Je suis toujours en larmes lorsque je vois passer des témoignages, des livres, relatant des violences incestueuses. À chaque fois cela me ramène à ma propre histoire. Des années de souffrances, des années de peur, d'angoisse, des envies suicidaires, des années de silence... je devais avoir 8 ans.
J'allais partir pour l'école quand celui que je devais appeler papa, qui était cloué au lit ce jour-là, m'a appelé dans sa chambre. Et là, il m'a fait asseoir à côté de lui, m'a montré son pénis, a pris ma tête pour la rapprocher et m'a forcé à mettre son pénis dans ma bouche tout en me disant que ma mère le faisait aussi.... je ne sais pas comment s'est déroulé la suite et les jours suivants. C'est le trou noir total.
Tout ce dont je me souvienne, c'est cette scène et après, c'était des cauchemars, toujours le même, je cours, j'essaie de m'échapper et je finis par tomber du haut d'une falaise et c'est le réveil en sursaut. Maintes nuits, je me suis levée pour aller observer les couteaux de cuisine. Solitude, silence, pourquoi ? Je ne sais pas ? Peur que l'on ne me croit pas parce qu'en plus il était violent et vous rabaissait, vous traitait comme un esclave et un enfant n'a pas droit à la parole. Il doit obéir et se taire. Entre les coups de bâton de fer, les coups de cravaches, je crois que oui, il valait mieux se taire et serrer les dents. En somme, je préférais plus les coups physiques, plutôt qu'il abuse de mon corps.
Pendant mon adolescence, à chaque vacance ou week-end dans la famille, où la promiscuité était de mise, parents et enfants passaient la nuit ensemble. Ma mère me mettait toujours à côté de lui et toujours la même chose, il prenait ma main, croyant que je dors, la dirige sur son pénis et il se masturbe sa main sur la mienne. Il passait aussi sa main sur mon corps, sous mon pyjama, sous ma culotte... j'avais envie de mourir... combien de temps ? Une éternité. Combien de fois ? Une fois, c'est déjà trop. Puis, je devais avoir 16 ans, il avait pour habitude de me demander de lui enlever des cheveux blancs sur son crâne, assise sur le canapé, lui, allongé sa tête sur mes genoux, je devais lui retirer ses cheveux blancs, mais là il a tourné la tête, sa face contre mon sexe... j'ai bondi .de peur, de rage, de colère, de haine, tout ce que vous voulez... et je ne sais plus comment s'est déroulé la suite des événements, mais il ne m'a jamais retouché et j'ai pris mon mal en patience, toujours seule, pour avoir les moyens de quitter ce foyer.
Les années passent, je réussis à partir non sans avoir trouvé un boulot, un logement, je vis enfin seule, et je vis avec... Je rencontre mon futur mari, nous avons une fille en 2000, je n'ai pas coupé les ponts avec ma mère, donc avec lui non plus. Mais l'angoisse revient plus fort. J'ai une fille, je ne peux pas et je ne veux pas qu'il soit son grand-père et dans mon malheur, j'ai été soulagé d'apprendre qu'il n'était pas mon père biologique... mais je porte son nom. Après consultation avec un notaire qui me dit qu'il a des droits en tant que grand-père sur ma fille... je suis anéantie ! Et pour elle et mes futurs enfants, avec mon mari, j'entame une procédure de plainte et une demande de changement de nom de jeune fille. Il n'était plus question que je porte le nom de mon bourreau et il était encore plus inhumain que mes enfants aient un lien quelconque avec ce monstre. J'ai donc demandé à la justice à reprendre le nom de jeune fille de ma mère, le nom que je portais avant qu'elle ne se marie avec lui. Ce fût très long et très éprouvant psychologiquement. J'ai eu la chance d'avoir été entendu par un gendarme qui a été dépêché spécialement pour mon affaire, je pense qu'il a été formé pour, car il venait d'ailleurs, il n'était pas du village. Il était posé et bienveillant. Lors de ma déposition, au moment où je lui décris la scène de la fellation, il m'a repris et m'a demandé si c'est lui qui a mis son pénis dans ma bouche ou si c'est moi qui ai pris son pénis. Je ne sais plus ce que j'avais dit exactement, mais il était évident qu'il m'avait forcé, j'étais choquée, mais le gendarme m'a bien fait comprendre justement, que ça ne voulait pas dire la même chose.
On en vient donc à cette histoire de consentement. Comme j'avais présenté la chose, on aurait pu croire que je savais ce que je faisais et que ça venait de moi (Mais quelle horreur !) Enfin, il a été très professionnel et a trouvé dommage que ce soit prescrit. Je le savais, mais je l'ai fait pour protéger mes enfants... pour moi, c'était trop tard. Aujourd'hui je vais avoir 49 ans, j'ai 5 enfants, qui ne sont pas encore au courant et un mari qui m'aime plus que tout au monde. Et surtout je ne porte plus le nom de mon bourreau et légalement donc, il n'est pas le grand-père de mes enfants et ça, c'est ma plus grande victoire.
Je suis de tout cœur dans votre combat et j'espère que les gens ont enfin ouvert les yeux. Ce silence assourdissant n'a que trop duré. De tout cœur avec vous dans ce combat.
PS. : Un livre qui m'a permis de tenir, que j'ai lu pendant le début de mon adolescence "Mourir à 10 ans" de Claude Couderc. C'est horrible mais, grâce à ce livre j'ai appris que je n'étais pas seule et que je devais tout faire pour ne pas sombrer.