Pas à pas
Bon voilà. A force de venir sur ce site, je me dis que témoigner "publiquement" est peut-être cathartique et ferait donc avancer le schmilblick. J'ai écrit un recueil de poème sur l'inceste (que j'ai d'ailleurs envoyé à Face à l'inceste , mais je n'ai jamais eu de réponses :) !!), j'ai raconté mon histoire à des amis, à des thérapeutes de tous bords : psychologue, psychanalyste, PNL, coach, osthéo, acupuncteur, fascia-thérapeute, kiné, rebouteux, chaman... Mais je n'ai jamais témoigné "publiquement". Mon histoire n'est pas aussi terrible que celles que j'ai pu lire, mais elle reste néanmoins traumatisante. Je ne dois pas être la seule à n'avoir jamais témoigné en me disant "y a pire quand même", mais finalement je me dis que de faire sauter cette auto-censure permettra peut-être à d'autres, qui pensent aussi "y a pire", de faire la même chose et de se soulager ? C'est parti.
Dernière d'une fratrie de 4 (2 soeurs, 1 frère), je suis née dans une famille à climat dit "incestuel", où l'ambiance qui régnait ne laissait pas beaucoup de place ni à l'intimité ni au respect de chacun. Mon père, ancien militaire, a toujours fait des blagues ou remarques déplacées, sexuelles et régnait sur la famille avec autorité. Ayant fait 8 ans de psychanalyse, il prétendait comprendre nos faits-et-gestes, nos êtres, nos besoins, nos envies, mieux que nous-mêmes. Il était souvent humiliant, méprisant, agressif et destructeur, et avec ses enfants a toujours instauré une sorte de "distance corporelle" depuis notre plus jeune âge. Distance excessive et non naturelle selon ma soeur qui y voyait là le symbole d'une tentation sexuelle latente qu'il voulait étouffer... ?
Du côté de ma mère, quand mes arrières-grand-parents sont décédés, ma grand-mère et ses soeurs étaient mineures et ont été placées sous la tutelle d'un ami de la famille. Ce tuteur a abusé des 3 filles ainées, ma grand-mère est tombée enceinte de lui. Les abus sexuels se sont répétés de différentes manières sur les 2 générations qui ont suivies : les filles de mes grandes tantes ont vécu des incestes "amoureux" avec leur frère ou leur oncle ; ma mère a, dit-elle, "joué à touche-pipi" avec son petit frère, et ma tante a subi un inceste avec son frère ainé. Et moi, j'ai vécu un inceste avec mon frère ainé (de 2 ans et demi de plus que moi) entre mes 14 et mes 18 ans. Un héritage dont on ne voudrait pas mais qu'on ne choisit pas, et qui est tellement fréquent.
Bref. Quand vers mes 17 ans, j'ai dit à mon père ce qui se passait avec mon frère, il m'a dit que ça arrivait tout le temps dans l'Egypte ancienne. Puis mon père l'a dit à ma mère, qui, ayant toujours eu mon frère en chouchou, m'a accusée de menteuse et d'allumeuse. Et ça a été plié, en deux phrases. Dédramatisation, culpabilisation... C'est souvent ce à quoi est confronté une victime qui parle, n'est ce pas ?
Je ne vois pas l'utilité de rentrer dans les détails de ce qui s'est passé avec mon frère, c'est désagréable et douloureux. Je n'ai pas porté plainte, je n'arrive pas à le considérer comme un bourreau, je pense que ce qui s'est passé est le symptôme du climat familial, et qu'il est autant victime que moi. Par contre, il me semble important de dire que je partage et que nous sommes nombreuses à partager une douleur semblable ou presque. Le chemin est long, difficile, injuste, mais de savoir qu'on n'est pas seul sur ce chemin de croix, ça soulage un peu sans doute ?
Moi, ça fait 15 piges que je bosse sur mon corps et sur ma tête pour essayer de marcher un peu plus droit et d'aller mieux. J'ai fait du chemin : je vais beaucoup mieux qu'il y a 15 ans. J'ai un amoureux que j'aime et désire, qui m'aime, me désire, et qui assume la totalité des dépenses du foyer. J'ai des amis, un travail à temps partiel dans lequel je peux m'épanouir. Je ne mets plus en danger psychique ou physique, je ne me scarifie plus, je ne suis plus boulimique, je sais mettre à distance les gens qui ne me font pas du bien, bref, je vais mieux ! Malgré ces avancées, je suis encore trop émotive et souvent déprimée, je me fous la pression, je manque d'estime de moi-même et de confiance en moi, je ne m'autorise pas à être heureuse ni à vivre pleinement, et mon corps s'exprime encore beaucoup : j'ai des douleurs fréquentes et nombreuses, je me fais des entorses régulièrement, j'ai pas mal d'intolérances alimentaires, etc... Voilà, je vis avec ma souffrance, mais j'avance... Et je vous souhaite à toutes et à tous, d'avancer, même à petits pas vers votre libération. Force et Courage !
Pour finir, une petite requête : j'ai lu que la thérapie EMDR fonctionnait bien, si quelqu'un à un bon contact à me donner sur Paris ou sur Montpellier, je serai ravie d'essayer. Merci d'avance.