Comme tous les dimanches après-midis, mes parents, mon frère et moi nous rendions chez mon oncle et ma tante, à l'autre bout de la ville. Là-bas, mon cousin m'accueillait avec cet inlassable jeu de mot sur mon prénom (qui n'est pas mon pseudo) et mon frère renchérissait. Piquée au vif, je réagissais au quart de tour. Je n'aimais pas qu'ils m'embêtent. Mais à chaque fois, les adultes autour en riaient, trouvant la plaisanterie somme toute amusante, sans méchanceté, sans conséquence.
Mon frère grandissant, il ne nous a plus toujours accompagnés, ayant du travail scolaire à la maison. La chambre de mon cousin, qui nous servait de salle de jeu, de salle de lecture, est devenue salle de découverte. J'avais 6, 7, 8 ans (?), et il est passé de sa taquinerie d'accueil à des gestes attentifs, tendres, caressants, accompagnés de paroles rassurantes, persuasives. Nous étions à l'écart des adultes, à l'étage, protégés de l'escalier de bois qui aurait signalé un éventuel visiteur.
Même si j'ai vite eu le sentiment que ses gestes n'étaient pas appropriés (les "ne montre pas ta culotte", "n'écarte pas les jambes quand tu es assise", "tiens-toi bien", ... de ma mère étaient très présents), il a su habilement me faire croire le contraire.Une petite fille soumise à l'obéissance impérative à sa mère (sous peine de fessée, claque, haussement de ton immédiat) ne peut pas luter contre celui qui d'un coup passe du taquin à l'attentionné, celui qui demande, avec insistance, mais sans violence verbale, à vous approcher pour vous prodiguer actes doux et tendres noyés dans une parole feutrée et sans heurt. Toutes les semaines certainement, pendant plusieurs années sans doute. Puis mon frère, à la maison a relayé mon cousin : il y a certainement eu une période commune où, chacun de son côté, a su m'utiliser. Ce dont je suis persuadée, c'est que ça n'est pas venu comme ça dans la tête de mon frère. Nous avons toujours partagé la même chambre, séparée par un grand rideau : moi dans la moitié du fond, lui du côté de la porte. Je suis convaincue que, fort de son expérience, mon cousin aura incité mon frère à "s'exercer" sur moi. Ils sont tous deux mes aînés : mon cousin de 6 ans, mon frère de 5 ans. Caresses vaginales, clitoridiennes, des seins, pénétration, fellation, apprentissage du vocabulaire, imprégnée de ce qu’ils aimaient et n’aimaient pas et convaincue que cela devenait ma vérité, tout pour faire de moi une parfaite femme.
Une difficulté survient quand les visites chez mon cousin s'espacent, il est appelé à d'autres occupations. Et parce que j'approchais de la puberté (des fois que je sois tombée enceinte), mon frère me lâche, lui aussi. Je suis passée de petite fille terrorisée par sa mère, à objet d’expérience, qui me donnait une légitimité, un droit d’être, de ressentir, puis, adolescente, à ce vieux jouet remisé au fond d’un tiroir, pas cassé, mais qui a perdu son attrait. Comment continuer à évoluer, être aimée, si ce n’est en me prodiguant moi-même les plaisirs que les deux autres me refusaient maintenant ? J’ai ainsi une longue expérience de masturbation.
Une longue expérience de désert affectif : Je ne considère pas que mes parents m’aiment, que mon frère m’aime. Je n’ai jamais eu le sentiment de pouvoir me faire de vraies copines : celles avec lesquelles on partage. La parole maternelle interdisait tout flirt : et de toutes façons, comment ne pas passer pour une moins que rien : mon expérience était telle que je n’aurais jamais pu faire croire à mon amoureux qu’il aurait été le premier. Je me suis retrouvée, au fil des années, enfouie dans le : - Je ne parle jamais de rien à ma mère sauf obligation, sinon, elle n’est jamais contente et je perds toujours - Je ne parle pas des gestes de mon cousin puisqu’il m’a dit qu’il ne fallait pas en parler (et comme c’est un moyen d’avoir un peu de tendresse, pourquoi remettre cela en cause ?) - Je ne parle pas à mes camarades de classe - Je ne parle pas aux garçons - Je ne parle par au médecin scolaire, même en visite sollicitée par un de mes profs qui avait bien senti qu’il y avait quelque chose en moi (mil mercis ! Monsieur) Je (ne) vous passe (pas) la seule expérience en colonie de vacances, vécue à 15 ans, où pendant le trajet en train, j’ai assisté au flirt et à la relation sexuelle de deux « gosses » de 12 et 13 ans dans le compartiment dans lequel nous étions quatre. Pourquoi eux et pas moi ?
J’ai fait l’approche du quatrième présent : il ne me plaisait pas, mais j’étais irrémédiablement poussée à tenter une « vraie » expérience sexuelle, moi comme élément moteur. Un fiasco : un dégout de ce type, de ce je devais lui faire ou qu’il me faisait. Imaginez aussi la suite du séjour, moi qui l’avait allumé puis rejeté : que pouvait-il comprendre ? Lorsque je rencontre mon premier compagnon, je ne suis pas convaincue d’être franchement amoureuse, mais je dois me sortir de la prison familiale, de ce désamour, de cette non-attention, et celui-ci est attentif. Il s’avère qu’il a une sexualité plutôt libre : revues sous son lit, favorable à la relation sexuelle hors du couple si ça peut être un plus pour l’équilibre de chacun. Finalement tellement hors des normes qui me viennent de mes parents que mon « anormalité » pourra bien passer, dans ce contexte, qui sait. J’ai été son objet sexuel, dégoutée des pénétrations anales qu’il demandait à me faire, soumise, prête à continuer à me sacrifier quelque soit l’endroit, la proximité de tierces personnes : je devais tout tenter pour avoir un semblant de vie normale. Comme il était attentif, il a réussi à me faire parler. « Si tu n’as pas envie de faire l’amour, il faut voir un spécialiste » (je suis allée à 23-24 ans voir ma première gynécologue - qui était aussi thérapeute). Nous avons fini par exposer, sous couvert d’une éventuelle frigidité me concernant, le viol par mon frère à mes parents.
Mon souci d’épargner la famille m’a poussée à ne pas parler de mon cousin : restons donc dans un cercle fermé, protégeons les autres ! La façon qu’ont eue mes parents de refermer la discussion dans les cinq minutes qui ont suivi, le regard de ma mère vers mon père le priant de nous faire taire : Ô ! Tout dans la délicatesse et dans la fermeté : nous n’avons à aucun autre moment parlé de tout cela depuis avec mes parents. Peu avant ou peu après, j’ai vécu une nuit épouvantable ; au milieu de ce qui aurait pu être nommé une nuit d’amour, je me suis vue dans un trou noir sans fond : c’était la fin, je ne vivais plus. Je me suis très vite exprimée auprès de mon compagnon à ce sujet : sa réaction a été de me dire que ça ne lui était pas agréable d’entendre de tels propos (des fois que vivre cette scène ait été pour moi une réjouissance). Nous avons failli nous marier, nous nous sommes séparés quelques semaines avant. Grande déception de mes parents : je leur laissais les bouteilles de champagne sur les bras. Même là, avec le recul, je n’ai pas le souvenir d’une parole compatissante, un peu consolante. J’ai ramé comme j’ai pu, je me suis laissée attirer dans les bras d’un collègue de passage au travail, puis un autre, juste le temps de me rendre compte qu’il m’était insupportable de me sentir bien, rassurée, en sécurité avec un homme. J’ai eu une aventure qui a duré un peu avec un homme plus âgé que moi de 20 ans, attentif, tendre, mais les relations sexuelles m’étaient toujours aussi pénibles. J’ai rencontré celui qui deviendrait mon mari, avec le sentiment de l’avoir, là aussi, allumé.
Avec le recul, il n’est pas du genre à se laisser manipuler. Mais je continue à me faire mal avec ce ressenti. Notre première nuit a été plutôt encourageante : il a accepté que nous ne passions pas à l’acte. J’ai pris cela comme une marque de grand respect et ça m’a donné une grande confiance en lui, il est devenu d’une grande ascendance sur moi. Quant à moi, je n’ai pas réussi à reprendre le dessus : j’ai été capable, pour le satisfaire, de me sacrifier à nouveau, mais avec dégoût, simulation. Et puis les choses se sont gâtées pour lui car je n’ai pas été à la hauteur de ses espérances. Il a un temps imaginé un viol me concernant : à mi mots, je ne l’ai pas détrompé. Nous en sommes là : il ne sait en fait rien de concret. Nous avons passé 5 longues années avec des rencontres amoureuses à peine mensuelles : je me devais de m’exécuter tout de même de temps à autres. Lorsque nous avons décidé de faire un enfant (je savais qu’avec lui, je pouvais, j’avais confiance), je me suis contrainte à avoir envie, ce jour-là. Je ne voulais pas concevoir un enfant sans envie. Ce fut certainement plus une envie d’enfant qu’une envie de relation sexuelle, relation qui s’est sans doute réduite à un acte technique. Pendant toutes ces années j’ai continué à me masturber : oui, j’avais besoin de plaisir, mais je ne tolérais seulement celui que je me donnais, il n’avait pas la sordidité du plaisir qu’un homme m’aurait apporté. Mais à chaque fois, un sentiment de culpabilité m’empare, je ne supporte pas de m’apporter satisfaction seule : je trouve cela sale, aussi. Angoissée à l’idée de devoir élever mon fils, il m’était insupportable d’entendre les infirmières et sages-femmes prôner la péridurale comme un geste simple, facile, évident, normal.
Pour moi, c’était une intrusion dans mon corps, c’était accueillir ce petit en médicalisant sa sortie : je ressentais une intrusion dans sa vie, c’était abominable. Que dire de l’amniocentèse : une aiguille de 20 cm qui devait aller prélever une part du milieu de vie de ce futur petit être : à peine conçu que l’on se permettait d’attenter à son intégrité ! Quant à mon mari, réjoui à l’idée d’annoncer à sa mère que nous aurions un fils ! Moi qui voulais une fille, je voulais mettre au monde quelqu’un que j’aurais pu protéger : une fille, je saurais lui parler. Dans ce désordre psychologique, je me suis décidée à alerter la sage-femme sur ma détresse concernant la péridurale. Elle m’a expliqué, puis orientée vers la psychologue de la maternité. Nous nous sommes rencontrées 5 ans, mais comme je n’arrivais pas à vraiment lui parler, j’ai préférer cesser nos entrevues : ça ne servait plus à rien. Mon fils né, j’ai eu toujours très peur de le changer, mais il fallait paraître et mon mari trouvait que les selles sentaient mauvais. Tous mes gestes étaient mesurés, surveillés, pour ne pas risquer d’avoir un geste déplacé vis-à-vis de ce petit être. J’ai eu beaucoup de mal quand, de façon répétée, je prenais sa tête sur le nez, ou quand, de rares fois, il me tenait tête à sa façon : je le sentais me faire mal, et j’ai eu deux ou trois fois très peur de l’avoir jeté avec peu de ménagement sur le lit parce que je ne le supportais plus.
Aujourd’hui, c’est un enfant qui nous dit tous les jours qu’il nous aime (nous aussi). Je grandis mon enfance avec lui, ce qui me laisse dans un sens sous l’ascendance de mon mari. Tout en lui donnant des normes, je m’efforce de le laisser faire, parfois au grand regret de mon mari. J’ai besoin de voir une évolution d’enfant qui n’est pas sous la contrainte. J’ai besoin d’apprendre par lui ce que l’on m’a volé enfant. Sexuellement, longue absence de relations : une fois par mois est une bonne moyenne. Il y a trois ans et demi, j’ai repris ma thérapie, mon boulot étant en train de me péter au nez. Pendant 2 ans, j’ai avancé très doucement : incapable de parler, tellement coupable, même vis-à-vis du thérapeute. Depuis 12 à 18 mois, les choses se détendent petit à petit, j’arrive de plus en plus à parler, à lever mes tabous, et l’exercice que je fais avec vous en ce moment me permet d’en décrire plus encore. Vais-je enfin être fière de moi ? Ma vie sexuelle a fait un bond en avant au début de l’été : j’ai eu quelques moments de plaisir, d’envie de mon mari. Depuis, les choses se sont estompées, mais c’est un espoir et je ne me mets pas la pression : les choses se feront tôt ou tard. J’ai perdu une partie de ma culpabilité quand je me satisfais seule. Je prends conscience que ma soumission, et en même temps mon opposition aux adultes est toujours hyper présente. Ma perception de l’autre est qu’il doit être de mon avis. Et s’il ne l’est pas, il devient un danger comme l’ont été mon cousin, mon frère, mes parents qui ne m’ont pas protégée. Alors je me défends en me fâchant, en hurlant mon désaccord, en me protégeant comme je peux : je n’ai pas pu et ne peux toujours pas hurler à mes parents mon désespoir, mon sentiment d’abandon, alors je hurle à tous les autres ma colère, ma détresse.
Voici ce film achevé sur France 2, et ce malaise rejaillit de percevoir le cynisme de ces coupables d'inceste, fiers, droits dans leurs bottes, manipulateurs, menteurs, jouant de toutes les ruses pour tenter de passer au travers des mailles du filet.
Je ne m'y ferai jamais. C'est révulsant, insupportable. Ça me met dans une détresse folle, ça me plonge dans un contexte dont personne ne peut sortir, dont personne ne peut me sortir.
Voici 10 ans bientôt que j'ai fait éclater la vérité, je vais bien aujourd'hui, mais quand je suis confrontée à des situations d'inceste, quand bien même de fiction, ma réaction est inéluctable : ne serait-ce que pour quelques minutes, je replonge dans un tourbillon infernal.
L'inceste ne s'oublie pas, on le porte à vie !
je ne m'emporte plus, ou en tout cas beaucoup plus rarement
[i]lavement de cerveau[/i] : voici quelque chose que j'avais complètement oublié mais que je me rappelle avoir pensé plus d'une fois, alors que de violents conflits éclataient avec ma mère lorsque j'étais ado. Il m'était plus facile de penser que [i]je[/i] devais être neutralisée plutôt qu'espérer que [i]ma mère[/i] puisse un jour quitter son intransigeance maladive.
quand je vois que rien de tel n'existe avec mon fils, je sais que j'ai tout gagné avec lui ! Quelle fierté !
Depuis cette fin 2009, j'ai parlé à mon mari, j'ai demandé des comptes à mon frère (accessoirement à mon cousin puisque mon frère s'est rapproché de lui pour la circonstance), j'ai envoyé balader mes parents. Mon père est décédé, ma mère ne m'adresse pas la parole, ce que je lui rends volontiers, je vais plutôt mieux, même si tout n'est pas parfait : c'est difficile d'être adulte et d'avoir nécessité de vivre son adolescence, d'avoir besoin d'apprendre à vivre, mais jour après jour, je regagne du terrain.
Sexuellement, rien de grandiose, mais pour cela comme pour plein d'autres choses, j'accepte de prendre le temps qu'il me faudra pour faire "autrement", faire "mieux".
Merci de vos retours
Heureuse si mon témoignage peut aider d'une quelconque façon
Bonne chance à chacun et chacune d'entre vous