Bonjour, je vis une amitié intense avec un homo de 33 ans (qui en paraît 28), et ce depuis 3 ans. J'ai l'impression qu'il m'a un peu choisi comme grand frère, et même comme "père" (j'ai 10 ans de plus que lui, suis homo également, "casé" puisque je vis depuis 25 ans avec le même garçon, une grande histoire d'amour par ailleurs).Au fil de nos discussions, je me suis aperçu que son enfance fût désastreuse: battu, abusé, violé entre ses 7 et 18 ans par un père super autoritaire (et l'un ou l'autre proche, au passage), il a quitté la maison le jour de ses 18 ans.
S'ensuivirent 12 ans d'errance, durant lesquelles il a tout de même obtenu deux diplômes universitaires, mais avec des sequelles qui me semblent énormes, et dues selon lui à la disparition de l'autorité paternelle stricte qui avait été jusque-là toute sa vie: rage sexuelle (plus de 500 partenaires sexuels !), besoin maladif de séduire, prostitution occasionnelle pendant environ 2 ans, avec quelques rechutes, puis dérive dans les milieux sado-masochistes (dans le rôle de masochiste, bien évidemment), dans des parties de groupe où il était la victime désignée de tournantes débridées, pratiques uro (se faire uriner dessus) et même scato, et pire encore, en résumé, tout ce qui contribue au sentiment d'auto dégradation.
Bref, culpabilité totale, sens de la punition méritée, aucune estime de soi, attitudes suicidaires (via des rapports multiples et non protégés, par exemple, heureusement, il a échappé au VIH et est, à ce jour, séronégatif !)...
Depuis 3 ans, il s'est calmé (avec quelques rechutes, de plus en plus espacées), s'ouvre peu à peu, et à chacune de nos discussions, m'en confie un peu plus...
Je l'ai cru mythomane au début , mais ai pu, à la suite d'un vrai travail d'investigation, recouper pas mal d'informations, qui me font croire que beaucoup est (hélas) vrai... (Et il m'a lui même dit qu'il y avait encore deux ou trois solides lièvres à débusquer)...
Aujourd'hui, il semble stabilisé avec son petit copain qu'il a depuis 2 ans (même s'il a toujours peur d'être rattrappé par ses anciens démons et son besoin d'humiliation), ses symptômes sont: alimentation déréglée (il ne se nourrit que de poudres et pilulles pour body builders), manque de confiance en soi, sentiment d'être sale, rejet de son propre corps (qui est celui d'un sublime athlète, en plus, il fait craquer tout le monde, est d'un beauté inouïe, il lui est arrivé maintes fois de faire la couverture de magazines, mais bon, il ne s'aime pas !), perfectionisme, hyper-hygiène, besoin de nettoyer tout le temps son appartement, impossibilité de travailler en équipe, peur de sa nudité, activités sexuelles désaxées, parfois problèmes d'impuissance avec son petit ami (un jeune garçon hyper sympa, de 10 ans son cadet, compréhensif et patient), mythomane, kleptomane, peur de rester seul avec certaines personnes, rapport hyper ambigüs avec toutes forme d'autorité, crises d'angoisse, de stress, cauchemards récurrents très forts (il rêve depuis ses 7 ans d'être emmené de force par des truands dans une cave, où il est forcé de boire l'urine de tous, à la suite de quoi il se fait abattre d'une balle dans le front), et aussi impossibilité de dormir avec quelqu'un à ses côtés, il se réveille en faisant des bonds de 1 mètre de haut au moindre contact physique rencontré dans son sommeil, etc.
En réalité, c'est un garçon sensible, brillamment intelligent, plein d'humour et de finesse, bourré de talents divers, mais évidemment coupé du monde (à part de la "cyber-communauté gay" qui est un leurre, mais ...sa seule famille)...
Nous avons entamé il y a 6 mois une "psychanalyse croisée", nous faisons çà par chat, la nuit, et il réussit à me dire des choses au compte-gouttes qu'il n'aurait jamais pu dire de vive voix il y a quelques mois encore. (Nous avons déjà rempli plus de milles pages)...
Un séjour au vert d'une semaine en novembre a jeté les bases de sa nouvelle construction, nous avons listé ses points forts et ses points faibles, et nous sommes attelés à lui préparer un plan d'action pour sa reprise en main professionnelle.
Je le fais bosser pour moi, il est brillant, hyper méticuleux et perfectionniste (Ah, toujours l'angoisse de "ne rien merder" et l'anxiété de savoir comment les autres l'ont perçu !), et je sens de progrès lents mais certains, il s'ouvre au monde, abandonne les vieux réflexes de séduction, consacre plus de temps à son ami, etc. En plus, tout le monde l'adore.
Ce que je voudrais savoir de votre part est: 1) Est-ce qu'on arrive un jour non pas à oublier, mais à re-concquérir assez d'estime de soi quand on a vécu tout çà, pour pouvoir vivre normalement, ou à tout le moins sereinement ? Est-il possible de s'en sortir, ou rechute-t-on toute sa vie ? Des témoignages positifs me rempliraient d'espoir. Il est intelligent, très même, et je pense que mettre devant son nez la preuve de ses propres succès pourrait lui faire évoluer vers une perception plus positive de lui-même.
2) Est-ce que j'ai raison de l'encourager à me parler de ses épreuves, à le faire revenir sur son passé? Parfois, il se met à trembler, à pleurer, à bégayer, à vomir, même, mais j'ai l'impression que dans ces moments, il enlève (enfin !) un couvercle laissé fermé depuis tant d'années, et que çà lui permet de vider une fois pour toutes la benne à ordures sur une décharge publique (éthymologiquement parlant, se confier à moi est une forme de "décharge publique" = : >)...
3) Il m'a demandé il y a quelques mois si je pourrais l'aider à mourir si un jour il n'en pouvait plus, le "corps libre mais l'âme prisonnière", et cela m'a fait fort peur. Je fais office de psy pour lui (il n'a pas les moyens de s'en payer un, et est tellement intelligent qu'il ne se contenterait pas du premier venu, en plus...)...
4) Je vois un mieux certain depuis 6 mois que je l'ai un peu "pris en main" (on s'appelle tous les jours, on chatte tous les soirs, et on se voit environ tous les deux jours), mais ai terriblement peur d'une rechute au premier coup dur de l'existence qui pourrait le frapper, et de le voir se ré-enfoncer dans des pratiques glauques.
5) Est-ce qu'une personne comme moi, qui n'a pas été abusée, peut lui être utile, ou bien aura-t-il toujours le sentiment que je ne peux pas comprendre ce qu'il a vécu si je ne l'ai pas vécu moi-même ?
Dans cette dernière logique, je me suis mis en tête de le libérer de ses phantasmes masochistes en l'accompagnant moi-même à une soirée de ce type, pour qu'il puisse vivre avec mon regard (et mon humour) ce qui l'avait subjugué par le passé...
La première expéricence dans le genre m'a semblé profitable, nous avons assisté à tout sans participer (il faisait des photos, ce qui lui donnait une légitimité d'observateur froid), et à tout prendre, je me dis que soigner le mal par le mal n'est finalement pas une mauvaise chose, car à force de voir des gens se ligoter et se dé-ligoter toute la nuit, on en vient à se dire que tout çà n'est finalement pas bien passionant et pas bien effrayant, mais plutôt comique...
Voilà donc où nous en sommes aujourd'hui après 3 années d'amitié, et 6 mois de confidences... Dernier détail: j'ai entamé (à se demande, acceptée avec fierté et bonheur) les démarches légales pour l'adopter (on peut adopter un adulte dans notre pays), et ceci me semble également un élément stabilisateur pour lui.
Je lui ai aussi fait rencontrer la communauté des francs-maçons, dont je fais partie: pour une fois, il a pu avoir des soirées de discussions passionnantes avec des êtres qui étaient intéressés par ce qu'il avait à dire, et non par l'envie de le séduire (comme c'était le cas sur les sites de rencontre gays, ou la nature du site ajoutée à son physique avenant provoquaient fatalement des relations qui partaient sur des bases ambigües dès le premier "salut...").
Pour finir, je dois avouer que j'en suis bien sûr un peu amoureux (il y a toujours une dimension un peu ambigüe à un moment donné entre un patient et son "thérapeute" et vice-verça, et après tout il n'est pas toujours clair de savoir qui fait du bien à qui, dans ce genre de relation, et j'ai à ma manière aussi retrouvé du sens à ma vie, en décidant de consacrer du temps à cet être meurtri, moi qui avait l'impression, malgré une vie hyper active, de n'avoir pas été utile à grand monde depuis ma naissance), mais je gère çà en me disant que rien ne se fait sans amour dans la vie (surtout pas l'accompagnement d'une reconstruction), et que d'autre part je le respecte tellement que je ne veux pas brouiller ses repères alors qu'il a tant besoin de moi (et moi de lui, d'une certaine manière).
Donc, nous vivons une amitié très profonde, très intense et très "vraie", qui change ma vie autant que la sienne, et qui me paraît de toute beauté.
Nialou.
Je vous tiendrai au courant de la suite. En attendant, vos avis me sont précieux. Je voudrais particulièrement avoir l'avis de personnes qui s'en sont sorties grâce à l'amitié d'un ami, ou l'amour et la patience d'un conjoint, et qu'on me parle aussi de la manière de gérer les "rechutes" en cas de coup dur.
Merci.
Quels soins : Comment aider mon ami ? ? ?
Témoignage
Publié le 23.04.2007