aviez, depuis plusieurs mois, sur la question de la perversion sexuelle. Un point-clé, effectivement, mais pas depuis mon mari ; depuis mon enfance.
A notre dernière rencontre, vous m’avez serré la main en décollant votre paume. Cela m’a troublée… j’ai pensé « mais pourquoi a-t-il besoin de prendre du recul avec moi ? ». En entrant dans votre bureau, le doute sur vos intentions était donc déjà présent. J’ai mis mon « nez de clown » pour dissiper un éventuel malaise, mais vous avez surenchéri avec une attitude qui semblait très empreinte d’émotion, et enfin vos insistantes questions sur ma disponibilité amoureuse.
La suite, je vous l’ai écrite ; j’étais bouleversée, maladroite. Je me sentais une obligation de vous écrire, presque tous les jours, décidée à ne plus lâcher le morceau, jusqu’à ce que ce satané miroir contre lequel je me butais depuis toujours se brise enfin. Tant pis si mes textes paraissaient insensés (paraissaient seulement). A un moment, vous avez dit « STOP », et… dzing, boum, il s’est cassé, ce miroir, en mille morceaux…et j’ai enfin VU ce que je devais oublier, l’imprononçable, l’innommable, l’inceste.
L’avouer n’est pas simple, d’abord parce qu’une « sortie du déni » est atroce et, comme je le craignais, mes enfants (dont j’ai la garde entière) ont ‘écopé’. Mathias a quotidiennement de terribles douleurs abdominales depuis 2 mois. Maintenant, ça va mieux, seulement de nouveaux problèmes se posent ; il me faut couper les ponts avec ma famille dysfonctionnelle ; la réaction de cette dernière est d’une violence inimaginable. On veut me faire taire à tout prix, me prendre mes enfants... Sans Mr Grégoire, je n’aurais pas su mettre mes limites. Ensuite, il me faut expliquer aux garçons pourquoi ils ne voient plus leur grand-mère, leurs oncles et tantes. Enfin -c’est le pire- je suis très seule ; j’ai essayé d’en parler à une ‘amie’ dont les enfants étaient toujours fourrés chez moi. Elle a eu une réaction d’horreur et de rejet (poliment, cependant). J’apparais comme un monstre, puisque j’ai été impliquée dans un tabou absolu. Il me faut donc garder le silence, comme si j’étais coupable de cette chose sordide. Mon rétablissement implique, vous l’entendez, de nombreux deuils.
Il faut aussi que vous sachiez que mon mari a été très violent sexuellement avec moi dès la première nuit, il n’a même pas eu besoin de me manipuler pour ça. Il a été très clair dès le départ : ça ou rien. J’ai choisi ça. N’importe quelle jeune femme saine l’aurait éjecté immédiatement, pas moi. J’ai toléré cet aspect de mon époux car j’étais formatée pour ça. De plus, j’avais le besoin vital qu’un homme me prenne en charge ; je quittais le Domaine, je ne voulais en aucun cas retourner chez mes parents et j’étais sans diplômes et sans revenus. Par ailleurs, puisque j’emmerdais mes proches (et les psy de tout poils qui n’entendaient rien à mon malaise), je voulais fiche la paix à tout le monde et me faire accepter, m’intégrer avec mari-enfants-maison-boulot, même si le prix à payer était cette horreur intime, soigneusement cachée. Mon mari (très aimé de mon père, comme par hasard) était présentable et pouvait m’offrir cette image extérieure. Il m’a aidé à avancer malgré tout, sur bien des points ; j’ai pu faire des études, j’ai une belle maison (ce qui me permet de m’éloigner de ma famille), j’ai eu les enfants que je désirais tant… J’ai essayé de vivre normalement. Je n’y suis pas arrivée, des symptômes de souffrance revenant tout le temps. J’aurai préféré me laisser mourir de faim, me faire vomir chaque jour, j’aurai préféré un diagnostic d’anomalie cérébrale congénitale –quitte à y impliquer mon fils !!- plutôt que de devoir admettre ce que mes parents m’ont fait. Plus aujourd’hui.
Vous m’avez touchée au cœur car j’ai évité toute ma vie la question du sentiment amoureux que je croyais inaccessible (si j’étais amoureuse, c’était toujours d’un homme inaccessible). C’est en cela que vous m’aidez d’abord : moi, une si pathétique grenouille, je pourrais être aimée d’un homme intelligent, cultivé et respectueux ? Je pourrais un jour connaître l’amour ? J’ose enfin me répondre oui. Même si je ne sais comment faire. Et que l’âge et l’aveu d’inceste réduisent mes chances.
Vous me sauvez la vie en me faisant sortir de ce combat entre ma volonté et mon inconscient si puissant, même si le tribut à payer pour cette liberté est très lourd.
Bien à vous
Isabelle Schmidt